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EAN : 9782020557177
186 pages
Seuil (05/09/2002)
3.42/5   368 notes
Résumé :
Cachée derrière les rideaux de sa chambre, une prostituée patiente entre deux clients. L'attente se nourrit du souvenir : une famille dévote, une mère absente et un père distrait. Et parfois la jouissance éprouvée avec ces hommes auxquels elle fait l'amour, ces hommes qu'elle déteste peut-être autant qu'elle-même. Un récit obsessionnel qui ressemble à un exorcisme désespéré pour se maintenir en vie.
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Critiques, Analyses et Avis (50) Voir plus Ajouter une critique
3,42

sur 368 notes
"Je pourrais vous décrire la beauté du monde si je savais la voir, mais je suis trop occupée à mourir". Voilà ce qu'écrivait et nous disait Nelly Arcan, que nous avons regardé sans la voir, trop occupés que nous étions à mater "sa" vie qui nous faisait "bander".
Lorsqu'est sorti - Putain - est né le paradoxe, la schizophrénie qui n'ont cessé d'entourer, d'étouffer l'oeuvre littéraire d'Isabelle Fortier.
Cette Canadienne francophone avait un talent littéraire énorme... qu'elle a juste eu le temps de commencer à nous montrer, et des pulsions suicidaires, une impossibilité à "vivre son mal de vivre"... qui ont eu raison trop tôt (? ) de la femme et de l'écrivaine surdouée.
- Putain - sort donc en 2001 ( Nelly Arcan a envoyé le manuscrit au Seuil... ne s'attendant à rien et n'attendant rien... au bout de 15 jours la maison d'édition parisienne la réveille à 6 heures du matin... on ne fait pas attendre le talent !). Elle est aussitôt en lice pour le Médicis et le Femina ( quelle reconnaissance !)... et la proie des vautours médiatiques, qui ont flairé en bons charognards, le parfum du sulfureux et du scandale.
Or si - Putain - fait référence "au plus vieux métier du monde", que son auteure dit avoir exercé pendant plusieurs années, son livre n'est pas "une putasserie" qui racole des lecteurs... c'est de la Littérature... avec un grand L.
C'est une souffrance impudique mais digne, un pathos étouffant et flamboyant, que nous offre sa plume exceptionnelle à travers des phrases fleuves où elle joue avec les mots et les figures, se joue des mots et des figures comme le ferait un acrobate funambulant d'étoile en étoile, partagé entre une inexorable assomption et l'attrait du vide et de la chute.
On connaît tous la fin de l'histoire et il serait bête et indécent de jouer les Sherlock Freud alors que l'assassin a été identifié.
Je ne me livrerai donc pas à une analyse de supermarché. Je me contenterai de souligner que Nelly avait semé sur son trajet littéraire suffisamment de petits cailloux pour qu'on comprenne que seule la mort pouvait soulager sa souffrance, et que si nous n'avons pas vu les petits cailloux, c'est que nous n'avons pas voulu les voir... parce que ce monde qu'elle détestait était peuplé de trop de "larves".
On commence enfin à vraiment s'intéresser à l'écrivaine. Des lieux de culture ont été baptisés Nelly Arcan. Un Prix littéraire portant son nom a été créé. Un film lui a été consacré.
Naissance d'un mythe ? Cette Princesse déchue, rachetée par la littérature concentre autour de sa vie et de son oeuvre tous les éléments pour qu'il en soit ainsi.
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Quand Nelly Arcan s'est suicidée en septembre dernier (réalisant ainsi l'acte qu'elle avait prévu depuis l'âge de 15 ans), personne n'en a parlé en France, pays qui l'avait pourtant célébré dès 2001 avec la publication de « Putain », son premier livre auto-biographique. Ce silence est, il me semble, une grande injustice. Ce livre est à la fois l'autoportrait douloureux de son auteur et le reflet sans concession d'une société qui valorise l'apparence, incite à la « putasserie » et ne considère la femme le plus souvent que comme « femme-vulve ».
Texte très fort, politiquement incorrect, féministe tout en reflétant les contradictions d'une identité féminine non assumée.
