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Critique de ahasverus


"Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl" , prévient l'auteure.

Svetlana Alexievitch laisse la parole aux anonymes. Ce qu'ils ont à dire édifie. L'Evènement, raconté par plusieurs, devient l'histoire. Journalistes, ingénieurs, responsables du parti, voisines, parents, chasseurs, enseignants, ils complètent un puzzle qui commence joliment :
"Certains faisaient des dizaines de kilomètres en bicyclette ou en voiture pour voir cela. Nous ignorions que la mort pouvait être aussi belle." - "Savez-vous, demandait l'académicien, père de la bombe H soviétique, qu'après une explosion atomique, il y a une fraîche odeur d'ozone, qui sent si bon ?" Tchernobyl commence comme Suite française, d'Irène Nemirovsky. On regarde derrière les fenêtres l'arrivée de l'occupant. de prime abord, il semble civilisé, distingué et charmant. Il y a une esthétique de la guerre et une beauté du Diable.

Tchernobyl est une guerre. "Les monuments de Tchernobyl ressemblent à des monuments de guerre." Les souvenirs de Tchernobyl sont des souvenirs de guerre.

Au premier plan, les héros et les Justes : "Les visages des premiers pompiers, noirs comme du charbon. Et leurs yeux... Les yeux de gens qui savent qu'ils nous quittent..." - "Une femme faisait partie de notre groupe. Elle était radiologue. Elle a eu une crise d'hystérie quand elle a vu des enfants jouer dans le sable."
Puis viennent les victimes innocentes : "Maman, est ce que je meurs déjà ?", demande une enfant.

En second rideau, derrière le front, les einsatzgruppen nettoient le terrain repris : "Il vaut mieux tuer de loin, pour ne pas supporter leur regard." - "Nous n'avions plus de balles, alors nous l'avons repoussé dans la fosse et l'on a jeté de la terre par dessus. Je le regrette encore à ce jour."

Les menaces pour obtenir la collaboration : " - Les volontaires iront sur le toit et les autres chez le procureur."
Les promesses : "On disait que la peine encourue était de deux ou trois ans. En revanche, si le soldat chopait plus de vingt cinq röntgens, c'est le commandant qui allait en taule."
Les profiteurs : "Je sais que l'on a volé et sorti de la zone contaminée tout ce qui était transportable. En fait, c'est la zone elle-même que l'on a transportée ici. "

Les justifications des responsables et des sachants : "Dans les meetings, on exigeait la vérité ! Mais c'est mauvais, très mauvais ! Nous allons tous bientôt mourir ! Qui a besoin d'une telle vérité ?" - "Nous avions l'habitude de croire." - "Dès que l'on perd la foi, on n'est plus un participant, on devient un complice et l'on perd toute justification."

Les culpabilités : """J'ai compris plus tard, quelques années plus tard, que nous avions tous participé... A un crime... A un complot."""

Un vocabulaire de guerre ; des traumatismes de guerre. Tchernobyl est un ennemi aussi traumatisant que le nazisme.

"J'ai regardé très loin. Peut être plus loin que la mort." dit la femme d'un irradié dont le visage se décompose.

Tchernobyl est un conflit jeté à la face de l'humanité. Par ses héroïsmes individuels, ses sacrifices volontaires ou non, consentis en tous cas par le froid calcul de la multitude, l'homme a gagné. Tous les hommes.

La supplication est le journal d'une guerre que l'homme a menée contre un Autre (l'Anderer) nommé Tchernobyl.
Tchernobyl, sublimé, n'est plus l'oeuvre de l'homme. Il est seul coupable de lui même.
Le bien a triomphé du mal. Un peu malgré lui. Tchernobyl est un mythe.

"""A part nous, personne ne sait ce qui s'est vraiment passé là bas. Nous n'avons pas tout compris, mais nous avons tout vu."""

Un recueil de témoignages irremplaçables.
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