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EAN : 9782207144138
416 pages
Denoël (09/01/2020)
4.14/5   18 notes
Résumé :
Traître et fou sanguinaire mort depuis des siècles, mais stratège de génie qui n'a jamais perdu une bataille, le général Shuos Jedao a réussi à s'échapper après le massacre de la Forteresse des Aiguilles Diffuses. Il a pris possession du corps du capitaine Kel Cheris et s'est emparé d'un essaim de guerre envoyé en urgence dans la Marche Sectionnée pour repousser une incursion ennemie dans l'Hexarcat.
Mais quelles sont réellement ses intentions ? C'est ce que... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Si vous vous rappelez, j'avais été pas mal déstabilisée par ma découverte de l'univers ou plutôt ma lecture du premier tome des aventures de Jedao et Cheris, et j'avais hésité à continuer, mais le charme des couverture de Chris Moore a encore agi et j'ai cédé. Malheureusement, c'est encore le même verdict ^^!

Je continue à trouver l'univers de ces aventures fascinants. J'aime beaucoup la façon dont l'auteur nous dépeint les méandres des affaires politiques de l'Hexercat et de ses dirigeants les Hexarques. Je suis fascinée par le mode de vie de cette société qui fonctionne en suivant les principes d'un certain Calendrier. C'est fumeux mais intrigant. Dans ce tome, en plus l'auteur se concentre beaucoup là-dessus et nous avons des discussions qui nous en apprennent plus sur les différents corps de la société et notamment les Kel et leur endoctrinement appelé "instinct de formation". J'ai beaucoup aimé tout ce cadre mais, mais, mais, j'y viens, j'ai longtemps cherché l'intrigue...

En effet, dans cette saga, chaque tome a sa propre conclusion et on n'est pas obligé de continuer après l'avoir terminé, cependant si on en a envie, mieux vaut les lire dans l'ordre pour suivre. du coup, dans ce tome qui reprend quelques temps après les événements du précédents, on retrouve Jedao qui a réussi à s'échapper après le massacre de la Forteresse des Aiguilles Diffuses en s'emparant du corps du capitaine Kel Cheris avec qui il partageait l'esprit. Pour sécuriser ses bases, il s'est donc emparé d'un essaim de guerre qui passait par là et qui avait été envoyé en urgence pour repousse une incursion des ennemis de l'Hexercat : les Hafn.

Pendant longtemps, les trois quarts du tome en fait, nous suivons parallèlement Jedao qui prend le pouvoir dans cet essaim pour aller combattre contre les Hafn, et des agents de l'Hexercat qui enquêtent sur lui et cherchent à l'éliminer, tandis que les Hexarques se tirent dans les pattes. C'est extrêmement vague, flou. On saisit plein de bribes de conversations sans en comprendre toute la teneur. On voit bien des complots se mettre en place mais sans bien les comprendre. du côté de Jedao même punition, on est dans de la pure SF militaire donc ça parle sans cesse de manoeuvres sans qu'il y ait vraiment de grosses batailles hyper visuelles qui nous scotcherait, c'est plus comme une bataille navale et moi ça ne m'a jamais passionnée, donc je me suis longtemps ennuyée et je me suis perdue dans leurs discussions. 

Il n'y avait pas la même vivacité que celle portait par les échanges du duo Cheris-Jedao dans le premier tome. Celui-ci a beau entrer en relation duelle d'abord avec Khiruev, qui est sur le même vaisseau et qu'il doit convaincre pour prendre le commandement, puis avec Brezan, qui enquête sur lui, cela n'a pas du tout la même saveur. Même si c'est brillamment écrit, parce que clairement on adore la fluidité et le piquant de la plume de Yoon Ha Lee, je me suis empêtrée dans les palabres des uns et des autres.

Je le regrette d'autant plus que les discussions autour de l'endoctrinement, du libre-arbitre, de la sexualité, des enfants et des relations en général dans cette drôle de société m'ont passionnée. Tout le récit sur ce que subissent les Kel, pour pouvoir ainsi être capable d'obéir efficacement et rapidement sans hésiter, est fascinant et terrifiant à la fois. L'idée d'enquêter également sur le passé de Jedao pour déterminer s'il était vraiment fou et essayer de deviner ce qu'il projette est passionnant également. Malheureusement tous ces développements ne prennent que très peu de pages et sont noyés sous le reste.