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J'ai abordé ce livre avec la curiosité de celle qui visite les ruines d'un pays en cherchant à comprendre l'origine de ses ravages. Nelly Arcan, cette jeune prostituée montréalaise, s'est donnée la mort en 2009, à l'âge de 34 ans. Qu'est-ce qui a amené cette étudiante en littérature à ne plus espérer au point de s'enlever la vie ? J'ai tenté de trouver des réponses à travers ce roman, sans tomber dans le piège de la suranalyse des traumatismes qui l'ont habitée, encore moins dans le voyeurisme. Même si ses mots laissent en nous une empreinte de mal être, son univers n'est pas moins complexe que celui qui évolue en chacun de nous.

« Putain » est son premier roman, une autofiction débordante de sentiments noirs résultant de comportements autodestructeurs. Quelques pages à peine suffisent à nous éclairer sur les origines de son mal. Entre une mère, qui passe ses grandes journées à dormir et qu'elle qualifie de « larve » et de « cadavérique », et un père qui chasse les putains, on a vite fait de comprendre que Nelly Arcan n'a pas été entourée de modèles positifs.

Les pages de ce roman m'ont aussi révélé sa hantise des femmes et sa misanthropie. Son besoin de plaire et l'image d'un corps qu'elle craint de voir vieillir. C'est d'ailleurs en alliant les mots « femmes » et « féminité » que l'expression de cette crainte est la plus marquée. Un passage du livre : « Je me suis mise à vieillir à toute allure », m'a rappelé Marguerite Duras qui disait dans « L'amant » : « J'avais à 15 ans le visage de la jouissance et je ne connaissais pas la jouissance. Tout a commencé de cette façon pour moi, par ce visage voyant, exténué… en avance sur le temps… ». Les ressemblances dans leurs écrits sont frappantes. le style est tout autre, Duras ayant une plume incomparable, beaucoup plus fine et subtile, mais leur vécu comporte un nombre infini de similitudes, notamment celle de faire l'expérience de la sexualité à un âge beaucoup trop précoce.

Pourquoi ne suis-je donc pas arrivée à aller au bout de cette lecture ? le style est lourd, un immense cri de détresse sans points ni ponctuations. S'ajoute au style un ton vulgaire qui m'a vraiment déplu. N'allez pas croire que je pense nécessaire d'exprimer son mal de vivre dans le but d'obtenir des distinctions de l'Académie française. Je crois seulement que, pour demeurer authentique face à son vécu, il ne soit pas nécessaire de communiquer avec une telle disgrâce. Un minimum de pudeur ajoute sans doute une meilleure crédibilité aux yeux du lecteur. C'est un avis personnel, bien sûr... J'en arrive maintenant à ce qui m'a vraiment percutée : la paradoxalité de son discours. Nelly Arcan aborde dans ses ouvrages des thèmes tels que l'influence de l'image chez la femme, la marchandisation du corps et le suicide. Elle dénonce haut et fort le commerce de la prostitution qu'elle refuse pourtant de quitter. Pour toute réponse, elle dira que « c'est peut-être à cause d'une tendance naturelle que j'ai à me dévêtir et à m'étendre à toute heure ». J'ai franchement été agacée de l'entendre parler de l'image corporelle de la femme, affirmant que les femmes ne se sentent le besoin d'exister qu'à travers le regard des hommes. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre que, même avec une conscience aussi aiguë des raisons qui poussent les femmes à devenir des esclaves de leur image (époque axée sur l'image et la minceur), elle n'ait pas réussi à s'en affranchir elle-même. Son roman est à mes yeux un tissu de provocations qu'elle alimente à travers une allure hyper-sexualisée et des propos uniquement centrés sur le sexe. J'ai le sentiment d'avoir perdu mon temps alors qu'une tonne de romans croulent sous mes pieds…

Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
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Putain est un titre accrocheur, un uppercut violent dans la familiarité grossière de ces femmes vendant leur corps, la novlangue actuelle de plus en plus aseptisée, le poids des mots devenant de plus en plus léger pour éviter l'emprise de leurs violences et celle de cette réalité si agressive. Nelly Arcan adopte avec ce titre une forme de cri de révolte sans complaisance, ce premier roman autobiographique publié en 2001, mais c'est encore plus féroce, pour elle, les qualificatifs les plus usités pour parler des femmes dans l'Histoire sont le titre de ces deux romans Putain et Folle. Ce premier roman bouscule le monde littéraire avec cette vérité sur sa vie d'escort-girl lors de ces études, ce ton adopté la hisse dans la horde d'autres auteurs de l'autofiction, devenu une mode contemporaine, celle qu'exhorte Juan Asensio, mais quelque fois, recherchons nous seulement une écriture Proustienne, pouvons-nous se targuer des avis de spécialistes légitimes où ceux consanguins sociétales.
