Nid de guêpes

Mon reflet me renvoie un visage ordinaire : ma lèvre supérieure est un peu trop longue, j’ai le nez droit, je suis brune et mes cheveux ondulent jusque sous mon menton. Généralement, on considère que mes yeux bleu marine en amande sont mon principal atout. Ce matin, ils sont bouffis et, si je le pouvais, je replongerais dans mon lit et laisserais passer une demi-heure, deux sachets de thé sur mes paupières. Sauf que c’est impossible. Alors, je mouille un gant de toilette et je l’applique fermement, en espérant qu’avec un peu de maquillage cela fasse des miracles.

Je mens à ceux qui me sont le plus proches. Chaque jour. Chaque nouveau mensonge apporte sa contribution à une trahison qui grandit. J’ai honte. Quand je me suis engagée dans ce voyage, je savais que je me fourvoyais, mais le tout premier mensonge m’est venu sans aucun effort et je me suis convaincue que je n’avais pas le choix. En ce temps-là, je n’avais pas conscience qu’un mensonge – qui ne devait blesser personne, selon moi – allait se révéler d’un prix si élevé. Je me disais, il n’y a pas d’autre moyen de protéger ma famille et de la garder unie. À mesure que ma trahison croît en complexité, le trou que je creuse est plus profond. Je me persuade que j’en ai presque fini, que, bientôt, je n’aurai plus à mentir. Ou du moins pas si souvent. Mais ce n’est qu’un mensonge de plus – adressé à moi-même, celui-là.

Tout le monde ment. À soi et aux autres. Nous nous trouvons des excuses et parlons de nos mensonges comme de banals bobards, d’inoffensives petites histoires. Ou bien nous prétendons qu’ils sont nécessaires à la protection de notre entourage. Mais bien que nous nous efforcions de les justifier, et quelle que soit la forme que nous leur donnions, ils n’en demeurent pas moins des mensonges.

Malgré la distance, il voit qu’elle a mis un rouge profond sur ses lèvres et du noir sur ses yeux. Sa robe courte bat ses jambes nues et hâlées. Impossible de distinguer l’expression de son regard, mais lui sait que ses yeux pétillent à la perspective excitante de la soirée.Il la hait pour ça.Il guette. Les gens se retournent sur le passage de cette femme fascinante qui marche avec une telle assurance, chaussée de stilettos à brides. Ils doivent se demander pourquoi, belle comme elle est, elle marche seule dans les rues de Manchester.L’endroit où elle se rend n’est pas très loin d’ici, et il n’a pas besoin de la suivre. Pourtant, il la suit. Est-ce qu’elle sent le feu ardent de son regard, derrière elle, son mépris pour elle et pour le mal qu’elle a causé ?Il l’espère bien ; comme ça, elle aurait peur. Il veut qu’elle ait peur. Il veut la voir terrifiée, et savourer ce spectacle. Mais pas tout de suite.