Pour moi, l'intrigue n'a donc vraiment décollé que dans les cent dernières pages quand tout fait enfin sens après une révélation fracassante, que je n'avais pas vu venir personnellement. Là, tous les coups fourrés politiques, les mystérieuses enquêtes, les décisions alambiqués et les discussions révolutionnaires prennent sens. SPOILER : C'était d'un coup beaucoup plus vif, plus rapide et consistant. Enfin, j'avais l'intrigue que je cherchais désespérément. L'auteur réutilise alors tous les concepts vus précédemment tels que le Gambit, le Calendrier, l'Instinct de formation dans le seul but d'une expérience sociale et politique révolutionnaire. C'est passionnant mais il est dommage d'avoir dû attendre autant pour en arriver là...

Ce deuxième tome a donc souffert pour moi des mêmes limites que le premier. Je n'accroche décidément pas aux choix narratifs de l'auteur alors que j'adore sa plume. Mais cette volonté de nous passer à la centrifugeuse pour ne nous en sortir que dans les ultimes pages pour qu'alors toutes les bribes qu'on a entendues et les flashs qu'on a vus prennent un peu sens, me frustre énormément. Et si le lecteur n'a pas beaucoup de patience, je crains qu'il ne s'arrête avant d'en arriver là, ce qui serait dommage parce que l'auteur a de belles choses à raconter en termes de fausse société utopique et de révolution. Je serai malgré tout au rendez-vous pour le dernier s'il finit par sortir car je veux voir les effets des derniers événements, je veux voir la nouvelle société qui a été créée à son issue.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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Deux ans après avoir lu le tome précédent « le Gambit du Renard » je retrouve le général Shuos Jedao.
Génie militaire, mais aussi fou qui a massacré ses propres troupes. Il est sorti de la prison (« le berceau noir ») a pris possession du corps d'un capitaine.
Dans ce tome, il s'est emparé d'une flotte militaire. Il repousse un ennemi extérieur, mais son réel combat, ses buts restent mystérieux.
Quel est son véritable ennemi ?

Et c'est reparti pour un tour de science-fiction militaire.
Un tour sympathique, mais qui m'a moins emballé que le précédent.

Pourquoi ?

Certaines notions me demeurent toujours obscures. La société actuelle se définit par rapport à son adhérence au « Calendrier ». J'ai toujours le sourcil dubitatif qui se lève quand on parle d'hérésie calendaire, de l'interdit de posséder une montre. Quelque part cela prête à rire : « Les révolutionnaires sont ceux qui se passent de l'heure d'été ? »

Les combats spatiaux sont toujours émaillés de mise en place de formations. La faction militaire est obsédée ça. Il m'est arrivé de me dire « la formation bouclier averne c'est pour quand ? »

Quand la narration quitte le général, on se retrouve au milieu d'obscures intrigues de pouvoir qui prennent un peu trop de temps à aboutir.

Rassurez-vous le roman n'est pas sans qualités.

Je peux citer entre autres le fait de passer de temps au milieu des Kels (la fraction militaire du « régime »). On peut explorer toutes les nuances du conditionnement militaire au sacrifice, mais surtout leur conditionnement à l'obéissance et au respect de la hiérarchie.

Mais surtout l'auteur sait où il nous emmène avec une intrigue, des alliances, des personnages aux buts cachés bien ficelés.
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Quelques minutes après la fin du « Gambit du renard », l'intrigue machiavélique de ce space opera retors repart de plus belle, dans d'autres directions apparentes (mais le sont-elles ?), tout en approfondissant brillamment notre compréhension politique et philosophique du monde de l'Hexarcat.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/09/15/note-de-lecture-le-stratageme-du-corbeau-yoon-ha-lee/

Dès ces toutes premières lignes, « le stratagème du corbeau », publié en 2017 et traduit en français en 2020 par Sébastien Raizer chez Denoël Lunes d'Encre (avant de paraître en poche, chez Folio SF, en 2021), annonce la couleur : il démarre quelques minutes à peine après la fin du « Gambit du renard », en nous glissant dans le monologue intérieur d'un personnage qui deviendra bien vite essentiel, mais qui pour l'instant ne sait pas, lui, à notre différence, lectrice ou lecteur, ce qui s'est passé précédemment, à la Forteresse des Aiguilles Diffuses, précisément.

