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Critique de Renod


JoyeuxDrille écrit dans sa critique : « Un livre qui, d'évidence, ne plaira pas à tout le monde et en laissera d'autres perplexes. » J'appartiens à la catégorie des perplexes. La « zone d'intérêt » raconte la vie d'un camp de concentration, le Kat Zet 1, du triple point de vue narratif de Paul Doll, le commandant du camp, d'Angelus Thomsen, un officier nazi coureur de jupons et de Szmul, un sonderkommando affligé.
Paul Doll est le double fictif de Rudolf Höss, l'officier qui a commandé les camps de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. C'est un homme dépourvu de toute conscience et de toute empathie pour ses victimes. Ses deux principaux soucis sont d'améliorer l'efficacité des massacres et d'obtenir à nouveau les faveurs de son épouse Hannah. Martin Amis le dépeint en bouffon alcoolique désigné par ses collègues nazis sous le joli sobriquet de ''vieux pochetron''. Quand Amis le fait parler, il place des « Ach », des « nicht » et utilise des mots allemands pour désigner l'anatomie féminine des femmes. Par ses tics de langage, le personnage m'a fait penser au Colonel Klink de la série « Papa Schultz »… La satire est si grossière que Martin Amis est à deux doigts de le représenter traversant le camp en tutu rose… Après une journée passée à la rampe à aopérer des sélections sur les convois, Doll rejoint sa femme et ses deux filles dans sa maison bourgeoise située à proximité du camp.
Angelus Thomsen est le neveu de Martin Bormann, un personnage historique, chancelier du Parti nazi et secrétaire de Hitler. Il doit son grade à son oncle mais semble peu concerné par l'idéologie nazie. Pour résumer son activité il déclare : « Je rute, je rute, je rute ». Il tombe éperdument amoureux d'Hannah Doll.
Le personnage de Szmul apporte une dimension tragique à l'oeuvre. Il est responsable des Sonderkommandos, ces prisonniers qui ont participé au processus de la solution finale en aidant par exemple à la sélection ou en récupérant sur les victimes tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur. Il a vendu son âme pour survivre quelques jours, quelques semaines de plus. Szmul est la conscience du roman. Il voit l'horreur. Il sait.

La «zone d'intérêt» désigne la région d'Auschwitz. Cette formule utilisée par les nazis a une connotation économique . le roman évoque en effet la construction au sein du complexe concentrationnaire de la Buna-Werke, une fabrique de caoutchouc financée par l'entreprise IG Farben. Martin Amis fait débattre les officiers SS et les ingénieurs de la firme : est-il nécessaire d'affamer et d'épuiser la main-d'oeuvre fournie par les déportations ? Il interroge le rôle et la culpabilité de ces « perpétrateurs de bureau » et de ces « meurtriers bureaucrates ». La zone est délimitée par cette odeur pestilentielle de cadavres enterrés à la va vite avec laquelle il faut apprendre à vivre. Certains s'y habituent, c'est la « banalité du mal », d'autres non. Comment rester humain au milieu de l'horreur ? Comment vivre après avoir côtoyé le mal ? Comme le déclare Hannah à la fin du roman : « ce serait dégoûtant que quelque chose de bien sorte de cet endroit ». La culpabilité peut mener à la folie ; le roman peut se lire sous la lumière du Macbeth de Shakespeare, qui est cité en préambule.

Martin Amis se justifie dans sa postface. Il s'est longuement documenté. Et c'est vrai que la fiction colle aux faits historiques du camp d'Auschwitz. Traiter ces événements de manière décalée peut se révéler précieux pour apporter une nouvelle lecture de la Shoah. Après, nous sommes en droit de nous demander s'il était vraiment utile de faire d' un dignitaire nazi un obsédé sexuel, de dépeindre le commandant d'un camp d'extermination en clown grotesque atteint de troubles psychiques, et de parsemer le récit de mauvaises blagues. Etait il nécessaire de donner tant de place au coup de foudre de Thomsen? Cette satire excessive plombe une oeuvre qui partait sur de bonnes problématiques et un traitement original.
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