Comme vais-je commencer cette critique, après ce petit préambule, et une sommaire présentation de l'auteure, je vais décrire cette femme physiquement, pour la rendre plus réelle à ce miroir qu'elle déforme de son regard et sa vision des femmes et d'elle-même. La photo de la première de couverture est le portrait de cette jeune femme, le noir et blanc contraste plus la féminité de ce visage figée devant une glace, celui de notre regard, la fixant de cette pâleur trouble, les cheveux blonds platines entourent les courbes affinées des joues, les lèvres sont parfaitement dessinées, fines au-dessus et plus pulpeuses vers le bas, un sourire timide, un nez fin, retravaillé, cette mode du moment de se le faire refaire, des yeux clairs, du noir les soulignant, une larme coulant la noirceur de son être sur cette joue creuse de la tristesse de Nelly Arcan.
C'est une belle femme, un visage charmant de mélancolie, ce physique est important de le souligner car nous pouvons lier à celui de son âme, et les associer, Putain est cette fille qu'elle déteste, est la soeur vivante d'une mére statique, stoïque, devenue l'ombre d'une femme, abandonnant son rôle de mère, muette de cette léthargie étouffante, devenue une larve, elle est aussi la fille d'un père volage, d'un homme religieux apocalyptique, d'un coureur de pute, d'une bite dure cherchant à violer sa fille, cette putain qu'elle est devenu , empruntant le nom de sa soeur morte bébé, l'ombre de cette soeur s'imprègne en elle, ce nom est celui de cette putain, cette étudiante perdue dans cette chambre, ce lieu où le sperme se déverse en elle, sur elle, s'étale sur son corps, pénètre sa chair, remplit les capotes qui s'entassent dans les sacs verts des poubelles, les odeurs de foutre embaument l'esprit de cette fille devenue un réceptacle à sperme, elle est le mécanisme des bites qui bandent, ces bites qui la remplissent, qui la perforent, qui la salissent, c'est dans ce genre de phrase sans fin que Nelly Arcan s'exprime, chaque paragraphe est qu'une longue phrase, sans fin, un cri puissant qui sort de son être, une respiration longue, un vomissement, une éjaculation puissante, un dégout qu'il faut lâcher toute suite, une gerbe qui éclaboussent le lecteur de ce jet sans complaisance, sans détour, une litanie orale figée par une écriture précise, une prose forte et dure, une explosion intime, des rêves aux fantasmes les plus cruelles et tristes, des envies inabouties, l'amour inaccessible et impossible, cette jeune auteure ancre son roman dans une force psychanalytique intime acerbe, acide et sincère.
Son père ne l'a jamais violée, Nelly Arcan l'associe à ses hommes qui couchent avec elle, ses hommes qui ont l'âge de son père, son père pourrait être son prochain client, cette atmosphère incestueuse s'imprègne dans les mots de cette étudiante, elle désire se faire baiser par son père à travers ses clients, se pose la question assez perverse du viol que son père aurait pu lui faire subir lorsqu'elle était enfant sautant sur ses genoux, avec sa culotte blanche, ses chaussettes blanches jusqu'à ces genoux, sa petite jupe à carreaux, ce fantasme, plutôt cette vision des hommes de Nelly Arcan, est ce filigrane qui hante Putain. Ces hommes sont tous des pères de familles, ils fantasment sur les jeunes filles, sur leur jeunesse, sur l'interdit de rapport incestueux, comme l'oncle et sa nièce, mais ces hommes paient pour assouvir ce que leur femmes ne peuvent faire, comme la sodomie, ces hommes sont justes des untel aux prénoms quelconque, comme Pierre, Jean et Jacques, pour les francophones et Jack, John et Peter chez les anglophones, ces anonymes sont juste de l'argent pour notre jeune Cynthia, prénom de sa soeur morte, son nom de pute, cet argent pour parfaire son physique qu'elle modélise selon le miroir qu'elle a de sa personne, elle gagne cet argent pour s'habiller, se costumer en Schtroumpfette, c'est comme cela qu'elle se définit, ce terme regroupe toutes ses filles et femmes qui sont prisonnières du diktat de la beauté, sous le pouvoir masculin, ce règne de la misogynie, ce peuple de Schtroumpfette dont elle fait partie, comme une évidence, elle en devient anonyme, elle se fond dans la masse de cette société qui laisse ces filles se putasser pour gagner de l'argent facilement, Nelly Arcan dénonce cette réalité froide, beaucoup de jeunes filles deviennent putain.