Comme dans le premier tome de cette trilogie annoncée, Yoon Ha Lee pratique à merveille son art de l'ellipse, de la suggestion et du dévoilement graduel sous forme d'énigmes discrètes, pleinement inscrit dans la grande tradition de la fiction spéculative (dans l'univers général du space opera ou ailleurs), qui use du langage et des ruses du vocabulaire, en mystère évocateur, pour laisser la lectrice ou le lecteur cheminer dans leur propre élaboration de ce qui est censé se dérouler sous leurs yeux.

Il est bien entendu hors de question de raconter ici quoi que ce soit quant à l'intrigue (ou plus exactement aux intrigues) de ce deuxième tome, et d'autant plus que cela engendrerait presque fatalement de sérieux spoilers vis-à-vis du premier tome. Sachez seulement qu'elle est passionnante et retorse à souhait (même si l'on devinera sans doute certaines directions suivies en sous-main par l'auteur, rançon peut-être de la méticuleuse polyphonie qu'il met en oeuvre – polyphonie qui s'exprime jusque dans les exotismes particuliers des vocabulaires et des syntaxes des différentes factions en présence, ainsi que dans les ironies spécifiques de leurs monologues intérieurs ou de leurs points de vue).

« le stratagème du corbeau » développe avec grand brio le tissu central de métaphores (autour du véritable sens de la maîtrise des horloges, et des guerres calendaires qui en découlent) qui donne son goût particulier au travail de Yoon Ha Lee sur l'architecture des pouvoirs et de ce qui fait tenir le réel (la Karin Tidbeck d'« Amatka » ne sera parfois pas si loin), tout en jouant pleinement des résonances possibles, dans ce genre science-fictif où les hommages intégrés sont souvent une véritable règle de vie et d'écriture (construire sur et avec les oeuvres qui ont précédé la sienne propre), avec, comme on l'avait mentionné à propos du premier tome, le David Brin de « Marée stellaire », l'Orson Scott Card de « La stratégie Ender », le David Zindell d'« Inexistence », l'Alastair Reynolds de « L'espace de la révélation », ou encore le Iain M. Banks du cycle de la Culture.

La qualité d'imagination développée pour enchevêtrer et toutefois toujours distinguer les modalités d'exercice du pouvoir réel au sein des différentes factions de l'Hexarcat, leurs spécificités d'incarnation et de personnalisation le cas échéant, la subtilité déployée pour explorer les chemins de la critique politique et sociale dans un univers aussi achevé en termes de contrôle des foules et de surveillance des esprits, les trésors de ruse prêtés à certains personnages pour inscrire des stratégies à l'intérieur d'autres stratégies (le « stratagème » du titre est évidemment amplement mérité, même en dehors de son strict contexte apparent d'usage), le maniement très maîtrisé, mais laissant néanmoins sa part au rêve, de la distanciation cognitive chère à Darko Suvin, tout cela fait d'ores et déjà de ce deuxième volume (en attendant l'achèvement de la trilogie) une très belle démonstration de ce que peut effectuer littérairement le space opera contemporain dès qu'il accepte d'être ambitieux et – étrangement – poétique.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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En Résumé : J'ai à nouveau passé un excellent moment de lecture avec ce second tome qui offre une intrigue qui happe dès les premières pages, offrant jeux de pouvoirs, manipulations, tension et surprises. Certes la fuite en avant de Jedao peut paraitre classique, mais c'est dans les différents niveaux de lectures et les différentes sous-intrigues que l'auteur rend l'ensemble dense et captivant. Concernant l'univers il est toujours aussi fascinant à découvrir, se posant moins sur ses lois et sa technologie et plus cette fois sur le pouvoir et l'aspect social. Il soulève ainsi de nombreuses réflexions que ce soit sur la notion de bonheur, de liberté, la notion de choix, mais aussi une réflexion sur les différences. Encore une fois, malgré c'est vrai un aspect austère d'un point de vue technologique, l'auteur ne tombe pas dans la Hard SF, offrant des explications simples et suffisantes. Concernant les personnages, j'avais un peu peur de ne pas retrouver la même alchimie que le premier tome avec Jedao et Cheris, mais l'auteur s'en sort, selon moi, très bien. Il compense par l'apparition de nouveaux personnages très intéressants à découvrir dans leurs visions de ce monde, mais aussi de la façon dont ils évoluent. La relation entre Jedao et Khiruev évite aussi clairement de répéter la relation du premier tome ce qui m'aurait frustré. Alors après je regretterai un twist vers la fin qui m'a paru facilement devinable et qui perd donc de son attrait, par moment une ou deux facilités et un ou deux passages un peu linéaires, mais franchement rien de très bloquant. La plume de l'auteur est toujours aussi entraînante, efficace et vivante et je lirai le troisième tome avec plaisir une fois qu'il sera publié.


