Difficile de ranger ce livre dans une catégorie, tant "Le cloître" s'amuse d'un mélange des genres qui brouille les pistes tout en se réclamant de plusieurs registres à la fois. Couverture et résumé nous laissent imaginer un thriller historico-hésotérique à la "Da Vinci Code", avant que l'accent sur les relations entre les personnages ne fasse pencher la balance vers le thriller psychologique. Le résultat n'en est que plus intéressant : pour peu qu'on accepte de perdre le contrôle sur la lecture et de laisser l'autrice nous guider (voire nous balader), on découvre un petit bijou de noirceur et de manipulation qui vaut tout-à-fait le détour.
Le premier atout, très séduisant, de ce roman est sans conteste son décor. Le cloître choisit en effet comme cadre principal de l'action The Cloisters, le réel musée médiéval de la ville de New York. Ce lieu incongru est constitué de cloîtres et bâtiments religieux européens reconstruits pierre par pierre autour d'une structure néogothique en 1938. Vestige médiéval au cœur d'une ville de béton et de fer qui n'a jamais connu de Moyen-Âge, The Cloisters confère au roman de Katy Hays une atmosphère unique, de celles qu'on étiquette aujourd'hui de l'appellation "Dark Academia". Bibliothèques, archives et secrets d'alcôve s'y entremêlent dans un clair-obscur envoûtant. A n'en pas douter, le musée est ici un personnage à part entière du livre.
Le sujet transversal – l'étude des tarots divinatoire à travers l'Histoire – apporte également une consistance assez fascinante à l'intrigue. Cette thématique assez peu exploitée en littérature de fiction l'est ici au croisement du regard scientifique (objet de recherche universitaire) et du regard ésotérique (divination). Bien que chercheurs, les personnages se laissent en effet tous plus ou moins gagnés par l'envie de tirer les cartes, d'abord par curiosité puis, progressivement, pour des raisons plus obscures. On regrette cependant que la dimension historique soit finalement assez peu exploitée : Ann, Patrick et Rachel évoquent bien quelques fois la famille d'Esté et Antoine Court de Gebelin, des figures du passé associées au tarot et à son évolution de jeu vers objet de prédiction, mais peut-être est-on resté quelque peu sur notre faim. Il nous en reste l'envie d'approfondir le sujet et d'explorer la grande et la petite histoire du tarot à notre tour.
Katy Hays met en scène des personnages doubles, entre ombre et lumière. Elle laisse volontairement dans l'angle-mort certains éléments, induisant un sentiment constant de doute qui nous amène à nous interroger quant à la psychologie et aux motivations de chacun. Transparente et écorchée, lasse et pourtant décidée, Ann apprend à sortir de sa chrysalide à travers son expérience au Cloître, face à une Rachel aussi mystérieuse et élégante que sûre d'elle. Plongée dans l'univers des études supérieures et de la recherche tel qu'il se joue outre-Atlantique, "Le cloître" met en lumière la concurrence et l'ambition quasi-destructrices à l'oeuvre dans les cercles universitaires américains. Les relations, ambiguës, se tissent, se font et de défont au fil des jours et au rythme des découvertes et révélations, en même temps que le lecteur s'interroge : ces personnages sont-ils tous ce qu'ils prétendent être ? Une mort mystérieuse amènera Ann comme le lecteur à revoir leurs jugements initiaux, car plus on progresse, plus on se laisse convaincre que rien dans cette histoire n'est tout-à-fait le fruit du hasard.
En bref : Thriller psychologique séduisant et addictif, "Le cloître" nous entraîne dans un décor à l'atmosphère captivante, à la découverte du monde de la recherche universitaire américaine. La thématique du tarot divinatoire, associée aux mythiques Cloisters new-yorkais, apporte une touche de mystère envoutante dans cette intrigue où l'ambition le dispute à la manipulation. Un roman diabolique.
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