Ce tome fait suite à Pearl Vol. 1 (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant car les 2 tomes forment une histoire complète. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2019, écrits par
Brian Michael Bendis, dessinés et encrés par
Michael Gaydos qui a également réalisé la mise en couleurs. Les couvertures ont été réalisées par Gaydos et les couvertures variantes par
Teddy Kristiansen,
Tula Lotay, Kent Williams,
George Pratt,
Taki Soma,
David Mack.
Les jumeaux Endo (Rumor & Ryu) se tiennent devant la devanture du salon de tatouage Pear Ink Tattoo Parlour, en se demandant quoi faire, car il est fermé et visiblement Pearl Tanaka n'est pas présente. Dans un appartement à San Francisco, Rick Araki est en train de se réveiller, dans le même lit que Pearl Tanaka et il contemple le tatouage d'araignée sur l'intérieur de son poignet gauche. Elle se réveille à son tour et lui demande ce qu'il est en train de faire. Il répond qu'il admire une oeuvre d'art et qu'il profite du moment. Les tatouages rouge sang commence à affleurer sur la peau de Pearl. Les deux amants commencent à se caresser. Yuka Masako (agente du FBI) vient d'arriver devant le salon de tatouage de Pearl. Elle est à la recherche de Pearl ayant vu la vidéo dans laquelle elle tue une personne dans une boîte de nuit. Elle se tient un peu à l'écart de la boutique et avance pour aller à la rencontre de Kimmi Stern (la meilleure amie de Pear) qui est en train de toquer sur la grille. Masako pose quelques questions sur Pearl à Kimmi qui répond évasivement et qui finit par s'en aller. Masako n'est pas dupe. Elle tourne la tête en entendant un moteur rugir dans la rue. Elle voit passer une voiture sport et identifie sans peine le conducteur et la passagère : Ryu & Rumor Endo.
Pearl est en train d'attendre du côté du port quand elle est abordée par une jeune femme qui lui demande si c'est insultant qu'elle dise qu'elle aime les japonaises. Pearl Tanaka lui jette un regard noir alors que son tatouage de tigre commence à apparaître sur sa joue. La demoiselle n'insiste pas. Kimmi Stern arrive dans sa Mini Cooper et klaxonne pour attirer l'attention de Pearl qui la rejoint dans sa voiture. Kimmi commence à donner des conseils à Pearl sur la manière de disparaître efficacement, en commençant par jeter son téléphone portable pour ne pas être localisé et à utiliser un portable jetable. Dans le même temps, elle traverse San Francisco, passant par différents quartiers : Lombard Street, Chinatown, Alcatraz, Haight Ashbury, Golden Gate Bridge, jusqu'à sortir de la ville. Elles continuent leur route vers Leggett, avant de se diriger sur Arcata, puis Crescent City, Gold Beach, Bandon, Umpqua River, pour arriver à Portland. Chemin faisant, elles évoquent la mère de Pearl, le fait que Pearl ne savait rien de sa réelle activité de yakusa. Pearl Tanaka en est arrivée à la conclusion qu'elle doit se rendre au Japon pour rencontrer le responsable du clan auquel appartenait sa mère. Elles s'arrêtent pour dormir dans un motel à Coos Bay. Au bord de la piscine, Pearl indique qu'elle a couché avec Rick Araki et Kimmi lui fait remarquer que visiblement Pearl en est amoureuse.
Le premier tome se terminait sur une grosse révélation et le lecteur savait que Pearl Tanaka allait devoir gérer son héritage maternel. Dès les premières pages, le lecteur constate que
Brian Michael Bendis est revenu à ses dispositifs narratifs préférés : en l'occurrence des dialogues perlés, avec un rythme dans l'alternance des interlocuteurs et une écriture très naturaliste. Avec le deuxième épisode réapparaît le dispositif narratif qui consiste à montrer une séquence dans le temps présent, puis à revenir dans le passé pour montrer comment les personnages sont passés de la situation antérieure à celle du présent. Ces ellipses et cette réorganisation chronologique ajoute du suspense pour pouvoir remettre les séquences dans le bon sens, mais son utilisation trop régulière s'apparente plus à un artifice qu'à une construction sophistiquée. le lecteur ne perçoit pas ce qu'apporte de plus le déroulement non chronologique en termes de compréhension, de rapprochement entre différents éléments. S'il est allergique à ces marques de fabrique devenues des automatismes dans l'écriture de Bendis il vaut mieux qu'il se tienne à l'écart de ce tome. Il remarque également le retour du principe consistant à reproduire à l'identique un même dessin sur plusieurs cases ou page, dispositif très utilisé dans la première série d'Alias par Gaydos et Bendis, et par la suite dans Powers de Bendis et Avon Oeming. En particulier il a du mal à croire que le même dessin en double page soit reproduit à l'identique deux fois, c'est-à-dire que le lecteur voit trois fois de suite le même dessin en double page.
