Yeong-seo Yi

À force d'acheter des livres, j'en arrive à négliger ma garde-robe. Je ne supporte pas de devoir me priver d'un ouvrage dont j'ai envie. Les femmes dépensent beaucoup pour leurs toilettes ; moi, c'est dans ma bibliothèque que je mets tout mon argent.

(le seigneur Hong).

Depuis qu'il avait perdu son père, Jang avait du mal à demander l'aide de qui que ce soit, persuadé que personne ne s'intéressait à lui. (…) Il lui fallait travailler pour gagner sa vie, et chaque fois qu'il commettait une erreur, il devait la réparer en redoublant d'efforts. Et comme il ne voulait déranger personne, il essayait de se débrouiller seul tant bien que mal, ce qui lui rendait la vie encore plus difficile.

Les huit conditions les plus méprisées à l'époque étaient celles de moine, d'esclave, de boucher, de chamane, de saltimbanque, de croque-mort, de bourreau et de courtisane. (NdT).

Lorsqu'il avait demandé au seigneur Hong pourquoi il possédait tant de livres alors qu'il ne les lisait pas tous, celui-ci avait répondu :
- Il n'y a pas que le plaisir de les lire, il y a aussi celui de les collectionner. (…) Comme les écureuils qui amassent des glands dès l'automne, je fais provision de livres et je me sens rassuré et heureux d'être prêt à passer l'hiver.

[Jang] aurait tant aimé parler à quelqu'un de ses lectures ! Mais il n'avait personne pour lui prêter l'oreille. Les garçons de son âge se moquaient de lui et le tenaient à l'écart. Ils le trouvaient prétentieux de savoir lire alors qu'il n'était qu'un fils de roturier. (…)
Jang n'avait d'autres amis que les livres. Ils les dévoraient avec passion.

Avoir foi en l'égalité des hommes n'avait rien de dangereux ni de nuisible.

Jang avait appris des textes par cœur dès qu'il avait commencé à parler. Il n'était pas particulièrement intelligent, simplement il répétait ce que son père lisait à haute voix les soirs où il travaillait tard et craignait de céder au sommeil sur son écritoire. Pour l'encourager, son père ne manquait jamais de le féliciter. Grâce à lui, Jang sut manier le pinceau avant de se servir d'une cuillère. A tout instant, il écrivait, dans la poussière du sol avec ses doigts, dans l'air avec son pinceau quand il manquait de papier.

Il avait cru qu'avec l'âge, elle cesserait de se comporter comme une gamine. Or, elle était restée une vraie commère, incapable de garder un secret, avec en plus une tendance à l'affabulation.

J'aime prendre mon temps pour en choisir un [livre] et, une fois que j'en ai commencé la lecture, il me plaît de me sentir attiré vers un autre titre. De temps en temps, il m'arrive d'acheter quelques ouvrages sur les conseils de mon entourage. Comme les écureuils qui amassent des glands dès l'automne, je fais provision de livres et je me sens rassuré et heureux d'être prêt à passer l'hiver.

Cheonju Sileui, ouvrage écrit par Matteo Ricci, un missionnaire italien, avait introduit le catholicisme en Corée vers la fin du XVIIIe siècle. Cette religion, que les Coréens appelaient aussi " science occidentale ", avait alors tout de suite été interdite. Mais, en 1791, ayant célébré la cérémonie funéraire à la mémoire de sa mère selon le rite catholique, Yun Ji-choung, cousin du grand lettré Jeong Yak-yong, avait déclenché les persécutions à l'encontre des catholiques de Corée. Depuis, tous les livres sur cette religion étaient jugés nuisibles aux coutumes coréennes, et le gouvernement en avait interdit la vente, la lecture et la possession. La police pouvait débarquer sans prévenir dans les bibliothèques des nobles et mettre tout sens dessus dessous. La découverte d'un seul livre catholique valait à son détenteur d'être jeté en prison et torturé, comme cela était arrivé au père de Jang. Régulièrement, des exécutions d'adeptes de la nouvelle religion avaient lieu non loin de la librairie Yakkye.