Ce tome peut peut-être se lire indépendamment de tout autre, mais une connaissance superficielle du personnage de Deadman donne plus de sens à la lecture. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits, dessinés et encrés par
Neal Adams, avec une mise en couleurs également réalisée par lui. Seul le lettrage a été réalisé par Clem Robbins.
Neal Adams avait déjà dessiné plusieurs épisodes du personnage, réédités en 2 tomes à commencer par Deadman Book One.
Le préfet James Gordon a été mandaté pour réaliser une mission d'inspection dans une installation nucléaire dans un pays d'Asie. Il y a est accueilli par un groupe d'ingénieurs et de techniciens qui lui font faire le tour des installations et lui fournissent les explications qu'il demande. Boston Brand est également présent sous sa forme de fantôme astral, dans sa tenue rouge, avec une peau blanche. En flottant de ci de là dans l'installation, il découvre la présence d'un groupe de terroristes menés par un individu se faisant appeler Hook (il a un crochet métallique à la place de la main gauche), l'homme qui l'a abattu d'une balle pendant son numéro de trapèze. Il se souvient de la dernière fois où il s'était retrouvé confronté à Hook, dans une immense salle où Hook rendait compte de son échec devant Sensei, le commanditaire de l'assassinat de Boston Brand.
Après ces remémorations et la résolution du sabotage par les terroristes, Deadman se retrouve dans le manoir des Wayne. Il possède alternativement James Gordon et Alfred Pennyworth pour pouvoir discuter avec Bruce Wayne dont il connaît l'identité secrète, et obtenir un indice sur la Ligue des Assassins. Il se rend donc à Hong Kong pour trouver l'adresse indiquée. Il s'agit d''une riche demeure dans laquelle un couple s'occupe d'un nouveau-né. Il se rend compte que celui-ci abrite l'esprit de Sensei. Par la suite, il reçoit l'aide de Phantom Stranger, puis celle de Spectre (Jim Corrigan). Au cirque Hils Brothers, Cleveland Brand (le frère jumeau de Boston) continue de se produire pour des numéros de trapèze, avec le costume que portait son frère. Un autre assassinat avec un fusil s'y prépare. Après le drame, les parents Dee-Dee et Billy Brand font irruption dans la roulotte de Cleveland Brand. Boston Brand en profite pour s'emparer du corps de Tiny (l'homme fort du cirque) pour poser des questions gênantes à ses parents sur son jeune frère Aaron et sur sa soeur Zeea, en présence de Lorna (la compagne de Billy) et Rita Brand. Peu de temps après Rama Kushna se manifeste à lui sous la forme d'un arbre.
Neal Adams a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire des comics de superhéros en refaisant de Batman une créature de la nuit, avec les scénarios de Dennis O'Neill, et en militant pour les droits des auteurs au sein de la profession. Il a commencé sa carrière au tout début des années 1960 et a acquis sa renommée à partir des années 1967/1968 en dessinant les séries Batman et Deadman. Contre toute attente, il a effectué un retour remarqué dans le monde des comics dans les années 2010 avec successivement Batman: Odyssey (2010-2012), First X-Men (2012), Blood (2013), Superman: The coming of the Supermen (2016). le lectorat s'en est retrouvé décontenancé, à la fois par des dessins n'ayant rien perdu de leur dynamisme et un mode narratif très déconcertant. Il se lance donc dans cette nouvelle oeuvre avec ces a priori. Effectivement les personnages n'ont rien perdu de leur expressivité. Pour cette histoire,
Neal Adams a choisi un encrage assez propre pour les contours de forme, avec des variations d'épaisseur de trait. Il peaufine les traits de contour en les encrant sans ébarbure, sans donner l'impression d'esquisse, mais sans non plus arrondir chaque irrégularité. Il trouve un juste milieu entre des dessins trop léchés, et des dessins manquant de fini, conservant une touche de spontanéité qui les rend très vivants.
À la fin des années 1960,
Neal Adams a apporté un sang neuf dans la manière de dessiner les comics, en accentuant le degré de réalisme et en apportant plus d'expressivité dans les visages et le langage corporel. Il a également systématisé des angles de vue en diagonale et les postures dynamiques, aboutissant à des personnages toujours en mouvement. le lecteur amateur de cette approche le retrouve au meilleur de sa forme dans ces épisodes. Tous les personnages sont emportés par l'émotion du moment, à chaque case, réagissant avec des nerfs à fleur de peau, sans une once de maîtrise de soi. Les scènes d'action montrent des individus qui se précipitent, qui bondissent, qui vont de l'avant, qui restent dans une action permanente. L'artiste utilise avec une efficacité redoutable, les personnages qui dépassent de la bordure des cases, qui débordent du cadre pour empiéter sur la case voisine, leur vitalité ne pouvant être contenue dans une simple case. Lors des scènes d'action, il lui arrive de bousculer l'ordre bien établi des cases rectangulaires disposées en bande, au profit de cases en trapèze, accentuant l'impression de mouvement, augmentant l'effet des chocs. le lecteur a l'impression de retrouver le meilleur des années 1970, avec un degré de violence un peu plus graphique et un peu plus réaliste. La mise en couleurs repose sur une approche naturaliste, avec des effets utilisés à bon escient pour rehausser le relief des surfaces détourées. Elle est également utilisée pour réaliser des camaïeux, sur la base de nuances évoquant celles de l'environnement représenté en début de séquence. S'il y est sensible, le lecteur finit par compter le nombre de pages dépourvues d'arrière-plans dessinés et il se rend compte qu'il aboutit à un ratio assez élevé, dans la fourchette haute pour un comics de superhéros. L'artiste a donné la préséance aux personnages, à leurs silhouettes et à leurs mouvements, s'affranchissant des décors pour conserver un niveau de lisibilité satisfaisant. Certaines séquences se déroulent dans un plan astral ce qui favorise également l'absence de décor.
