
Dans l’agora autour de moi, les conversations se sont à peine interrompues. Flavie et Renaud me font des têtes de «qu’est-ce t’as fait?», je leur réponds par une grimace de «je le sais bien pas». C’est une de ces journées où on est bavards de la face, mes meilleurs amis et moi. Les grands yeux trop verts de Flavie me fixent avec intensité. Ils semblent hurler «bien vas-y!» à la place de sa bouche de geisha. Elle déteste que je lui dise qu’elle a une bouche de geisha. D’ailleurs, pour le reste, la comparaison ne pourrait pas être pire. Si mon amie se classe facilement parmi les dix plus belles filles de l’école, ce n’est pas grâce à ses efforts surhumains d’architecture capillaire et de maquillage élaboré. Mais que voulez-vous, ses quatre pieds huit pouces, ses jeans plutôt masculins, ses t-shirts assez amples et sa queue de cheval courte parviennent à la rendre plus féminine que la plupart des «pitounes» au mascara épais et aux lèvres écarlates.
«Bouge!» s’exclame la claque que Renaud m’assène derrière l’épaule. Il la voulait peut-être délicate, mais la délicatesse et le trop grand et bâti Renaud, ça fait deux.
Je sors finalement de mon immobilisme pour me diriger vers le bureau de monsieur Guilbert, le nouveau directeur depuis le retour des vacances des Fêtes, il y a deux semaines. La microsociété de l’école des Hêtres vit toujours dans l’inconnu: gérera-t-il son royaume en tyran ou en nounours? En près de cinq ans, on a connu de tout, ici. Le dernier, monsieur Tardif, était surnommé «Dictatardif». Maintenant qu’il est mort d’une crise cardiaque, la plupart d’entre nous se gardent une petite gêne.
C’est donc avec un soupçon d’inquiétude dans la démarche que je traverse l’allée centrale, en direction du secrétariat général. Je contourne les groupes d’élèves, en salue quelques-uns au passage.
Le directeur ne veut quand même pas me rencontrer parce que j’ai coulé mon examen de maths! L’ajout subtil au graffiti dans les toilettes des gars près de l’aile B ne vaut pas non plus ce déplacement. Quand on dessine madame Bertrand, prof de maths de deuxième secondaire, c’est un crime d’oublier la moustache…
J'aurais aimé que la porte se referme lentement derrière moi. Pour le côté cinématographique. La caméra qui reste à l'intérieur, moi qui avance d'un pas décidé, la porte qui me fait doucement disparaître, générique. Mais non, d'autres étudiants m'ont suivie de trop près. Ils extériorisent leur bonheur d'être enfin en vacances et d'avoir terminé ce DEC qui nous a rendus fous même si "attends t'as rien vu, l'université...bla bla bla." Je devrais être au moins enthousiaste, comme ces gâcheurs de jolie scène au ralenti. Mais non, je me sens juste... tranquille. La faute de la fatigue, je présume.
L’avion se pose sur la piste de l’aéroport de San José, la capitale du Costa Rica. C’est, pour mes parents, ma grande sœur de quinze ans, Stéphanie, et moi, le début de toute une aventure!
- C’est génial, Étienne ! Un autre gai ! Tu vas pouvoir avoir un chum!
Qu’est-ce que c’est que ce commentaire ridicule? Évidemment, mettre deux homosexuels dans la même polyvalente (qui en contient déjà probablement bien plus!) mènera à un mariage heureux! Bienvenue à « Occupation Double, version des Hêtres »! Je lance un regard découragé vers Jean-Bastien. Le pauvre gars va se demander dans quelle école d’imbécile il vient de tomber!
— Monsieur le dragon, est-ce que ça te dirait de nous laisser passer? essaie Juju.
Le dragon répond:
— Je préférerais… te manger.
Justine refuse de servir de repas à une bête parlante! Elle sort son épée dans un grand CHLIIIIIING !
Le dragon essaie de repousser l’arme, mais il se pique le bout du museau. La bataille est serrée. Justine est rapide, mais son ennemi est si gros !
Soudain, le dragon s’arrête et flaire quelque chose. On dirait un petit pot de yogourt, tombé près de lui!
Justine se retourne et elle aperçoit Mélodie, fière de son coup. Pendant que le dragon dévore sa collation, les filles se sauvent à toute vitesse ! Une fois hors de danger, Mélodie explique:
— William m’a donné sa collation. Il ne mange plus de bleuets depuis qu’un petit fruit est resté coincé dans sa narine.
Je sais maintenant quel type de directeur est à la tête de l’école des Hêtres: la mère Teresa. Il cherchait une victime à sauver, il voit maintenant un gars en pleine possession de ses moyens sortir de son bureau. Je pense qu’il est un peu déçu.
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