Il y avait un mois qu'elle était partie pour la dernière fois, avec rien qu'un au revoir en passant, et cette fois-ci il n'y avait pas eu de cartes postales. Cela faisait partie du caractère de Liz de disparaître de temps en temps, et j'étais fier de son bohémianisme, lui faisant crédit d'un besoin impérieux de s'en aller redresser sa personnalité, ou prendre conscience d'elle-même, ou quelque chose de ce genre ; mais dans des moments moins romantiques je me mettais à me demander si elle ne courait pas les rues avec quelque aviateur américain. Je n'éprouvais pas pour elle de sentiment véritable, mais il y avait toujours une sorte de souffrance quand elle s'en allait, et quand la souffrance ne cédait pas du tout, je la transformais, pareil à un alchimiste occupé d'algue, en quelque chose proche de l'amour. (page 49)
Vois-tu, mon garçon, l’ennui avec toi c’est que tu es comment dire… introspectif ? Tu es comme un enfant au bord d’un bassin. Tu voudrais bien y aller, mais tu n’en finis pas de te demander si l’eau est froide, si tu ne vas pas te noyer, et ce que ta mère dira si tu as les pieds mouillés…
Traversant la salle en chancelant, j’essayais de me rappeler combien de fois j’avais fait ce spectacle autrefois ; sachant que chaque occasion deviendrait rétrospectivement une source distincte, abondante de cruel embarras. Quelques femmes me regardèrent au passage avec une sorte de détachement compatissant. Elles m’avaient déjà regardé de cette façon mais je ne m’étais jamais rendu compte que c’était parce qu’elles connaissaient des choses que j’ignorais, parce qu’elles étaient engagées dans des problèmes de base dont je ne savais pas le premier mot.