Ils avaient aussi acquis — ou cru acquérir — le calme et le silence des vastes étendues, fréquentées seulement par les coqs de bruyère et les chamois. Comment auraient-ils pu se douter qu’un jour, lointain il est vrai, une route large et fréquentée escaladerait vallées et monts, leur domaine, pour atteindre le plus haut des cols; que de multiples chalets s’éparpilleraient sur les pentes boisées, ou se grouperaient en villages, autour d’un clocher au toit vert; que les neiges, longtemps inviolées, offriraient, plusieurs mois durant, un véritable enchevêtrement de piste; et qu’enfin la silhouette insolite d’un grand hôtel se dresserait, quelque part dans la vallée !
Obliger des inconnus à se raconter, après avoir violé leur domicile, m’a toujours paru ridicule autant qu’odieux… On vient vous regarder écrire, penser, manger et même (pourquoi pas ?) dormir. On exige, pour les étaler, les détails les plus intimes de votre existence. On dévoile la couleur de vos pyjamas, en même temps que celle de votre tapis de bain… On précise l’âge auquel vous avez quitté vos pantalons courts, somme la date de votre première indigestion… Et surtout, surtout, on vous fait dire ce que vous n’avez jamais dit, ce que vous n’auriez jamais pensé à dire, parce que cela se trouve exactement contraire à la réalité.
Au moment où la solitude, dans laquelle nous nous trouvons, pourrait commencer à tarir notre esprit… au moment où notre inspiration, en mal d’exemples, risque de se faire capricieuse… au moment, en un mot, où nous manquons de modèle, d’échantillon vivant, voilà que ce spécimen d’un genre particulier : une jeune fille, nous tombe du ciel, et nous ne remercierons pas ce ciel ami !
Il offrait, en tout cas, l’aspect d’un homme en pleine possession de ses forces, de son intelligence, de son talent. Une grande élégance marquait sa manière d’être, de parler, de se vêtir. Et on était porté à croire que ses pensées intérieures ne pouvaient différer de son aspect physique. L’expression dominante de ses traits, beaux et mouvementés, demeurait la froideur.
Il ne pouvait être question de plaisirs dans notre vieux château, si délabré que, depuis la mort de mon père, toutes nos ressources passaient à l’empêcher de s’effondrer. Nous aurions pu goûter plus de tranquillité en nous installant dans la maison du fermier puisque, depuis longtemps, les terres étant vendues, nous ne possédions plus de fermier.