Il semblerait bien que le théâtre soit presque absent des critiques que je partage depuis des années sur le Net. Pourquoi ? Déjà parce que le théâtre me paraît exister d’abord et avant tout pour la scène. Ensuite, j’ai beaucoup plus de mal à donner mon avis sur une pièce, car son texte n’est qu’une partie de l’œuvre, importante, mais pas moins que la mise en scène ou le jeu d’acteur.
Caligula sera donc la troisième pièce de théâtre à laquelle j’ose m’attaquer. Et comment aborder une œuvre qui, dans le projet de son auteur, s’accompagne d’un roman, L’Étranger, et d’un essai, Sisyphe ? Trois œuvres, trois genres pour un même thème, celui du héros face à l’absurdité du monde et du destin. Je ne vais pas évoquer les deux autres ouvrages... Après tout, je ne suis pas professeure de littérature, donc pas vraiment légitime dans ce genre d’exercice. Du coup, et comme toujours, je vais en rester à mes impressions et mes réflexions sur le texte lui-même, Caligula.
Que ceux qui aiment l’Antiquité avant tout se le disent, Caligula n’a que peu de rapport avec l’Histoire, même si le personnage de Caligula est l’empereur fantasmé et créé par le mythe. Finalement, la pièce de Camus profite de cette figure pour nous raconter tout un pan de sa propre réflexion sur le monde. Comme dans l’Étranger, c’est la mort d’un proche — dans le roman, la mère du personnage — qui confronte le héros à des vérités difficiles. Dès le début, Caligula dit ce qu’il vient d’apprendre : Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux. Plus que cela, il a conscience de l’absurdité infinie du monde. Et, par conséquent, de la vie. Il décide alors de ne vivre que pour rendre possible l’impossible et, surtout, d’exercer sa liberté de la manière la plus extrême possible. Une liberté sans limite puisqu’il est César.
Cette folie meurtrière ne ressemble pas tout à fait à celle d’un tyran tel qu’on l’imagine. Caligula ne se contente pas de tuer ceux qui le mécontentent ou ne lui obéissent pas… Non, il exécute à l’aveugle, comme pour rivaliser avec ce destin absurde qui défie toute logique. Puisque le fonctionnement du monde se résume à cette absurdité douloureuse, pourquoi ne pas faire de même ?
La violence serait-elle la seule réponse à l’absurdité du monde ? Pas vraiment, puisque Caligula n’est pas le seul à avoir compris cet aspect du destin. Cherea, qui se pose en ennemi, a conscience de cela. Pourtant, il pense aussi que la vie a de la valeur, que l’honneur compte, ainsi que le courage. Un autre homme s’élève contre Caligula — et pas seulement par égoïsme, comme le feront les autres —, c’est le jeune Scipion, un poète partagé entre la haine et l’amour. Un personnage dont l’innocence semble faire contrepoids... Enfin, la pièce de Camus ne se contente pas de nous montrer à voir ces différentes sensibilités face à l’absurdité, elle nous offre aussi une œuvre à la croisée des genres : philosophie, tragédie, comédie et lyrisme, le texte de Caligula déstabilise sans doute autant que son héros éponyme.
Je ne suis pas professeure de littérature ni ne me prétends une spécialiste, et qu’importe, Caligula m’a troublée, m’a émue, m’a interrogée. Et n’est-ce pas le propre des œuvres importantes ?
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