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Critique de Charybde2


À travers la figure d'un chanteur militant improvisé, et de la foule de voix qui l'accompagnent, une impressionnante mosaïque de l'horreur chaotique de la guerre civile syrienne – et un rappel salutaire de ce qui crée les réfugiés.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/05/15/note-de-lecture-ibrahim-qashoush-maxime-actis/

Quelques mois après le début du Printemps arabe à Damas, en 2011, une chanson inspirée du folklore traditionnel syrien, mais aux paroles redoutablement subversives (« Yallah Bachar dégage / Emballe vite tous tes bagages / Retiens ton armée sauvage / Yallah Bachar dégage / Y en a marre de tes discours / Après Kadhafi ton tour / Yallah Bachar dégage »), devient vite l'hymne officieux de la révolution en cours, scandé dans toutes les manifestations, avant que cette espérance ne se dissolve dans une répression d'une rare férocité, dans la guerre civile syrienne, dans l'émergence de l'État islamique, et dans le succès ultime, « sur le terrain », de Bachar El-Assad et de ses alliés iranien et russe. Dès juillet 2011, le cadavre de l'auteur présumé de la chanson, Ibrahim Qashoush, est retrouvé, gorge et cordes vocales tranchées, dans l'Oronte qui traverse sa ville de Hama. Alors que la légende du martyr prospère discrètement, bien des zones d'ombre demeurent, qu'il s'agit d'éclairer pour, peut-être, saisir quelque chose de ténu et de fort lové au coeur du chaos syrien et de son horreur depuis plus de dix ans.

Avec les sources qui peuvent être les nôtres désormais, dix ans plus tard, Maxime Actis a orchestré, dans ce premier roman publié aux éditions de l'Ogre en avril 2022, une quête polyphonique de vérité toujours un peu déjouée, une mosaïque brutale et pourtant paradoxalement poétique, pour nous restituer, entre fiction et documentaire (on songera logiquement au travail si sensible d'un John d'Agata), l'intensité de la brûlure, là-bas, et nous proposer en filigrane une lecture efficace et humaine de la vague de réfugiés née de ce conflit insoutenable – mais pourtant parfaitement soutenu.

Le journaliste J.H., enquêtant officieusement mais avec divers concours officiels, bien après les faits, de Damas à Istanbul, la jeune étudiante Dima, actrice des premières manifestations non violentes puis spectatrice compulsive d'une rapide montée aux extrêmes de la part du régime, le joueur de football Basset, le chanteur Rahmani seront les principales voix qui recueilleront les témoignages à adjoindre et mêler aux leurs, alors que déjà les mémoires se déforment, soumises aussi à l'emprise du chaos et de la peur.

Paradoxalement, la voix la plus importante du volume est peut-être celle qui ne franchira pas la frontière syrienne, mystérieux double de l'auteur, routard méticuleux et pourtant vagabond, dont le camping-car, aux confins de la Turquie et de la Grèce, avant de vouloir se rendre à l'origine des maux, mesurera de près la foule se pressant aux portes de l'Europe, comme si ne pas mourir sous les bombardements et les expéditions punitives était un choix (surtout si l'on n'est pas Ukrainien, mais Syrien ou Afghan), aux yeux de tant (trop) de membres de l'Union européenne. C'est elle qui nous rappelle, comme Emmanuel Ruben écrivant dans le même mouvement de pensée et de poésie ancrée ses « Sous les serpents du ciel » et « Jérusalem terrestre », d'une part, ses « Coeur de l'Europe » et « Terminus Schengen », d'autre part, comme Alain Giorgetti et son incroyable « La nuit nous serons semblables à nous-mêmes », comme Sébastien Ménard, même, avec l'envolée nostalgique de son « Soleil gasoil », Maxime Actis nous rappelle de sa cruelle beauté que le salut dans la fuite n'est pas un caprice ou une opportunité, et que la présence de quelques terroristes infiltrés dans un flot aussi massif ne doit jamais faire oublier qu'à la racine, il y a bien la nécessité vitale de l'échappée.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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