« et vous ne pouvez pas savoir comment ni combien, vous ne vous doutez pas qu'il y a des étudiantes qui sont prêtes à tout pour poursuivre leurs études, pour boucler leurs fins de mois, et lorsque nous sommes entre nous il n'y a rien qu'on ne puisse dire pour dramatiser encore plus notre statut, d'ailleurs on ne parle que de ça, de la justification qu'on se donne d'être une putain devant les autres… »
Cette forme d'impersonalisation que nous impose Nelly Arcan se prolonge tout le long du roman, elle est sa soeur dans la putasserie, ce nom d'emprunt pour encore plus devenir invisible, pour faire revivre sa soeur ainée qu'elle n'a pas connu à travers ses hommes qui bandent de la Schtroumpfette qu'elle est devenue,
« …ma petitesse de Schtroumpfette qui aime faire gonfler ses lèvres avec du silicone, les lèvres et les seins, avoir ce que ma mère n'a jamais eu, des lèvres et des seins… », « …moi qui ne suis préoccupée que par ma silhouette de Schtroumpfette, ma sveltesse de putain qui se maquille avant le petit déjeuner… », « …je suis une Schtroumpfette qui s'est noyée dans la glace, au milieu de ses cent Schtroumpfs… »
Être cette pantomime de fille superficielle, prisonnière de ce dictat de beauté, basculant dans l'anorexie, cette maladie si psychologique, Jour sans faim de Delphine de Vigan, en parle si bien, Bianca de Robert Loulou est ce cri puissant, c'est cette rupture qu'emporte notre héroïne vers cette solitude de vie, perdant des amies, lui laissant ce goût amère de vouloir leur mort.
« …moi, j'étais d'ailleurs l'anorexique de l'école car il fallait bien que je me démarque, regardez-moi disparaître et voyez de quelle façon j'aime la vie, et déjà je paradais dans mon refus de n'être plus une enfant, de me répandre ainsi en rondeurs alors que ma mère s'amenuisait toujours plus, alors qu'elle ne voulait plus sortir de son lit, et si mes copines m'avaient été fidèles je n'aurais jamais souhaité leur perte, si elles m'avaient adorée au point de laisser tomber tout le reste, si elles m'avaient suivie comme les apôtres ont suivi Jésus-Christ… »

Ils sont tous anonymes ces clients, sauf quatre, elle raconte ces hommes, l'un obèse qui l'aime, l'invite au restaurant puis lui offre l'hôtel, n'aimant pas sa chambre, il a peur d'être reconnu, un jeune homme régulier de 23 ans qui est différent par sa jeunesse et beauté naturelle, un vieux juif, se masturbant en la regardant puis venant la prendre au désespoir de son âge et de son statut religieux, il y a aussi cet hongrois aux cicatrices multiples et son bras inerte, lui parlant seulement de littérature, taisant ses blessures, ces hommes sont un groupe, sont une masse, sont seulement des queues, ces queues répétées et répétées dans ce récit, ces hommes en sont réduit à cette queue qui se dresse.

le suicide est dans ce livre une finalité à la vie de cette putain, cherchant à tout prix à faire mourir sa mére, désirant qu'elle se suicide, c'est la seule solution pour elle pour enfin vivre, ne plus devenir sa mére, la remplacer, cette larve laide couchée dans son lit, cette femme gardant dans son ventre les stigmates de la naissance de sa dernière fille, comme tombe en elle, ce tombeau de sa première fille, la pendaison lui semble la seule solution pour ne plus toucher terre et briser l'emprise de sa mére qui est pendue à son cou, accroché à son dos, elle veut se couper la tête, qu'on la dépèce, cette violence est une façon de tuer sa mére, mais au fond Nelly Arcan sait que la mort est sa seul façon de pourvoir vivre, même si l'enfer de son père et de sa religion, la pousse à mourir encore plus, à se putasser, à se schtroumpfer, à recevoir des queues, à désirer l'impossible comme l'amour de son psychanalyste, elle ne veut ce qui est impossible, elle fuit les couples, elle hait la religion, d'ailleurs cette religion qui lui a volait sa jeunesse à travers le discours apocalyptique de son père, la mort de sa soeur ainée à 8 mois, restera l'ombre de sa vie, qu'elle ose faire vivre dans son rôle de putain en lui empruntant son prénom, ce prête nom la plongeant encore plus dans l'invisibilité de son être, cette transparence qui l'habille, ce costume de Schtroumpfette qu'elle se paie en se putassant.

