Le problème avec l’autorité, c’est que si vous ne l’exercez pas, les autres cesseront de vous la reconnaître.
Le principe de la guerre, c’est de truquer le jeu, de droguer l’adversaire, de menacer de briser les rotules des membres de sa famille s’il ne se soumet pas.
Dans un sens, chaque bataille était un foyer : un foyer misérable, où les infimes erreurs étaient punies et où les grands mérites passaient inaperçus, mais un foyer tout de même.
L’Univers était régenté par la mort. Aucun merveilleux mécanisme d’horlogerie au monde ne pouvait stopper l’entropie. On pouvait collaborer avec la mort ou on pouvait la laisser faire, c’était tout.
En mathématiques, il y avait des évaluations collégiales, des preuves définitives et des réponses, mais la guerre n’était qu’incertitude multipliée par l’incertitude.
(…) un plan médiocre exécuté immédiatement valait mieux qu’un plan excellent mis en œuvre deux heures trop tard…
"Elle affirme s'appuyer sur une démocratie émergente.
- Une quoi ?
- (...) Une obscure forme expérimentale de gouvernement dans laquelle les citoyens choisissent leurs propres chefs ou leur politique en votant."
Cheris essaya de se l'imaginer en vain. Comment serait-il possible de former un régime stable de cette façon ?
— Qu’est-ce qu’ils vous ont dit ? demanda-t-elle.
— Au sujet de ma sortie ? Rien, répondit Jedao. L’information est une arme comme une autre. Et on ne me fait pas assez confiance pour me confier une arme.

Khiruev fixa l’arme de Jedao dans son holster. « Je vous ai trahi, général, grinça-t-elle. Ma mort est entre vos mains.
– Ce n’est pas le problème le plus important, général. »
Khiruev essaya de comprendre le sens de cette phrase. Jedao mettait un soin scrupuleux à s’adresser à elle par son grade. Que se passait-il ?
Ses yeux étaient glacials. « Vous avez merdé, général. Vous avez tué deux d’entre nous. S’il s’agissait de l’unité lanceuse d’aiguilles standard, elle contenait douze munitions et nous avons de la chance qu’elle se soit enrayée et qu’il n’y ait pas eu davantage de morts. »
La voix méprisante de Jedao fit trembler Khiruev.
« J’ai bien conscience de ma réputation. J’ai bel et bien massacré une armée Kel. Je suis donc bien placé pour savoir que les Kel ont un million de raisons de vouloir ma mort. Mais j’étais vraiment sérieux lorsque je parlais de mon intention de combattre les Hafn. » La bouche de Jedao se tordit. « Tuer des gens, c’est l’une des rares choses pour lesquelles je sois doué. C’est ma seule façon de me racheter. Et pour cela, j’ai besoin de soldats, pas de cadavres.
– Général », murmura-t-elle. Elle ne sut quoi dire ensuite.
« J’étais un agent Shuos, continua Jedao d’une voix plus calme, ce qui glaça le cœur de Khiruev. J’ai rapidement été transféré chez les Kel, mais vous seriez surprise d’apprendre combien d’assassinats on peut mener à bien en huit mois si votre Heptarque insiste. Il y avait des Kel entre moi et le drone, dont vous-même. A cause de l’instinct de formation, vous deviez attendre que je sois seul. Vous auriez pu m’envoyer le drone sur le chemin de la salle de réunion, à supposer qu’il fût prêt à ce moment-là. Vous étiez un peu derrière moi, mais vous auriez pu dominer l’instinct de formation suffisamment longtemps pour vous empêcher de me jeter au sol pendant que le drone faisait feu. Je suppose que vous n’avez pas construit une arme dotée d’une meilleure capacité de pénétration par manque de pièces adaptées. Quoi qu’il en soit, vous auriez pu facilement me tirer dans le dos. Si vous l’aviez fait de manière vaguement expérimentée, vous auriez récupéré votre essaim et ces officiers seraient toujours en vie. »
La première pensée de Khiruev fut qu’elle s’attendait à tout de cette conversation, mais sûrement pas à une critique de sa tentative d’assassinat. Et la seconde fut qu’elle aurait dû se douter que même un Shuos âgé de quatre cents ans et qui avait passé sa vie au service des Kel aurait conservé l’obsession des Shuos pour le niveau de compétence. « Cette option ne m’est pas venue à l’idée, répondit-elle simplement.
– Manifestement.
– Ma mort est entre vos mains, général. »

À l’académie Kel, une instructrice avait expliqué à la promotion de Cheris que le crible de seuil était une arme à utiliser en dernier recours, et pas seulement à cause de ses fameuses implications. Ladite instructrice avait eu l’occasion de voir un crible à l’œuvre. Le détail qui avait marqué Cheris n’était pas le fait que chacune des portes de la ville assiégée ait émis des radiations qui avaient cuit les habitants à mort. Ce n’était pas non plus les équations régulant l’arme, ni même l’œil gauche de l’instructrice, abîmé durant l’attaque et dans lequel brillait une lueur fantôme.
Ce dont Cheris se souvenait très bien, c’était l’aparté de l’instructrice : elle avait affirmé que retrouver des cadavres qui n’étaient rien d’autre que des cadavres, au lieu des radiations qui déformaient et foudroyaient les murs d’ombres noires, vitrifiaient les décombres et faisaient éclater les globes oculaires, avait été l’un des meilleurs moments de sa vie.
Cinq ans, cinq mois et seize jours plus tard, encerclée de chars éventrés et d’excavations fumantes sur l’avant-poste du monde Envasé des Anguilles hérétiques, la capitaine Kel Chéris de la compagnie Héron, 109-229e bataillon, en était venue à la conclusion que son instructrice leur avait raconté de sacrées conneries. Il n’y avait rien d’agréable à être extrait d’entre les morts, dont la chair s’était évaporée des os. Rien que des chiffres coupés en petits morceaux.
D’après le rapport, les Anguilles possédaient un générateur directionnel de tempêtes. Les tempêtes brouillaient les radioguidages. L’effet était localisé, mais c’était problématique lorsque des colonnes parallèles se retrouvaient aux extrémités d’une route, à une centaine de kilomètres de distance, et carrément fatal lorsque les mouvements sur la surface planétaire vous envoyaient dans les tréfonds du sous-sol. Si l’on se trouvait trop près, la tempête pouvait intégralement désintégrer vos composants atomiques. On avait assuré à Cheris et aux autres capitaines que les météophages contiendraient les tempêtes, et que tout ce que l’infanterie Kel aurait à faire, c’était d’atteindre le générateur et de s’en emparer.
Ça, c’était dix-huit heures plus tôt. Ce n’était pas l’échec du plan qui avait créé l’étonnement. C’était le carnage.