Des heures et des heures d'interrogatoires, à répéter les mêmes mots, ne rien changer, s'en tenir à l'histoire, ne pas trahir babel. lui et moi nous savons. Suis-je coupable si la mort s'est invitée au phare ? Suis-je coupable si la mer s'est déchaînée pendant des mois, empêchant la relève ? Suis-je coupable de la folie des hommes ? Suis-je coupable de me sentir victime ? (p.51)
Je me perds dans le néant, comme on se perd dans la vie. Je ne suis pas d'ici : ni marin ni poisson. Je suis un animal, j'ai toujours vécu au milieu des mammifères. Je n'existe pas plus aux yeux de ce monde aquatique qu'aux yeux du monde que je fuis. Ce que j'aimais ? C'était veiller jusqu'à l'aube et m'endormir après le lever du soleil. Me tenir droit et fier au sommet de Babel, maître du monde et des océans. Mais je suis devenu un loup. J'ai pris tellement de coups, enterré tellement de proches, que je me demande parfois si mon coeur bat encore. Je vais oublier mon nom, je n'en ai pas besoin là où je vais, personne ne me connaît. Dans mon ventre, il y a un volcan qui me dépasse. Je ne suis de nulle part, je n'appartiens à aucune tribu, ma famille est décimée et je n'ai aucun ami. Après la mort de mon frère, j'ai marché pendant des heures sans m'arrêter sur une route abandonnée. Depuis je traverse les déserts. Je veux partir loin. La pluie a tout lavé dehors, mais pas la crasse du monde.
Ce n'est pas un jeu mais l'affrontement de deux hommes fatigués et abîmés par l'enfermement. Deux hommes isolés du monde des vivants. Deux hommes pour un seul royaume, Babel. (p.25)
Je suis fatigué de fuir, fatigué de mentir. Je ne veux plus être ce chien errant à qui l'on jette des corbeaux morts. (p.101)
(en parlant de son frère, mort en mer) : Il me manque. J'aurais tué la terre entière et vidé l'océan de sa bile malade pour le ramener à la vie. J'ai maudit le monde. J'ai maudit mes voisins compatissants, ma famille inutile, les pêcheurs bienveillants, les gardiens de phares affligés, les poissons innocents. J'ai maudit cette foule présente à la sortie de l'église, venue avec cette cruelle curiosité, soulagée que ce drame ait frappé à la porte d'à côté. J'ai maudit leurs yeux comptant les cercueils comme des vautours dans le ciel. J'ai maudit ce curé débitant des stupidités, croyant apaiser notre douleur, évoquant un esprit ou un Dieu, promettant l'éternité dans la mort, mais incapable de calmer la souffrance d'une mère face à la dépouille de son enfant. J'ai maudit ce brouillard et le phare de Roster qui n'a pas fait résonner sa corne de brume. J'ai maudit l'homme qui était de garde cette nuit-là. pp 91-92
Nous ne sommes que des voyageurs, des passagers du temps, nous divaguons pendant des lunes avant de nous éparpiller telles des cendres, portées par le vent. La vie est une bouée percée au milieu de l'océan.
Nous ne sommes que des voyageurs, des passagers du temps, nous divaguons pendant des lunes avant de nous éparpiller telles des cendres, portées par le vent. La vie est une bouée percée au milieu de l'océan.
Nous sommes deux moines enfermés dans un monastère des mers. (p.11)
Je sais, depuis ce jour que ma vie sera vouée à la survie des marins en mer, enfermé dans la solitude d'un phare. (p.29)
Margot... Je m'accroche aux souvenirs pour ne pas lâcher prise. A cette chaleur qui fit naître des perles sur ta peau. A mon bras autour de tes hanches, à ton souffle, à tes jambes, à tes cuisses, à tes seins lourds sous mes mains novices. A nos sueurs se mélangeant comme des peintures sur la toile d'une fresque volcanique. Margot... Je suis l'amant avide de ta douceur féminine. Dans la solitude de mon voyage j'apprends le chant des cormorans, des mouettes, des goélands et lorsque l'océan se déchaîne, je devine ton ombre sur ces murs qui me font face. Margot... Je suis un piètre poète, je m'invente auteur, je me rêve voyageur de tes nuits, convoyeur de tes rêves. Je suis un voyageur, mon âme te visite. Margot... Comme une fleur au vent.