Ce récit n'est pas une obscénité, cette prose intime désarçonne par cette violence sourde de la société à travers le regard d'une putain. Ce passage sur les servantes dans la religion souligne parfaitement la fumisterie de l'Histoire, de la religion, putain et servante ne sont-elles pas la même personne ! C'est comme un exorciste, Nelly Arcan laisse sa pensée sombre glisser sur le papier qu'elle noircit de sa plume, ses doutes, ses peurs, ses illusions, sa vision, son interprétation de la société sont ces cris qu'elle déverse dans ce livre, il faut relire cette prose pour bien s'imprégner de cet esprit torturé, de cette jeune femme qui ne l'est pas. Nous ne naissons pas femme, nous le devenons disait Simone de Beauvoir, Nelly Arcan a décidé de devenir Schtroumpfette !
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"Putain" de l'écrivaine québécoise Nelly Arcan est un roman, un mélange à base d'autofiction, d'autobiographie et de fiction, qui a suscité des réactions passionnées et diverses depuis sa publication en 2001.
C'est un long monologue théâtral, servi par une plume unique et incisive – que j'ai trouvée beaucoup plus subversive et puissante qu'une Virginie Despentes.

Un aperçu brut et saisissant du monde de la prostitution, ici de luxe, donné par ce roman qui en explore des aspects ignorés et dérangeants ; et qui ouvre ainsi des réflexions sur les questions complexes du rapport aux parents, de l'identité, du désir, de l'instrumentalisation du corps, du façonnage de la perception de soi sous l'influence de la société.

Un roman qui laisse une marque dans le paysage littéraire… et qui vous marque.
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critiques presse (1)
LeDevoir
19 avril 2024
La réédition du récit illustré de l'écrivaine de «Putain» est une occasion de revenir sur ce texte-phare.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Citations et extraits (70) Voir plus Ajouter une citation
Et ses doigts rendus croches d'être si fort rongés, ses doigts tordus de ne servir à rien, il faut dire que ma mère ne se ronge pas les ongles avec la bouche, tout occupée à n'être qu'une fente, mais avec ses doigts qui se mangent les uns les autres, ça fait tac lorsque l'ongle écorche un doigt, un tac qui laisse des gouttelettes de sang sur quoi elle tac encore, des points rouges dont elle ne se préoccupe pas, ma mère et ses mains qui s'affrontent sur ses cuisses comme si elles avaient une vie propre, comme si de rien n'était, comme si tout le reste du corps, jusque-là resté dans une torpeur de vieille folle, n'existait que pour assister à leur agitation, et elle fait ça tout le temps et sans rien dire car elle ne parle pas, elle crie ou elle se tait, elle garde le silence avec le tac de ses doigts qui envahit la pièce, une horloge à pendule qui se fait remarquer dans les temps morts, le dimanche après-midi, lorsque les enfants jouent dehors, et ce silence me rend folle, nous somme deux folles qui gardons le silence pour mieux nous détester.
