Découvert via les réseaux sociaux, La garçon from L.A retrace la rencontre de deux hommes en pleine pandémie mondiale. L'un est français, prof de français dans un lycée l'autre est américain, avatar parfait des californiens à l'esthétique parfaite. Que va-t-il donc advenir de ce couple atypique ?
Pour la forme.
La plume de l'auteur est très fine, juste, presque poétique. Pour un premier roman, sur ce point précis, c'est plutôt une réussite. En revanche il faut savoir apprécier un certain mélange du champ lexical qui se veut par moment assez sophistiqué mais qui soudainement bifurque sur du vocabulaire cru. Très cru.
Deux points de vue dans la première partie : omniscient et externe : une narration à la troisième et première personne. le procédé est délicat à appréhender car il peut parfois vite donner le tournis mais ce n'est pas le cas ici. Les repères spatiaux temporels sont clairs donc là aussi chapeau bas.
L'originalité principale du livre repose sur une forme de narration éclatée si bien qu'on a plus l'impression de « regarder » un roman de photo qu'une histoire linéaire classique. Ce sont des fragments clés de la vie des personnages qui sont exposées. Des étapes charnières avant leur rencontre, le tout sur fond d'épidémie de covid-19.
À environ la moitié du livre le point de vue se focalise uniquement et judicieusement sur le protagoniste, Jonathan, en stricte narration interne (je) ce qui a pour effet de créer une immersion profonde et intime avec lui car nous avons un accès plein et entier à ses angoisses, ses peines, ses faiblesses, ses obsessions. Son obsession.
En revanche il y a, selon moi, un inconvénient inhérent à l'utilisation de la première personne comme technique de narration car elle établit, de façon générale, pas seulement dans ce livre, une promiscuité ambiguë entre le personnage principal et l'auteur si celui-ci ne s'efface pas au profit du récit. Et là force est de constater que ce n'est pas le cas. Si bien que par moment on se demande qui parle. Jonathan ou Tadzio ? Ils sont d'ailleurs tous les deux professeurs de français. Sont gay. C'est écrit sur la quatrième de couverture sous le résumé. D'ailleurs je m'interroge sur la nécessité de préciser que
Tadzio Alicante est « un auteur gay ». Qu'est-ce qu'on en a à faire qu'il soit homo ? c'est une vraie question. Mais passons.
Qu'on s'entende bien, il est parfaitement admissible que l'auteur mette une partie de son coeur et ses tripes dans un personnage. Mais ici on a vraiment l'impression que le narrateur s'invite parfois littéralement dans l'histoire en s'adressant directement au lecteur. P.49 « Cher lecteur, tu ne sauras pas… ». P.114 « J'aimerai écrire une belle fin ». Au-delà du fait qu'on a un peu l'impression d'être pris pour un idiot dans le sens ou une explication sur la suite de l'histoire mérite une explication directe de l'auteur, le point le plus dérangeant est que celle-ci brise l'immersion de façon très brutale. Imaginez-vous assister à une pièce de théâtre lorsque, entre deux actes, le metteur en scène se pointe sur les planches pour vous expliquer ce qui va se passer maintenant et comment. Dans certains de ses romans
Joel Dicker interrompt subitement l'histoire pour vous conseiller, par exemple, d'aller dans ce restaurant où se passe la scène, parce que ça vaut vraiment le coup. C'est extrêmement désagréable. Vraiment.
La gêne est encore plus palpable lorsqu'on lit des « vérités » assénées : P.82 « La fidélité n'est bonne que pour les couples hétérosexuels qui se leurrent sur la nature humaine qui est trop encline au sexe, à baiser ». What ? Je me répète mais là… qui parle ? L'auteur ou le personnage ? Allez, bénéfice du doute, on va dire que c'est Jonathan.
Pour conclure sur la forme notons que le livre est fort de références littéraires ce qui n'est pas une mauvaise chose étant donné que les deux personnages ont une appétence certaine pour les livres.
Pour le fond.
Nous avons donc Jonathan et Christian. le premier est petit, mince, intello et introverti. le second solidement bâti, sûr de lui et extraverti. On est donc forcément curieux de savoir ce qui va arriver à ces deux antipodes. S'agissant d'une romance érotico-psychologique les piliers du livre s'articulent naturellement autour des thèmes et des personnages.
Individuellement parlant les personnages sont somme toute assez caricaturaux : ils baisent, picolent, se droguent, regardent des émissions sur les drag-queens et s'achètent des fringues. Ils bitchent sur tout et tout le monde, surtout Jonathan. Rien n'a de grâce à ses yeux : les gens qu'ils croisent sont moches, gros, cons et puent.
La séquence ou il juge ouvertement un serveur efféminé qui se dandine est particulièrement hypocrite lorsque l'on sait qui est Jonathan.
Nous avons peu accès aux ressentis de Christian, mais les rares chose que l'on sait de lui est qu'il est obsédé par le sexe et adore dépenser son argent. Soit. Il est blond, ses yeux sont azurs et a des dents parfaitement blanches et alignées. Au bout de la dixième répétions, on a compris.