Retrouvez la chronique complète sur le blog.
Lien : http://www.blog-o-livre.com/..
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J'ai trouvé ce tome 2 est peu moins intéressant que le premier tome.
Peut-être s'avère-t-il un peu plus classique dans son déroulé, même si certains éléments de l'univers de ce roman restent encore abscons et exotiques.
Il est néanmoins d'une lecture agréable et l'auteur sait une nouvelle fois nous tenir en haleine tout au long d'une histoire assez bien construite.
Petit à petit ce monde étrange se dévoile, s'éclaire et s'enrichit au fur et à mesure des évènements qui jalonnent cette deuxième partie.
On ne s'ennuie pas.
Si vous avez aimé le T1, j'ose espérer que celui-ci vous plaira également.
Pour ma part, j'attends la suite impatiemment.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Lorsque Neshte Khiruev avait onze ans (selon le haut calendrier), l’une de ses mères tua son père.
La journée avait été excellente, jusque-là. Khiruev avait trouvé le moyen d’attraper des abeilles à mains nues. On pouvait aussi les broyer, mais ce n’était pas le but. Il s’agissait de les approcher doucement par l’arrière et de les coincer entre pouce et index en appliquant une pression adéquate et résolue. Cela ne les gênait pas tant qu’on finissait par les relâcher délicatement. Elle voulait raconter cette astuce à ses mères. Cela n’aurait pas intéressé son père : il ne supportait pas les insectes.
Khiruev revint à la maison plus tôt que d’habitude pour leur montrer. Lorsqu’elle entra, elle entendit mère Ekesra et son père se disputer dans la pièce commune. Mère Allu, qui détestait les hurlements dès lors qu’il ne s’agissait pas des siens, était recroquevillée sur son fauteuil préféré et regardait ailleurs.
Son père, Khtero, était enseignant et mère Allu travaillait dans l’équipe de maintenance de l’éco-épurateur. Mais mère Ekesra était en fait Vidona Ekesra, et elle reprogrammait les hérétiques. La faction Vidona devait les rééduquer pour qu’ils se soumettent aux normes calendaires de l’Hexarcat, afin que tout le monde puisse s’appuyer sur les technologies singulières correspondantes.
Mère Allu parla la première, sans la regarder. « Va dans ta chambre, Khiruev. » Sa voix était étouffée. « Tu es une enfant pleine d’imagination. Je suis sûre que tu peux t’amuser toute seule jusqu’à l’heure d’aller au lit. J’enverrai un serviteur t’apporter le dîner. »
Ces paroles alarmèrent Khiruev. Mère Allu insistait sur l’importance de manger ensemble et de ne pas arriver à table en retard, par exemple quand elle avait passé trop de temps à démonter une vieille manette de jeu. Mais le moment ne semblait pas opportun pour la contredire, aussi se résolut-elle à traîner les pieds vers sa chambre avec obéissance.
« Non, déclara mère Ekesra alors qu’elle était presque dans le couloir. Elle a le droit de savoir que son père est un hérétique. »
Khiruev s’arrêta si brusquement qu’elle faillit trébucher. On ne plaisantait pas avec l’hérésie. Tout le monde savait ça. Est-ce que mère Ekesra tentait d’être drôle ? Ce qu’on racontait au sujet du manque d’humour des Vidona n’était pas vrai, mais une accusation d’hérésie…
« Laisse cet enfant en dehors de ça », dit le père de Khiruev. Sa voix était douce, mais les gens lui prêtaient attention lorsqu’il prenait la parole.
Mère Ekesra n’était pas d’humeur à l’écouter. « Si tu ne voulais pas la mêler à ça, répondit-elle de son ton de Logique Incontournable, que Khiruev redoutait particulièrement, tu n’aurais pas dû fréquenter ces déviants calendaires ou ces « réexécuteurs » ou quel que soit le nom qu’ils se donnent. À quoi tu pensais ?
– Au moins, je pensais, répliqua le père de Khiruev. Contrairement à certains membres de ce ménage. »
Malgré elle, Khiruev se rapprocha du couloir. Cette dispute allait mal finir. Elle aurait dû se tenir à l’écart.