Du point de vue graphique, le lecteur voit son horizon d'attente comblé,
Neal Adams ayant conservé toute sa capacité à insuffler un dynamisme incroyable à chaque page. Certes l'effet est un peu amoindri par le fait qu'il s'agit d'une forme de redite (améliorée en termes de finition) par rapport à son heure de gloire, et que ses innovations ont été reprises par une multitude de suiveurs, au point d'en perdre toute leur saveur. du point de vue de l'intrigue, le lecteur retrouve Boston Brand emberlificoté dans un tissu de mensonges, provoquant une succession de révélations tonitruantes au fur et à mesure que Deadman progresse dans ses confrontations. Il doit démêler des non-dits et des contre-vérités à la fois en ce qui concerne son propre assassinat et le sort de son assassin Hook, à la fois dans la sphère familiale. Pour pouvoir suivre tout ça, il vaut mieux que le lecteur ait une idée des origines secrètes du personnage, ainsi que Rama Kushna et Nanda Parbat. Mais il vaut mieux aussi qu'il n'en ait pas une idée trop précise.
Neal Adams reprend ce qui l'intéresse dans la continuité du personnage, et laisse le reste de côté, personne ne pouvant réconcilier les différentes versions remises à zéro au gré des Crises subies par l'univers partagé DC. Il s'en suit que certaines révélations tonitruantes perdent tout impact car elles viennent remettre en cause ou défaire des faits ignorés du lecteur. L'état d'hypersensibilité de tous les personnages tout le temps diminue également la possibilité de se projeter en eux, car ils se conduisent comme de très jeunes adolescents sans aucune maîtrise d'eux-mêmes. Pour autant un lecteur adulte peut s'intéresser à l'intrigue proprement dite. S'il a déjà lu l'une des bandes dessinées récentes de
Neal Adams, il sait que celui-ci raconte son histoire avec des retours en arrière survenant de manière abrupte au milieu d'un dialogue ou d'un affrontement, sans crier gare, qu'ils peuvent eux-mêmes contenir des allusions cryptiques à des faits passés inexpliqués. Il peut parfois s'avérer difficile de comprendre en quoi le retour dans le passé éclaire la situation présente. Par exemple, le sort de Hook face à Sensei ne fait sens que dans l'épisode suivant, alors qu'il intervient au beau milieu de la découverte de la présence des terroristes. Avec un peu de patience et de bonne volonté, il est possible de recoller tous les morceaux du puzzle, sans risquer la céphalée.
Sous réserve de se sentir un peu impliqué, le lecteur peut s'adapter aux caractéristiques de la narration de
Neal Adams qui dénoue de manière spectaculaire des secrets, même si le lecteur en ignorait l'existence. Il peut aussi apprécier la manière dont l'auteur retourne les situations et les liens entre les personnages, avec la révélation d'un secret après l'autre. Il s'attache d'autant plus à leur mécanisme que les personnages ne sont finalement définis que par ces secrets, sans caractère propre. Il n'arrive pas à s'attacher à Boston Brand à la fois geignard et prêt à s'emporter sans jamais réfléchir avant d'agir. Il éprouve tout autant de difficulté à s'intéresser à la version de l'univers partagé DC que réalise
Neal Adams. Etrigan, création de
Jack Kirby (voir Jack Kirby's The Demon), est ridicule du début jusqu'à la fin. Zatanna se sert de ses pouvoirs illimités au gré des besoins du scénariste pour dénouer une situation. Doctor Fate disparaît aussi vite qu'il apparaît. Bref tous les superhéros invités sont réduits à l'état d'artifice narratif. Au vu de quelques répliques, le lecteur se demande si
Neal Adams ne verse pas intentionnellement dans le registre de la parodie. Il se dit qu'il s'agit peut-être de lire ces péripéties au second degré, comme une forme d'aventures loufoques, rendues amusantes par ces acteurs en train de surjouer toutes leurs réactions. Mais cet humour fondé sur le ridicule ne fonctionne pas non plus car il n'y a aucun renouvellement. Il faut croire que telle n'était pas l'intention de l'auteur.
Ayant terminé ce tome, le lecteur se retrouve bien perplexe. En tant que dessinateur,
Neal Adams est en pleine forme et s'ils étaient parus dans les années 1970, ces épisodes auraient fait date et seraient maintenant considérés comme des références. Publiés aujourd'hui, ils apparaissent comme un retour nostalgique à une autre époque, exécuté de main de maître, mais plombés par une narration tellement appuyée qu'elle ne fait même plus sourire. L'intrigue repose sur l'histoire personnelle de Boston Brand, avec une habileté certaine à la retourner dans tous les sens, mais sans réussir à impliquer le lecteur qui ne voit que les grosses ficelles agitant des pantins sans personnalité. 2 étoiles.