La première partie relate leurs quotidiens avant leur rencontre. Alors certes il est toujours utile de connaitre le passé des personnages mais les péripéties n'ont que peu d'incidence sur le futur de leur relation hormis le fait qu'ils rencontrent des amants dont ils se séparent bien vite avant de les oublier totalement. La profondeur des personnages est très superficielle, qu'ils soient prof et assistant d'anglais, ou taxidermiste et concierge n'ont aucune importance car leurs métiers n'influent en rien sur leurs vies respectives. Pas besoin d'être enseignant ou assistant pour aimer la littérature.
Ils se rencontrent enfin P.50 (sur 122, soit à plus d'un tier du livre). On suppose qu'ils se sont matchés sur une appli de rencontre car ils se reconnaissent mais rien n'est précisé. Pourtant le résumé annonce « …les deux garçons se croisent sur une place désertée ». Est-ce qu'en fait de compte il s'agit d'une rencontre fortuite, fruit du hasard, ou programmée ? La promesse d'une rencontre dût au hasard, et nettement plus séduisante, n'est pas respectée. Désagréable mais passons.
Jonathan est alors subjugué par Christian. Quoi de plus normal lorsque l'on rencontre un étranger aux allures exotiques et au physique parfait. Pourtant P.15 « …son corps est d'une navrante banalité et il le sait. ». Faudrait savoir.
Ce qui est aussi décevant dans cette rencontre est le fait que Jonathan n'explique en rien en quoi Christian diffère de ses autres amants dont il se sépare très vite. D'accord il est californien, d'accord le physique, le charme, le charisme, l'aura ou peu importe peuvent jouer un rôle déterminant lors d'une première rencontre mais cette magie opère au début. Au fil du temps cela s'estompe. Donc, à part le fait que Christian soit américain, pourquoi Jonathan est à ce point hypnotisé ?
Leur relation s'éparpille sur plusieurs mois et est à la représentation parfaite de la relation toxique. Les rapports l'un envers l'autre sont complètement disproportionnés. Même au niveau sexuel, la base de leur relation, le plaisir de Jonathan est complètement subordonné à celui de Christian, voire inexistant. C'est plutôt curieux car P.41, alors que Jonathan regarde un porno « Le passif va-t-il jouir ? Oui car souvent le passif ne jouit pas dans les films. Vraie injustice ». Voilà voilà.
La relation toxique engendre tous les lieux communs du genre : Jonathan se dénigre, se trouve laid par rapport à son amant envers qui il passe de l'admiration à une véritable vénération comme celle d'un dieu. C'est gênant mais son désarroi est parfaitement transmis au lecteur. En ça c'est une réussite. Ils sont tous les deux infidèles, ce qui plonge Jonathan dans une jalousie maladive mais ni l'un ni l'autre ne se décident à aborder le sujet comme les deux adultes qu'ils sont. Jonathan n'est même pas rappelé à la raison par une amie, une collègue. Il souffre en silence acceptant la situation dans une fatalité déconcertante.
Sans surprise Christian finit par se tirer en avançant un argument aussi lâche que méprisable. Les mesures prisent par le gouvernement pour protéger la population du covid-19 ne sont pas assez importantes et il craint pour sa sécurité. Il décide donc de retourner aux États-Unis. Ce qui est bien sur parfaitement ridicule dans la mesure où il rencontre d'autre garçons pour les niquer. Niveau geste barrière… Mais Jonathan est tellement au fond du trou qu'il accepte sans rien dire. C'est plus fort que lui, il est complètement piégé.
On en arrive au point culminant. Des semaines plus tard Jonathan part à sa recherche en retraçant son itinéraire via les story Instagram de Christian. Soit. Ils finissent par se retrouver, baisent comme des lapins en repoussant leurs limites.
S'ensuit la fin la plus invraisemblable. Au diable le pragmatisme vis-à-vis de leurs survies face au covid, (ils sont jeunes et sont quand mêmes naturellement plus protégés que les populations à risque) mais en seulement quelques lignes, face à cette « fin du monde » programmée, ils décident de tuer avant d'être tuer car les agressions homophobes sont en hausses. Qui parle ? Tadzio ou Jonathan ?
On a donc un prof de français haut comme trois pommes et un assistant d'anglais qui décapitent le plus naturellement du monde le gérant de leur hôtel parce qu'il les a traité de « fucking fags ». Et ils se retrouvent ensuite poursuivis par le FBI et finissent par s'échouer au sommet d'une montagne après une traversée du désert. Fin de l'histoire, merci, au revoir.
Alors pardon d'enfoncer des portes ouvertes mais la fin d'un livre est ce qui justifie l'investissement émotionnel et intellectuel d'un lecteur, balek des 12 euros. Cette fin est aussi grossière et insultante pour le temps passer à lire ce livre que celles qui consistent à faire débarquer de vilains aliens dans leur soucoupe volante ou une simple sortie de coma ou de rêve en mode tout cela n'était qu'en fait une illusion.
Tous les défauts du livre sont alors exacerbés par cette fin qui consiste à cracher au visage du lecteur. Une confusion des genres si tardive me pousse à poser ces questions :
Tadzio Alicante connaissait-il la fin de son histoire avant de commencer à l'écrire ? pourquoi la maison d'édition a accepté de publier une fin aussi extravagante ? Pardon mais c'est du foutage de gueule.
Sans ça j'aurai surement mis trois étoiles, mais là ça en vaut qu'une. Et encore.