Citations sur Prends garde (28)
Les soeurs se signaient, et priaient le Seigneur pour qu'il la pardonne, malgré ces blasphèmes qu'elle proférait, car elle n'était pas une mauvaise femme, et tout son mal naissait de ce torrent de désirs, de fantasmes et de regrets pour une vie à laquelle elle n'était pas destinée, et une jeunesse qui, désormais, s'en était allée.
Tous ces aïeux étaient la perfection même, en deux cents ans, pas un pour s'entêter à vouloir exercer une profession réprouvée par les siens, pas un d'assez mal à l'aise dans ce monde pour se suicider, pas un qui fût devenu fou, ou bien, parmi les parents les plus proches, ceux sur lesquels on pouvait se renseigner, pas un qui souffrît même de simples insomnies.
Dans son milieu, tout le monde avait été fasciste, sauf son pauvre frère fou, puis soudain antifasciste, parce que Mussolini était tombé, et certes pas pour avoir changé d'opinion.
Les forces de l'ordre, dont la présence en ville avait été massive les deux jours précédents, avaient disparu au moment de la tragédie. Sur place, on ne voyait aucun policier, carabinier ou militaire. Personne. Le maire avait démissionné la veille au soir.
Les propriétaires terriens, qui avaient craint ce qui aurait pu leur arriver après la chute du fascisme, étaient devenus encore plus agressifs.
Il avait l'expérience de la douleur et de la fatigue, et des massacres qui, dans les Pouilles, étaient aussi naturels que les grosses averses, mais juste un peu plus fréquents.
L'idée courante était que les ouvriers agricoles n'étaient pas des êtres humains comme les autres, mais des frisulicchi, des bêtes de somme.
Mais sur la région s'était déversée une marée humaine vomie par la guerre, et elle semblait inépuisable. Des gens chassés de leurs terres par le conflit, des gens libérés des camps de concentration, mais sans aucune patrie où retourner : Yougoslaves,Polonais, Grecs, Roumains, Bulgares, Autrichiens, Albanais du roi Zog et même des prisonniers allemands. p. 49
La situation dans les Pouilles était restée telle qu'elle était au début du XXème siècle : une agriculture capitaliste, avec de grandes agglomérations regroupant le prolétariat agricole, et des relations moyenâgeuses, sur le plan social et culturel.
Un petit groupe d'anciens combattants, qui remontaient de la Sicile jusqu'aux Pouilles, était originaire d'Andria. Ils étaient devenus amis.........
Amis : au village, ils ne l'auraient jamais été, mais la guerre change aussi les êtres humains, renverse les hiérarchies, rend égaux face à la peur. p. 21