Citations sur Nos richesses (163)
18 janvier 1939
Reçu une étrange lettre des éditions grasset qui sont intriguées par la vente, dans ma seule librairie, de plusieurs centaines d'exemplaires des -Lettres à un jeune poète- de Rainer Maria Rilke. Ils n'avaient jamais entendu parler de mon obscure boutique. (p. 79-80)
C'est difficile de t'expliquer ce que ce lieu signifie pour moi. Peu de gens le savent mais je n'aimais pas lire et je ne suis toujours pas certain d'aimer cela aujourd'hui, mais j'aime être entouré de livres même si j'ai mis beaucoup de temps à apprendre à lire. On m'a appris l'arabe à la zaouïa. Et le français, ce n'est arrivé qu'après l'Indépendance, grâce à ma femme qui me l'a enseigné. Elle ne s'est jamais moquée de mon ignorance. Elle a pris le temps, patiemment, de m'initier à la lecture. Il a fallu que je me batte longtemps contre moi-même pour ne plus être intimidé par les mots imprimés.
Un jeune homme mobilisé m'a demandé pourquoi je n'écrivais pas, moi qui aimais tant la littérature. Je n'ai pas osé lui répondre qu'écrire m'ennuie. Moi, j'aime publier, collectionner, faire découvrir, créer du lien par les arts !
Nous sommes les indigènes, les musulmans, les arabes. Seule une poignée d'entre nous peut faire scolariser ses enfants lorsque par miracle il y a une place dans les trop rares écoles pour indigènes. (p. 26)
17 décembre 1938
Aujourd’hui encore, des clients intéressés uniquement par les derniers prix littéraires. J’ai essayé de leur faire découvrir de nouveaux auteurs, de les inciter à acheter L’Envers et l’endroit de Camus, mais totale indifférence. Je parle littérature, ils répondent auteurs à succès !
Nous vivons comme des étudiants sans le sou , peinons à entretenir nos familles, devons mener de front tous les combats.
Cette Occupation, c'est comme une main qui nous enfonce la tête sous l'eau, un hiver sans fin. Comment cela finira-t-il ?
On nous impose de combattre pour une nation dont nous ne faisons pas vraiment partie. On ne cesse de nous répéter les mots Patrie, courage, honneur... mais en vérité, sur le front, nous pensons surtout à la faim, au froid, à notre incompréhension face à cette guerre, aux morts sur lesquels nous récitons quelques versets du Coran avant de les recouvrir d'un linceul de fortune.
Ryad est angoissé par tous ces livres. Il n'aime pas les mots qui s'agglutinent sur une même ligne, une même page, qui l'embrouillent. Il regarde ces caractères noirs imprimés sur du papier blanc et pense aux acariens.
Mon engagement doit être absolu. C'est ainsi que je conçois mon travail. L'écrivain doit écrire, l'éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps.