(...) elle se surprit à repenser aux cadavres qu'elle avait contribué à exhumer des charniers autour de Srebrenica et sur les collines pentues de Kigali. Aux efforts que faisaient les assassins pour effacer l'identité des défunts. A la façon dont cela empêchait les survivants de faire le deuil, d'accomplir des rites apaisants, que ce soit la toilette du défunt, une cérémonie suivie d'une crémation ou d'un enterrement, ou le rituel thérapeutique qui consistait à aller se recueillir sur la tombe de leurs proches le restant de leur vie.
L'absence de ces rituels torturait les survivants - des personnes qui n'avaient peut-être jamais été en contact avec leurs bourreaux. C'était de cette façon que les tueurs semaient les germes de bouleversements qui se produiraient dans l'avenir.
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L'odeur vivifiante de l'eucalyptus chauffé au soleil s'intensifia avec la brise. Jayne contempla les arbres chatoyants en bordure de l'autoroute 101, puis se tourna vers l'agent de la California Highway Patrol. Pendant qu'il écoutait les instructions émises par la radio, son regard s'arrêta sur l'arceau de la Jeep décapotée, plongea sur les deux caisses à outils identiques rangées à l'arrière, puis remonta sur la silhouette menue de Steelie, une main sur le volant et l'autre posée nonchalamment sur le levier de vitesse, les yeux dissimulés sous la visière d'une casquette vieux rose.
- C'est vous les scientifiques ? demanda l'agent en faisant signe à leur escorte d'avancer.
Quelques mètres plus loin, une moto vrombit. Son conducteur s'approcha de la voiture, mit un pied à terre et se retourna, le bas du visage impassible sous son casque et ses lunettes noires. Steelie lui adressa un vague salut, puis le motard démarra.
Les deux jeunes femmes le suivirent en slalomant entre les voitures de police qui avaient transformé le parking de Sunkist en un véritable labyrinthe. La moto du CHP fila en trombe à l'angle nord-ouest et les abandonna devant un mur de Chevrolet Suburban bleu nuit. Steelie arrêta la Jeep. Les Suburban étaient garées en quinconce, moteur en marche et phares allumés. Les deux jeunes femmes patientèrent en espérant voir quelqu'un bouger derrière les vitres teintées. Rien.
- J'aperçois ton copain, dit-elle.
Sans se redresser, Jayne s'immobilisa sur le deuxième lacet.
- Ce n'est pas mon copain.
- En tout cas, il vient vers nous et... apparemment, il a toujours la même tignasse blond foncé sur un front plissé sur des yeux verts sur un petit sourire en coin sur un mètre quatre-vingts de je-ne-sais-pas-ce-qu'il-y-a-sous-ce-costume-mais-j'en-veux-bien !
Amusée, Jayne se releva en pensant que Steelie exagérait, mais ce n'était pas le cas. De loin, l'agent spécial Scott Houston n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, cinq ans plus tôt, à Quantico. Elle jeta un coup d'oeil à Steelie qui était en train de retirer sa casquette ; à ses cheveux blonds courts et hirsutes se mêlaient des fils argentés, et ils ne se limitaient plus aux mèches au-dessus des oreilles qui lui avaient valu son surnom depuis l'adolescence. De son côté, Jayne avait l'impression d'avoir soixante-cinq ans et non trente-cinq, quelques-uns des signes extérieurs ne trompant pas. Soudain mal à l'aise, elle descendit de la Jeep au moment même où Scott arrivait à la hauteur du pare-choc avant. Elle remarqua qu'il la toisait en vitesse de la tête aux pieds. Sans un mot, ils se serrèrent la main.
- C'est vous les scientifiques ? demanda l'agent en faisant signe à leur escorte d'avancer.
Quelques mètres plus loin, une moto vrombit. Son conducteur s'approcha de la voiture, mit un pied à terre et se retourna, le bas du visage impassible sous son casque et ses lunettes noires. Steelie lui adressa un vague salut, puis le motard démarra.
Les deux jeunes femmes le suivirent en slalomant entre les voitures de police qui avaient transformé le parking de Sunkist en un véritable labyrinthe. La moto du CHP fila en trombe à l'angle nord-ouest et les abandonna devant un mur de Chevrolet Suburban bleu nuit. Steelie arrêta la Jeep. Les Suburban étaient garées en quinconce, moteur en marche et phares allumés. Les deux jeunes femmes patientèrent en espérant voir quelqu'un bouger derrière les vitres teintées. Rien. Steelie laissa tourner le moteur.
- Si on était à Buenos Aires aux alentours de 1978, on se sauverait à toutes jambes !
Jayne acquiesça d'un murmure. Au bout de quelques secondes, elle releva ses lunettes de soleil pour dompter ses cheveux que le vent avait emmêlés, puis elle se pencha et fit un double noeud à ses bottines.
Finalement, Steelie coupa le moteur.
Je t'assure, c'est très bizarre quand ta propre mère ne te reconnaît pas.
On se demande qui on est.