... il avait poursuivi son voyage jusqu'à Pompéi pour y chercher d'éventuelles traces de la jeune femme. Et ce, au sens propre du terme; car, avec sa façon bien personnelle de marcher, Gradiva avait dû obligatoirement laisser dans la cendre les empreintes de ses orteils, distinctes de toutes les autres.
C'était donc, une fois enocre, une créature de rêve qui se déplaçait sous ses yeux dans la lumière éclatante de midi, et pourtant c'était aussi une réalité. La preuve lui en fut donnée par l'effet qu'elle produisit sur un grand lézard allongé immobile dans les chauds rayons du soleil sur la dernière pierre, près du trottoir d'en face. Le corps scintillant de l'animal, comme fait d'or et de malachite, était parfaitement visible et, devant le pied qui approchait, Norbert le vit glisser brusquement au bas de la pierre et s'enfuir sur les blanches dalles de lave de la rue.
Ce qu'il y avait eu de surprenant pendant que Zoé parlait, c'était sa ressemblance frappante avec la Gradiva du bas-relief, non seulement dans les traits du visage, la silhouette, les yeux intelligents, chevelure aux ondulations charmantes, mais aussi dans la gracieuse démarche qu'elle lui avait donné à voir à plusieurs reprises. Robe et fichu en fin cachemire aux nombreux plis complétaient cette extraordinaire ressemblance. Il pouvait bien y avoir eu beaucoup de folie à croire qu'une femme de Pompéi ensevelie sous les cendres du Vésuve deux mille ans auparavant se retrouve par moments vivante, marche, parle, dessine et mange du pain. Mais, quand la foi rend heureux, ne fait-elle pas accepter aussi une bonne dose de mystère ?
Pourtant, petit à petit, grâce à sa ténacité, il rassembla un certain nombre d'observations qui l'amenèrent à découvrir des différences dans les démarches. Certaines femmes progressaient lentement, d'autres allaient d'un pas vif, d'autres encore avaient une allure lourde, d'autres enfin se déplaçaient avec légèreté. Quelques-unes laissaient glisser la plante de leur pied au ras du sol; rares étaient celles qui la relevaient obliquement en un mouvement plus gracieux. Mais chez aucune il ne retrouva la démarche de Gradiva.