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Critique de Floyd2408


Putain est un titre accrocheur, un uppercut violent dans la familiarité grossière de ces femmes vendant leur corps, la novlangue actuelle de plus en plus aseptisée, le poids des mots devenant de plus en plus léger pour éviter l'emprise de leurs violences et celle de cette réalité si agressive. Nelly Arcan adopte avec ce titre une forme de cri de révolte sans complaisance, ce premier roman autobiographique publié en 2001, mais c'est encore plus féroce, pour elle, les qualificatifs les plus usités pour parler des femmes dans l'Histoire sont le titre de ces deux romans Putain et Folle. Ce premier roman bouscule le monde littéraire avec cette vérité sur sa vie d'escort-girl lors de ces études, ce ton adopté la hisse dans la horde d'autres auteurs de l'autofiction, devenu une mode contemporaine, celle qu'exhorte Juan Asensio, mais quelque fois, recherchons nous seulement une écriture Proustienne, pouvons-nous se targuer des avis de spécialistes légitimes où ceux consanguins sociétales.
Comme vais-je commencer cette critique, après ce petit préambule, et une sommaire présentation de l'auteure, je vais décrire cette femme physiquement, pour la rendre plus réelle à ce miroir qu'elle déforme de son regard et sa vision des femmes et d'elle-même. La photo de la première de couverture est le portrait de cette jeune femme, le noir et blanc contraste plus la féminité de ce visage figée devant une glace, celui de notre regard, la fixant de cette pâleur trouble, les cheveux blonds platines entourent les courbes affinées des joues, les lèvres sont parfaitement dessinées, fines au-dessus et plus pulpeuses vers le bas, un sourire timide, un nez fin, retravaillé, cette mode du moment de se le faire refaire, des yeux clairs, du noir les soulignant, une larme coulant la noirceur de son être sur cette joue creuse de la tristesse de Nelly Arcan.
C'est une belle femme, un visage charmant de mélancolie, ce physique est important de le souligner car nous pouvons lier à celui de son âme, et les associer, Putain est cette fille qu'elle déteste, est la soeur vivante d'une mére statique, stoïque, devenue l'ombre d'une femme, abandonnant son rôle de mère, muette de cette léthargie étouffante, devenue une larve, elle est aussi la fille d'un père volage, d'un homme religieux apocalyptique, d'un coureur de pute, d'une bite dure cherchant à violer sa fille, cette putain qu'elle est devenu , empruntant le nom de sa soeur morte bébé, l'ombre de cette soeur s'imprègne en elle, ce nom est celui de cette putain, cette étudiante perdue dans cette chambre, ce lieu où le sperme se déverse en elle, sur elle, s'étale sur son corps, pénètre sa chair, remplit les capotes qui s'entassent dans les sacs verts des poubelles, les odeurs de foutre embaument l'esprit de cette fille devenue un réceptacle à sperme, elle est le mécanisme des bites qui bandent, ces bites qui la remplissent, qui la perforent, qui la salissent, c'est dans ce genre de phrase sans fin que Nelly Arcan s'exprime, chaque paragraphe est qu'une longue phrase, sans fin, un cri puissant qui sort de son être, une respiration longue, un vomissement, une éjaculation puissante, un dégout qu'il faut lâcher toute suite, une gerbe qui éclaboussent le lecteur de ce jet sans complaisance, sans détour, une litanie orale figée par une écriture précise, une prose forte et dure, une explosion intime, des rêves aux fantasmes les plus cruelles et tristes, des envies inabouties, l'amour inaccessible et impossible, cette jeune auteure ancre son roman dans une force psychanalytique intime acerbe, acide et sincère.
Son père ne l'a jamais violée, Nelly Arcan l'associe à ses hommes qui couchent avec elle, ses hommes qui ont l'âge de son père, son père pourrait être son prochain client, cette atmosphère incestueuse s'imprègne dans les mots de cette étudiante, elle désire se faire baiser par son père à travers ses clients, se pose la question assez perverse du viol que son père aurait pu lui faire subir lorsqu'elle était enfant sautant sur ses genoux, avec sa culotte blanche, ses chaussettes blanches jusqu'à ces genoux, sa petite jupe à carreaux, ce fantasme, plutôt cette vision des hommes de Nelly Arcan, est ce filigrane qui hante Putain. Ces hommes sont tous des pères de familles, ils fantasment sur les jeunes filles, sur leur jeunesse, sur l'interdit de rapport incestueux, comme l'oncle et sa nièce, mais ces hommes paient pour assouvir ce que leur femmes ne peuvent faire, comme la sodomie, ces hommes sont justes des untel aux prénoms quelconque, comme Pierre, Jean et Jacques, pour les francophones et Jack, John et Peter chez les anglophones, ces anonymes sont juste de l'argent pour notre jeune Cynthia, prénom de sa soeur morte, son nom de pute, cet argent pour parfaire son physique qu'elle modélise selon le miroir qu'elle a de sa personne, elle gagne cet argent pour s'habiller, se costumer en Schtroumpfette, c'est comme cela qu'elle se définit, ce terme regroupe toutes ses filles et femmes qui sont prisonnières du diktat de la beauté, sous le pouvoir masculin, ce règne de la misogynie, ce peuple de Schtroumpfette dont elle fait partie, comme une évidence, elle en devient anonyme, elle se fond dans la masse de cette société qui laisse ces filles se putasser pour gagner de l'argent facilement, Nelly Arcan dénonce cette réalité froide, beaucoup de jeunes filles deviennent putain.
« et vous ne pouvez pas savoir comment ni combien, vous ne vous doutez pas qu'il y a des étudiantes qui sont prêtes à tout pour poursuivre leurs études, pour boucler leurs fins de mois, et lorsque nous sommes entre nous il n'y a rien qu'on ne puisse dire pour dramatiser encore plus notre statut, d'ailleurs on ne parle que de ça, de la justification qu'on se donne d'être une putain devant les autres… »
Cette forme d'impersonalisation que nous impose Nelly Arcan se prolonge tout le long du roman, elle est sa soeur dans la putasserie, ce nom d'emprunt pour encore plus devenir invisible, pour faire revivre sa soeur ainée qu'elle n'a pas connu à travers ses hommes qui bandent de la Schtroumpfette qu'elle est devenue,
« …ma petitesse de Schtroumpfette qui aime faire gonfler ses lèvres avec du silicone, les lèvres et les seins, avoir ce que ma mère n'a jamais eu, des lèvres et des seins… », « …moi qui ne suis préoccupée que par ma silhouette de Schtroumpfette, ma sveltesse de putain qui se maquille avant le petit déjeuner… », « …je suis une Schtroumpfette qui s'est noyée dans la glace, au milieu de ses cent Schtroumpfs… »
Être cette pantomime de fille superficielle, prisonnière de ce dictat de beauté, basculant dans l'anorexie, cette maladie si psychologique, Jour sans faim de Delphine de Vigan, en parle si bien, Bianca de Robert Loulou est ce cri puissant, c'est cette rupture qu'emporte notre héroïne vers cette solitude de vie, perdant des amies, lui laissant ce goût amère de vouloir leur mort.
« …moi, j'étais d'ailleurs l'anorexique de l'école car il fallait bien que je me démarque, regardez-moi disparaître et voyez de quelle façon j'aime la vie, et déjà je paradais dans mon refus de n'être plus une enfant, de me répandre ainsi en rondeurs alors que ma mère s'amenuisait toujours plus, alors qu'elle ne voulait plus sortir de son lit, et si mes copines m'avaient été fidèles je n'aurais jamais souhaité leur perte, si elles m'avaient adorée au point de laisser tomber tout le reste, si elles m'avaient suivie comme les apôtres ont suivi Jésus-Christ… »