Dans le même temps, le lecteur retrouve également des spécificités propres à la narration visuelle de
Michael Gaydos qui se trouvent accentuées. Dans le tome précédent, le lecteur avait parfois la sensation de regarder une photographie travaillée par infographie sur laquelle l'artiste avait ajouté des personnages au premier plan. Ici, il ne s'agit plus d'une sensation, mais d'une certitude. Ça commence dès la première page, avec un dessin (ou plutôt une illustration) en pleine page : la devanture du salon de tatouage. En y regardant de près, le lecteur est épaté de voir à quel point Gaydos a bien rendu les détails techniques de la voirie. Plus loin, une fois que Pearl est montée dans la voiture de Kimmi, les dessins mettent le lecteur en position d'être assis au milieu de la banquette arrière de la voiture et de regarder le décor devant lui à travers le pare-brise, à l'occasion de 5 cases de la largeur de la page sur une même page. À chaque fois, il se dit qu'il s'agit d'une photographie retouchée qui montre le paysage. La page suivante montre une vue globale des gratte-ciels de San Francisco et à nouveau il s'agit d'une photographie retouchée. Tout du long de ces 6 épisodes, le lecteur repère ainsi des photographies d'une carte routière de la côte ouest, d'une piscine en extérieur d'un motel, d'une rue de Portland, d'une rue de Kobe, de l'intérieur d'un établissement de pachinko (croisement d'un flipper et d'une machine à sous), d'un aquarium de méduses, d'un wagon de métro, etc. À chaque fois, l'artiste les rhabille de couleurs saturées et applique des filtres. L'effet obtenu peut être déconcertant.
Effectivement,
Michael Gaydos utilise des photographies pour construire plus de la moitié de ses cases. L'effet obtenu est à mi-chemin entre le dessin traditionnel, une apparence psychédélique du fait du choix de la palette de couleurs, et une forme hybride entre reportage et roman-photo. Il peut falloir un peu de temps au lecteur pour s'adapter à cette apparence unique. Pour autant la narration visuelle est claire et fluide et souvent inventive. L'utilisation d'une carte routière (recolorée bien sûr) transcrit bien la nature et la longueur du trajet en voiture. La recolorisation des rues de Kobe intensifie l'effet psychédélique des enseignes lumineuses. L'intégration d'un aquarium à méduses donne une idée de l'argent dont dispose Saito-san, tout en établissant une ambiance feutrée remarquable. La reprise de la couleur de l'éclairage dans le bureau en open-space le rend plus blafard, provoquant une sensation nauséeuse. Gaydos intègre également quelques pages de croquis de tatouage, conçus par Diego Martin, donnant de la crédibilité aux compétences de Pearl Tanaka et Rick Araki en la matière. Il expérimente également avec les mises en page : impossible d'oublier Pearl et Niko en train de danser ensemble dans l'épisode 11. le dessinateur les a représentés 4 fois sur la même double page, avec une bande d'un cinquième de la hauteur de la page derrière elles (avec le décor du casino de pachinko) et des bandes noires au-dessus et en-dessous, produisant un très bel effet, comme si ils étaient isolés de leur environnement par leur mouvement de danse. Il a également reproduit l'effet d'une vidéo amateur, Rick Araki se filmant pour son vlog.
Le lecteur se retrouve fasciné par la narration visuelle, très personnelle, entre dessins et photographies, sans être ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre.
Michael Gaydos a apporté un grand soin à produire ces effets, utilisant à nouveau les services d'un mannequin (Exotic Alek) pour l'apparence de Pearl Tanaka.
Brian Michael Bendis continue de raconter son histoire de genre : un récit de gangsters, à base de yakusas. Pearl Tanaka se retrouve projetée dans un monde très différent de son salon de tatouage et apprend au fur et à mesure qu'elle découvre. Elle effectue son voyage au Japon, essaye de soustraire à ce monde qui n'est pas le sien, et finit par faire face. le scénariste se fait plaisir et conçoit de jolis moments pour l'artiste, jouant sur les qualités de la narration visuelle. Mais il apparaît vite que le caractère de Pearl Tanaka n'est pas très approfondi, que sa relation avec son père reste en surface, qu'il est difficile pour le lecteur de distinguer entre stratégie construite et caprice de sa part, que ses talents de tueuse proviennent de nulle part, sans aucune explication ou justification.
Brian Michael Bendis donne l'impression de broder sur une trame solide, mais sans vraiment croire à ce qu'il raconte, ce qui détonne par rapport à la conviction de la narration visuelle.
Michael Gaydos étonne le lecteur de bout en bout avec une narration visuelle très personnelle, sophistiquée tout en restant facile d'accès inventive sans être nombriliste.
Brian Michael Bendis donne l'impression de beaucoup se reposer sur l'investissement de l'artiste dans la narration pour se contenter d'une trame classique, sans trop chercher à étoffer ses personnages, ou à développer un thème autre que celui de l'acceptation de son milieu social.