« Ca suffit », dit mère Ekesra. Elle tira Khiruev par le bras jusqu’à ce qu’elle se trouve face à son père. « Regarde-la, Khtero. » Sa voix était froide et implacable. « Notre fille. Tu l’as exposée à l’hérésie. C’est une contamination. Tu ne tiens donc absolument pas compte des directives mensuelles de la Doctrine ?
– Arrête donc, Ekesra, répondit le père de Khiruev. Si tu as l’intention de me livrer aux autorités, finissons-en tout de suite.
– Je peux faire bien mieux », dit mère Eskera.
Khiruev n’entendit pas la suite parce qu’elle s’était rendu compte qu’en dépit de sa voix mécanique, des larmes coulaient sur les joues de mère Ekesra. Sans bien savoir pourquoi, Khiruev se sentit embarrassée.
« …jugement sommaire », déclara mère Ekesra. Quoi que cela veuille dire.
(…)
Son père ne broncha pas lorsque mère Ekesra posa ses mains sur ses épaules. D’abord, il ne se passa rien. Khiruev osa espérer qu’une réconciliation fût possible après tout.
Puis ils entendirent les engrenages.
De façon exaspérante, le son provenait de partout et de nulle part, cliquetait et claquait de manière déphasée, les rythmes changeaient en permanence, des carillons cristallins se désintégraient en bruits parasites. Lorsque la clameur devint plus forte, le père de Khiruev se mit à chanceler. Ses contours prirent une couleur d’argent terni, ses chairs s’aplatirent jusqu’à devenir une feuille translucide à travers laquelle on voyait des diagrammes désordonnés et un chaos de chiffres, les os et les vaisseaux sanguins se réduisirent à des entrelacs asséchés. La caresse mortelle des Vidona.
Mère Ekesra lâcha prise. Le corps-papier résiduel de son mari s’avachit par terre dans un horrible bruit de craquements. Mais elle n’avait pas terminé : elle était à cheval sur la propreté. Elle s’agenouilla pour ramasser la feuille et se mit à la plier. Le pliage du papier était un art propre aux Vidona. C’était également l’une des rares expressions artistiques que la faction Andan, qui par ailleurs se flattait de régner sur la culture de l’Hexarcat, traitait avec mépris.
Lorsque mère Ekesra eut fini de plier les deux cygnes enchevêtrés – un travail remarquable qui aurait mérité l’admiration si l’on n’avait su que le papier avait été un homme -, elle les posa et alla dans les bras de mère Allu où elle se mit à pleurer pour de bon.
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Khiruev fixa l’arme de Jedao dans son holster. « Je vous ai trahi, général, grinça-t-elle. Ma mort est entre vos mains.
– Ce n’est pas le problème le plus important, général. »
Khiruev essaya de comprendre le sens de cette phrase. Jedao mettait un soin scrupuleux à s’adresser à elle par son grade. Que se passait-il ?
Ses yeux étaient glacials. « Vous avez merdé, général. Vous avez tué deux d’entre nous. S’il s’agissait de l’unité lanceuse d’aiguilles standard, elle contenait douze munitions et nous avons de la chance qu’elle se soit enrayée et qu’il n’y ait pas eu davantage de morts. »
La voix méprisante de Jedao fit trembler Khiruev.
« J’ai bien conscience de ma réputation. J’ai bel et bien massacré une armée Kel. Je suis donc bien placé pour savoir que les Kel ont un million de raisons de vouloir ma mort. Mais j’étais vraiment sérieux lorsque je parlais de mon intention de combattre les Hafn. » La bouche de Jedao se tordit. « Tuer des gens, c’est l’une des rares choses pour lesquelles je sois doué. C’est ma seule façon de me racheter. Et pour cela, j’ai besoin de soldats, pas de cadavres.
– Général », murmura-t-elle. Elle ne sut quoi dire ensuite.
