« [Groethuysen] expose de manière abrupte les problèmes inhérents à la philosophie et à l’histoire, et pose quatre questions fondamentales : 1- si la philosophie contient des vérités, pourquoi, au lieu de simplement les exposer, en faire l’histoire ? ; 2- si les philosophies contiennent des erreurs, pourquoi les conserver, en en retraçant l’histoire ? ; 3- si les philosophies ne contiennent que des conjectures, pourquoi s’y arrêter, au lieu de vouloir « se conduire soi-même » et chercher des certitudes ? ; 4- si la philosophie ne contient que des opinions, est-ce encore de la philosophie ? »
Bernard Dandois
la philosophie elle-même devient une fonction vitale ; elle n’est, sous une forme plus consciente, qu’une continuation de l’effort qu’on constate chez tout être vivant. Mais les philosophes, se méprenant sur la vraie nature de leurs propres aspirations, se sont dressés contre la vie, ont prétendu lui imposer leurs formules. Ce fut là leur tragique erreur. Ils n’ont pas su voir que ce qui représente en soi un éternel devenir ne saurait prendre de forme fixe, pour se reproduire aussi indéfiniment dans l’esprit des êtres vivants, même assujettis à la loi du devenir. Aucun d’eux ne s’est rendu compte que tout ce que nous pouvons dire sur la vie ne nous permettra jamais d’en faire un objet dont la pensée pourrait se saisir pour le définir et en rendre raison.
Le philosophe, qui aura compris le vrai caractère de toute philosophie, saura éviter les erreurs du passé. Il ne croira plus aux idées et aux valeurs éternelles, pas davantage aux formes qu’aux âmes immortelles. Les « vérités éternelles » ne sont à ses yeux que des fantômes, et il aura reconnu que prétendre connaître les choses n’est qu’une illusion. Ainsi plus de ces idoles qui hantaient l’esprit de ces métaphysiciens. La chose en soi et la connaissance comme telle seront devenues pour lui des fictions. Les concepts et tout ce qui est du domaine de l’esprit ne lui apparaîtront plus que sous la forme du devenir. Aussi se sentira-t-il plus proche d’Héraclite et d’Empédocle, dira Nietzsche, que d’un Leibniz ou d’un Kant.
Un système métaphysique est donc une image du monde conforme à une certaine tournure d’esprit, pouvant être considéré comme caractéristique pour un type d’humanité bien défini. Sur ce point comme sur bien d’autres, Simmel est d’accord avec Dilthey.
pour l’être humain, qui vit et agit, le monde ne serait toujours exister qu’en fonction d’une vie. Le monde pour chacun est « son » monde, c’est le mieux dans lequel il vit, conçu sous des formes plus générale et étendu au-delà de ce qu’il voit, mais qui ne saurait toujours être que relatif, c’est-à-dire qu’il ne pourra être saisi en dehors de ses rapports avec la vie.
S’il est prouvé au philosophe que ses théories ne correspondent pas aux faits, son oeuvre ne sera q’un ensemble de fictions. Cela veut-il dire qu’elle soit sans valeur ? Pas nécessairement. Il y a des fictions qui sont belles. Pourquoi ne rangerait-on pas les systèmes des philosophes parmi les oeuvres d’art ?
Les problèmes que pose l’histoire de la philosophie, envisagée dans ses rapports avec la philosophie, peuvent se résumer de la façon suivante : 1. si la philosophie contient des vérités, pourquoi, au lieu de simplement les exposer, en faire l’histoire ? 2. Si la philosophie contiennent des erreurs, pourquoi les conserver, en en retraçant l’histoire ? 3. Si les philosophie ne contiennent que des conjecture, pourquoi s’y arrêter, au lieu de vouloir « se conduire soi-même » et chercher des certitudes ? Enfin il y aura une quatrième question : si la philosophie ne contient que des opinions est-ce encore de la philosophie ?
Tout tend en [Diderot] vers une générosité dans laquelle sera confondue la compréhension pour tout ce qui est humain avec l’enthousiasme des grandes actions. Lui-même ne saura pas donner une forme à cet idéal. Chercheur et curieux, il s’écoute, il laisse ses pensées errer ; elles s’étendent et s’agrandissent ; leur vie le déborde. Cette vie il voudrait la saisir, lui donner corps dans des formes grandes et sublimes ; mais la vie lui échappe, et il ne reste plus que l’individu ému devant la grandeur des idées et des images, que son imagination lui a créées.
Je m’imagine quelque adolescent inquiet, aux aspirations encore confises, mais ayant déjà fixé quelques points, entrevu telle idée soupçonné telle valeur, recherchant quelque manière de dire aux autres ce qu’ils sont et ce qu’ils pensent. Quel est le genre qu’il choisira pour le faire ? Si dans tel pays je ne crois pas trop me risquer en prédisant qu’il écrira un roman, rien ne m’empêchera de prévoir, avec quelques chances d’avoir raison, qu’en Allemagne notre adolescent pensera à faire une philosopgie.
C’est l’être vivant qui perçoit, qui constate et juge, qui unit et désunit les choses, qui affirme et qui nie, c’est lui qui se forme une image du monde et y situe les événements et non l’esprit pur. Le « Je vis » est à l’origine de toute chose ; tout, pour chacun de nous, n’existe qu’en fonction d’une vie. Voir, penser, sentir, vouloir ne sont que différentes expressions pour vivre, et vivre veut dire créer des valeurs.