On a fait un jeu, c'est elle qui a eu l'idée, il fallait trouver la coccinelle avec le plus de points. Au début, j'ai eu du mal, je trouvais beaucoup de points mais il n'y avait pas de coccinelle autour, et Viviane m'a appris comment chercher : d'abord la coccinelle, bien rouge et bien brillante, et seulement après les points.
Le Dr Bardet m'avait demandé d'attendre dans la salle d'attente pendant qu'il parlait à mes parents. J'avais fait semblant d'accepter, j'avais pris un magazine et je m'étais assis avec mes pieds bien posés à plat par terre. Dès qu'il avait refermé la porte, j'étais allé écouter, j'avais appris à la maison que c'était comme ça qu'on entendait les choses les plus intéressantes, les gens parlaient mieux derrière les portes.
C’est le soleil qui m’a réveillé, il appuyait sur mes paupières avec ses pouces chauffés à blanc. J’ai mis un bras en travers de mes yeux pour continuer à dormir. Il y avait un grand calme autour de moi, juste le bruit de l’air qui poussait sur la terre.
Au dîner j’ai annoncé à mes parents :
– Je m’en vais.
Mon père n’a pas répondu parce que son feuilleton venait de commencer. Ma mère m’a dit de finir mes lentilles et de ne pas parler la bouche pleine. C’était tant mieux, au fond, parce que s’ils m’avaient ordonné de rester je me serais dégonflé.
Il était étroit, même de face il avait l'air de profil.
Je mourais d'envie de dire "Alors ?" mais c'était le genre de mot qui appelait les mauvaises nouvelles, je l'avais appris très tôt. Alors le directeur dit que tu peux plus aller à l'école. Alors ta grand-mère t'aime beaucoup mais elle est partie. Alors non, le père Noël n'existe pas. Des "alors" comme ça, j'en avais une liste longue comme le bras.
Je tombais, je tombais et j’avais oublié pourquoi. C’était comme si j’étais toujours tombé. Des étoiles passaient au-dessus de ma tête, sous mes pieds, autour de moi, je moulinais pour m’y raccrocher mais je n’attrapais que du vide. Je tourbillonnais dans un grand souffle d’air mouillé.
(Incipit)
Je n'aurais jamais cru que ça courait aussi vite, un mouton, surtout emmitouflés comme ils l'étaient dans leurs gros chandails.
Le soleil s'est levé, poussant un de ces vents chauds qui font parfois croire que l'été revient. Il ne revient jamais. Finalement toutes les saisons mentent.
Tout d'un coup une colère noire m'a pris, une colère énorme à boucher la vallée. Contre les cordelles, contre Viviane qui m'avait écrit une lettre que je ne pouvais pas lire, contre moi et tous mes problèmes, contre mon père qui n'aimait personne, contre ma mère qui lui pardonnait, contre les fourmis qui trouvaient toujours un moyen de rentrer dans ma chambre quand j'étais sûr d'avoir bouché tous les trous. Contre le grille-pain qui brûlait les tartines même en position 1. Contre la faim et la soif qui ne servaient à rien. Et puis encore contre cette foutue lettre et tous ses secrets, je l'ai prise à deux mains et je l'ai déchirée, j'ai déchiré des morceaux de plus en plus petits jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à déchirer. Ce qu'elle disait, sa lettre, à Viviane, je m'en foutais. Çà ne devait pas être important , sinon elle aurait attendu que je revienne pour me le dire. Et si c'était important c'était bien fait pour elle, elle aurait dû réfléchir avant d'écrire à un imbécile.