« J’étais un agent Shuos, continua Jedao d’une voix plus calme, ce qui glaça le cœur de Khiruev. J’ai rapidement été transféré chez les Kel, mais vous seriez surprise d’apprendre combien d’assassinats on peut mener à bien en huit mois si votre Heptarque insiste. Il y avait des Kel entre moi et le drone, dont vous-même. A cause de l’instinct de formation, vous deviez attendre que je sois seul. Vous auriez pu m’envoyer le drone sur le chemin de la salle de réunion, à supposer qu’il fût prêt à ce moment-là. Vous étiez un peu derrière moi, mais vous auriez pu dominer l’instinct de formation suffisamment longtemps pour vous empêcher de me jeter au sol pendant que le drone faisait feu. Je suppose que vous n’avez pas construit une arme dotée d’une meilleure capacité de pénétration par manque de pièces adaptées. Quoi qu’il en soit, vous auriez pu facilement me tirer dans le dos. Si vous l’aviez fait de manière vaguement expérimentée, vous auriez récupéré votre essaim et ces officiers seraient toujours en vie. »
La première pensée de Khiruev fut qu’elle s’attendait à tout de cette conversation, mais sûrement pas à une critique de sa tentative d’assassinat. Et la seconde fut qu’elle aurait dû se douter que même un Shuos âgé de quatre cents ans et qui avait passé sa vie au service des Kel aurait conservé l’obsession des Shuos pour le niveau de compétence. « Cette option ne m’est pas venue à l’idée, répondit-elle simplement.
– Manifestement.
– Ma mort est entre vos mains, général. »
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Les troupes auxquelles appartenait le lieutenant-colonel Kel Brezan venaient d’être désignées pour contenir l’invasion Hafn. Brezan s’était préparé au chaos, mais pas à ce point. Dix-huit jours plus tôt, le général Kel Khiruev avait dû faire appareiller son essaim en urgence après que les Hafn avaient assassiné le général Kel Chrenka. Brezan savait d’expérience que les assassinats n’avaient jamais rendu les choses moins chaotiques.
Brezan était l’un des officiers personnels de Khiruev. C’était une situation qui dépassait toutes ses espérances au vu des notations ambiguës qui émaillaient son dossier. L’essaim de Khiruev était véritablement énorme, ce qui en disait long sur la menace que le commandement Kel avait anticipée. Brezan était impressionné qu’ils aient réussi à trouver autant de monde dans un délai aussi bref. Ils avaient confié à Khiruev l’une des six phalènes de cendres de l’Hexarcat, le plus grand et le plus puissant des vaisseaux de guerre, qui était aussi la phalène de commandement, la Hiérarchie des Célébrations. L’essaim comprenait également cent dix-neuf phalènes-bannières additionnelles et quarante-huit phalènes éclaireuses. Le commandement Kel les avait informés que les Hafn avaient progressé jusqu’à la Marche Sectionnée, une région de l’espace réputée pour son calme aussi loin que Brezan pouvait s’en souvenir, et qui, par conséquent, était aussi mal préparée à la guerre qu’on puisse l’être. Pourtant ils étaient là, à faire le pied de grue dans une zone de transfert parce que le commandement Kel, dans sa sagesse infinie, avait décidé qu’il était important d’attendre l’arrivée à leur bord d’un capitaine porteur d’ordres secrets, que cela valait la peine de maintenir sur place l’essaim de Khiruev.
Brezan avait passé les soixante-treize minutes précédentes à étudier le profil de cette maudite femme et s’était retenu de balancer des coups de pied dans le terminal. Peu lui importait à quel point elle était douée pour la guerre calendaire. S’il n’avait pas de nouvelles de son transfert dans les douze minutes, il allait recommander de partir quand même, en envoyant le commandement Kel se faire voir. Les Hafns avaient déjà transformé les centres urbains de huit planètes en ruines cristallisées. La priorité était de les combattre.
Capitaine Kel Cheris. Les récents rapports à son sujet indiquaient qu’elle était expérimentée en mathématiques, ce qui était une aptitude rare pour un officier d’infanterie. Les Nirai, la faction qui comptait le plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs de l’Hexarcat, avaient tenté de la recruter. Toutefois, elle avait à cœur de devenir Kel – Brezan était bien placé pour la comprendre – et, comme le voulait la blague, les Kel ne refusaient jamais aucun volontaire.
