Octobre 2003. La vie de Jake Gallo n'est pas un long fleuve tranquille : il fait des cauchemars, végète chez lui, a du mal à trouver un emploi malgré les entrevues auxquelles il va et son frère, devenu star de cinéma, est le plus souvent injoignable. Mais ses problèmes atteignent les sommets quand il apprend que son père a fait une attaque. Toute la famille se retrouve donc à la maison familiale pour faire bloc autour du malade. Ce sera l'occasion pour Jake de se plonger dans le journal de son père, qui va raconter comment le monde des gallinacées a basculé à la fin des années 1970 et que les poules et les coqs ont soudainement été dotés d'une conscience et de la parole et comment il a fallu qu'ils luttent pour faire valoir leurs droits. Car Jake est un de ces gallinacées qui n'ont jamais connu le monde d'avant, celui où ils servaient de repas aux humains …
J'ai enfin lu cet excellent album qui trainait dans ma PAL depuis des années (en fait, depuis sa parution en 2010 et en plus, j'avais fait des pieds et des mains pour le trouver à l'époque car il n'était pas en vente partout dans mon coin). Bon, depuis, il a reçu le prix Ouest France/Quai desBulles en 2011 et donc, depuis, il est en général disponible facilement. J'ai tout de suite été attirée par le thème : que se passerait-il si tout à coup, des animaux qui, en général, nous servent de repas, étaient dotés de parole et d'une conscience et d'une intelligence plus développées qu'avant ? J'ai apprécié le fait que l'auteur philippin ait opté pour des poules et des coqs car, dans notre société, ils sont plutôt considérés comme peu évolués (ne dit-on pas un QI de poule ?). Par contre, je me demandais comment il allait les faire évoluer dans le monde pratique, les ailes n'étant pas forcément des membres très fonctionnels pour agir comme les humains. Et bien, c'est très bien passé, même si j'ai quand même eu un peu de mal à imaginer une poule tenir un stylo ! Il est très intéressant de voir comment cette évolution est perçue par les humains, comment ceux-ci réagissent, comment les gallinacées se sentent menacés et ne savent pas trop comment s'intégrer. On ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec certains moments de l'Histoire où des peuples ont été persécutés par d'autres, où les génocides ont fait rage parce que deux populations se retrouvaient face et face et que, pour certains, il n'est jamais facile d'accepter les autres quand ils sont différents et qu'ils préfèrent les éliminer plutôt que d'essayer de les comprendre. Tout cela est très bien décrit via le journal d'
Elmer, le père de Jake, qui raconte comment tous ces changements sont arrivés. J'ai trouvé aussi sympathique de voir que la famille de Jake a exactement les mêmes problèmes que n'importe quel humain et que les sentiments ne sont pas seulement des affaires d'homme (au sens homo sapiens) Et c'est rassurant de voir que certaines personnes sont prêtes à risquer leur vie pour aider d'autres être vivants. A la fin, on en oublie que Jake et
Elmer sont des coqs et on ne voit que leur humanité. le dessin noir et blanc est tout en finesse et en détail, me faisant parfois même penser à
Jiro Taniguchi, particulièrement lors des représentations des décors. Quelques moments de poésie viennent alléger l'ambiance qui parfois s'alourdit quand les temps sont durs pour les semblables d'
Elmer et que la violence gronde. Cette lecture est une fable universelle et passionnante sur la différence et la tolérance et elle risque d'éloigner les lecteurs des plats à base de poulet pendant un certain temps !