Ils sont tous anonymes ces clients, sauf quatre, elle raconte ces hommes, l'un obèse qui l'aime, l'invite au restaurant puis lui offre l'hôtel, n'aimant pas sa chambre, il a peur d'être reconnu, un jeune homme régulier de 23 ans qui est différent par sa jeunesse et beauté naturelle, un vieux juif, se masturbant en la regardant puis venant la prendre au désespoir de son âge et de son statut religieux, il y a aussi cet hongrois aux cicatrices multiples et son bras inerte, lui parlant seulement de littérature, taisant ses blessures, ces hommes sont un groupe, sont une masse, sont seulement des queues, ces queues répétées et répétées dans ce récit, ces hommes en sont réduit à cette queue qui se dresse.

le suicide est dans ce livre une finalité à la vie de cette putain, cherchant à tout prix à faire mourir sa mére, désirant qu'elle se suicide, c'est la seule solution pour elle pour enfin vivre, ne plus devenir sa mére, la remplacer, cette larve laide couchée dans son lit, cette femme gardant dans son ventre les stigmates de la naissance de sa dernière fille, comme tombe en elle, ce tombeau de sa première fille, la pendaison lui semble la seule solution pour ne plus toucher terre et briser l'emprise de sa mére qui est pendue à son cou, accroché à son dos, elle veut se couper la tête, qu'on la dépèce, cette violence est une façon de tuer sa mére, mais au fond Nelly Arcan sait que la mort est sa seul façon de pourvoir vivre, même si l'enfer de son père et de sa religion, la pousse à mourir encore plus, à se putasser, à se schtroumpfer, à recevoir des queues, à désirer l'impossible comme l'amour de son psychanalyste, elle ne veut ce qui est impossible, elle fuit les couples, elle hait la religion, d'ailleurs cette religion qui lui a volait sa jeunesse à travers le discours apocalyptique de son père, la mort de sa soeur ainée à 8 mois, restera l'ombre de sa vie, qu'elle ose faire vivre dans son rôle de putain en lui empruntant son prénom, ce prête nom la plongeant encore plus dans l'invisibilité de son être, cette transparence qui l'habille, ce costume de Schtroumpfette qu'elle se paie en se putassant.

Ce récit n'est pas une obscénité, cette prose intime désarçonne par cette violence sourde de la société à travers le regard d'une putain. Ce passage sur les servantes dans la religion souligne parfaitement la fumisterie de l'Histoire, de la religion, putain et servante ne sont-elles pas la même personne ! C'est comme un exorciste, Nelly Arcan laisse sa pensée sombre glisser sur le papier qu'elle noircit de sa plume, ses doutes, ses peurs, ses illusions, sa vision, son interprétation de la société sont ces cris qu'elle déverse dans ce livre, il faut relire cette prose pour bien s'imprégner de cet esprit torturé, de cette jeune femme qui ne l'est pas. Nous ne naissons pas femme, nous le devenons disait Simone de Beauvoir, Nelly Arcan a décidé de devenir Schtroumpfette !
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