Chose encore plus curieuse, Cheris était une Mwennin, une minorité dont personne n’avait jamais entendu parler. Certes, dans un régime politique interstellaire qui comprenait une infinité de systèmes, il n’y avait là rien de surprenant, mais généralement les Mwennin s’efforçaient de faire profil bas et évitaient de servir dans les factions. Brezan était convaincu qu’on tolérait leur existence uniquement parce qu’ils étaient très peu nombreux, même dans le système où ils s’étaient installés, et parce que, entre les hérétiques et les étrangers – qui pouvaient également se révéler être des hérétiques -, l’Hexarcat avait déjà suffisamment de problèmes à régler. Toutefois, étant donné ses origines, Cheris s’en était plutôt bien sortie.
Brezan ne parvenait pas à refréner un élan d’amertume lorsqu’il y pensait. Il venait d’une honorable famille Kel, sa soeur aînée travaillait pour le général Inesser, bon sang ! Mais il n’irait jamais aussi loin, il en était conscient. Lorsqu’ils croyaient qu’il ne les entendait pas, certains soldats faisaient des commentaires méprisants sur son état féminiforme. Mais ses collègues officiers se montraient courtois à ce sujet, et c’était tout ce qui comptait pour lui. Cependant, dans son dossier, les mentions relatives à son impulsivité et à son mode de pensée non conventionnel avaient entravé son avancement.
Cheris non plus n’avait pas réussi à éviter les problèmes, même si les rapports passés la concernant étaient bons. Récemment, elle avait participé au siège de la Forteresse des Aiguilles Diffuses, qui avait été prise par les hérétiques, de connivence avec les Hafn. brezan soupçonnait que le dossier omettait une information importante, mais la plupart des rubriques pertinentes étaient classifiées. Les demandes de renseignements du général Khiruev lui-même avaient abouti à une fin de non-recevoir.
Mieux encore, le commandement Kel avait déployé le général non mort Shuos Jedao à la Forteresse des Aiguilles Diffuses. Personne ne contestait le génie stratégique de Jedao, mais c’était un fou qui avait massacré deux armées à la Forteresse de la Vrille Infernale, dont la sienne. L’essaim Kel envoyé pour négocier avec les hérétiques de la Forteresse avait été éradiqué, vraisemblablement par Jedao en personne. Maintenant, il était censé être mort pour de bon, mais qui pouvait réellement l’affirmer ? Après tout, au cours des siècles passés, le commandement Kel l’avait mystérieusement réanimé pour s’en servir en cas d’urgence.
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Jedao modifia quelques chiffres sur son écran tactique auxiliaire, les vérifia puis leva les yeux. « Groupe Tactique 5, adoptez la formation l’Hirondelle Brave l’Épine. Ensuite, approchez frontale-ment le grand axe du fuseau de l’avant-garde jusqu’à ce que vous soyez à portée de balayage maximal. La phalène éclaireuse 7 va se placer… » Il précisa les coordonnées. « Tous les autres groupes tac-tiques, adoptez la grande formation du Faucon Bourreau avec centre invalide proéminent et la phalène de commandement en tant que pivot principal. Commandants de phalènes, confirmez. »
Les confirmations illuminèrent le terminal d’élégantes colonnes ambrées correspondant aux groupes tactiques et aux escadrilles de phalènes éclaireuses. Les yeux du commandant Janaia pétillaient.
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— Dites-moi, s’exaspéra Mikodez, que feriez-vous donc s’il n’y avait pas une guerre en cours ? »
Jedao hésita. Durant un instant, ses yeux eurent un éclat de jeunesse déchirant. « Je ne sais pas. Je ne sais rien faire d’autre. »
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