Tirant enseignement de son expérience clinique, Jean-Claude Maleval montre que la psychanalyse avec des sujets psychotiques gagne à s'orienter sur une conversation qui vise l'apaisement de la jouissance dérégulée plus que le déchiffrage de l'inconscient.
Le déclin de la référence à la psychanalyse et la médicalisation de la maladie mentale dépossèdent le patient d'un quelconque savoir à l'égard de ses troubles et de la valeur de sa parole. Ainsi la pratique clinique hospitalière s'est grandement appauvrie dans l'art de la rencontre et du dialogue. Or Jean-Claude Maleval rappelle que les psychoses ordinaires et extraordinaires s'ancrent dans une logique subjective qui doit être prise en compte dans leur traitement.
Tirant enseignement de son expérience clinique, il montre que la psychanalyse avec des sujets psychotiques gagne à s'orienter sur une conversation, qui vise l'apaisement de la jouissance dérégulée plus que le déchiffrage de l'inconscient. Ces conversations psychanalytiques s'inspirent de stratégies spontanément utilisées par les sujets psychotiques pour tempérer leur angoisse : productions d'écrits, de phénomènes psychosomatiques, de passages à l'acte, voire recours à l'absence de désir, aussi bien qu'à des fantasmes ou des symptômes originaux. Celles-ci témoignent d'une grande créativité qui n'a rien en commun avec les déficits cognitifs auxquels la psychiatrie actuelle tend à réduire la psychose.
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Cette solitude recherchée, bien repérée comme nécessaire pour éviter la persécution, constitue probablement le principal produit de la cure [psychanalytique]. Il arrive en effet que l’issue de celle-ci pour le sujet psychotique soit la mise au point d’une solitude acceptée, manière de tenir l’Autre à distance, au prix d’une mortification du désir.
Le langage n’est pas pour l’homme un instrument, il est bien plus que cela : l’Autre corps du parlêtre nécessaire à l’animation de sa jouissance.
L’approche lacanienne du psychotique ne prône ni un renforcement du moi, ni une orthopédie des fantasmes, ni l’analyse d’un noyau abyssal ; en revanche, elle parie sur les capacités du sujet à construire une suppléance ou un pare-psychose. C’est en se réglant sur la position éthique d’objet a que l’analyste doit soutenir ce pari, c’est-à-dire en ne voulant rien pour son patient. Pas même parfois de l’empêcher de délirer.
L’émergence de la lettre, qui constitue le réel du signifiant, élément symbolique, résulte d’une rupture de la chaîne signifiante, qui seule permet d’en isoler un de ses constituants. Il apparaît dès lors que la carence de la signification phallique, conséquence de la forclusion du Nom-du-Père, qui suscite le déchaînement du signifiant, constitue le phénomène situé au fondement des troubles du langage du psychotique.
« Depuis ma maladie, confie un patient, je m’intéresse aux mots. » L’émergence d’un singulier attrait pour le langage chez des sujets psychotiques s’avère trop manifeste pour ne pas avoir été noté de longue date. A la fin du XIXe siècle, quand Tanzi souligna la « logolâtrie » de certains d’entre eux, on avait déjà bien constaté de surcroît leur propension à la création de néologismes.
L’incohérence de certains écrits [psychotiques] résulte pour une grande part de l’utilisation de la sonorité du vocable comme moyen d’union pour enchaîner les idées.
Quel est le retentissement de l’équivalence des trois dimensions de la chaîne borroméenne, affirmée dans les années 70, sur la forclusion du Nom-du-Père, concept introduit dans les années 50, du temps du primat du symbolique ? La principale modification réside dans l’accent mis sur la pluralisation du Nom-du-Père.
Ce n’est pas la production de néologismes, qu’elle soit riche ou discrète, qui signe la structure psychotique, mais leur fonction pour le sujet. Les créations de l’inconscient générées par les fantasmes ne sont pas à confondre avec l’émergence de lettres coupées de la représentation.
L’instauration du refoulement originaire est la condition pour que le symbolique prenne le réel dans sa trame. Toutefois, ce procès ne va pas sans une perte. Un point de non-sens s’ouvre au fondement du sujet.