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Et que pensent mes clients de tout ça, de ma mère et de leur femme, de moi et de leur fille, du fait que meurt leur femme et qu'ils baisent leur fille, eh bien que pensez-vous qu'ils en pensent, rien du tout j’en ai peur car ils ont trop de réunions à présider en dehors desquelles ils ne songent qu'à bander, et lorsqu'ils me confient d'un air triste qu'ils ne voudraient pas que que leur fille fasse un tel métier, qu'au grand jamais ils ne voudraient qu'elle soit putain, parce qu'il n'y a pas de quoi être fier pourraient-ils dire s'ils ne se taisaient pas toujours à ce moment, il faudrait leur arracher les yeux, leur briser les os comme on pourrait briser les miens d'un moment à l'autre, mais qui croyez-vous que je sois, je suis la fille d'un père comme n'importe quel père, et que faites-vous ici dans cette chambre à me jeter du sperme au visage alors que vous ne voudriez pas que votre fille en reçoive à son tour, alors que devant elle vous parlez votre sale discours d'homme d'affaires, de vacances de Noël à Cuba et de toujours nouveaux programmes informatiques, que faites-vous ici alors que vous redoutez qu'elle suce à la file toutes les queues de tous les pères de tous les pays, et d'abord qui vous dit qu'elle n'en est pas une elle-même de putain car il y en a tant, de plus en plus jeunes et de moins en moins chères, qui vous dit qu'elle ne putasse pas avec votre père et vos frères, qu'elle n'ouvre pas les jambes à tous les costumes de toutes les professions et qu'elle ne ramasse pas chaque fois le même aveu de ces pères qui ne voudraient pas que leur fille soit putain, et comment cette masse de putains a-t-elle pu se former ainsi, à l'insu de l'intérêt public, comment vos filles ont-elles pu ouvrir la bouche sur le premier venu, eh bien elles le sont devenues sur le chemin de l'école, vous vous rappelez, la petite jupe d'écolière que le vent soulève sur la petite culotte blanche, elles le sont devenues dans le regard qu'on a porté sur elles et elles le resteront jusqu'à la fin, jusqu'à ce que la vieillesse les rattrape et les renvoie sous les draps où elles pourront longuement repenser à leur démarche de jupe soulevée par le vent, à leur vie de se déhancher, et faites bien attention car elles vieilliront d'un seul coup ou presque, quelques clients suffiront pour que se relâche la précieuse étroitesse de leur fente et qu'agenouillées devant une queue la torpeur remplace l'étonnement, et n'allez pas croire qu'elles soient innocentes ou victimes, elles l'auront bien cherché, d'ailleurs elles n'auront fait que ça, elles bavent d'être regardées tout autant que les hommes qui les regardent, et bientôt elles ne rougiront plus de voir s'embrasser les couples sur les bancs publics car elles auront déjà tant embrassé, elles n'iront plus visiter leur grand-mère car elles se seront perdues en route, elles seront là où on les aura appelées, déshabillées quelque part dans une chambre ou sur une page de magazine, et puis un jour vous vous retrouverez face à face et penserez mon Dieu, ce n'est pas vrai, dites-moi que je rêve, vous vous demanderez pourquoi elle et pourquoi moi et vous ne comprendrez pas, vous ne comprendrez pas qu'il faut être deux pour jouer à ce jeu, un pour frapper à la porte et l'autre pour l'ouvrir.
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de toute façon ils ne remarquent l'obésité que chez les femmes, eux peuvent être tout ce qu'ils veulent, médiocres et flasques, à demi bandés, alors que chez les femmes c'est impardonnable, le flasque et les rides, c'est proprement indécent, il ne faut pas oublier que c'est le corps qui fait la femme, la putain en témoigne, elle prend le flambeau de toutes celles qui sont trop vieilles, trop moches, elle met son corps à la place de celles qui n'arrivent plus à combler l'exigence des hommes, bander sur du toujours plus ferme, du toujours plus jeune.
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Je me souviens de la forme de son corps sous les draps et de la tête qui ne sortait qu’à moitié comme un chat en boule sur l’oreiller, un débris de mère qui s’aplanissait lentement, il n’y avait là que ses cheveux pour indiquer sa présence, pour la différencier des draps qui la recouvraient, et cette période de cheveux a duré des années, trois ou quatre ans peut-être, enfin il me semble, ce fut pour moi la période de la Belle au bois dormant, ma mère s’offrait là une vieillesse souterraine alors que je n’étais plus tout à fait une enfant ni encore une adolescente, alors que j’étais suspendue dans cette zone intermédiaire où les cheveux commencent à changer de couleur, où poussent sans prévenir deux ou trois polis noirs dans le duvet doré du pubis, et je savais qu’elle ne dormait pas complètement, qu’à moitié, on le voyait dans sa façon d’être raide sous les draps trop bleus, trop carrés dans sa chambre trop ensoleillée, les quatre grandes fenêtres qui entouraient son lit et qui jetaient sur la tête des faisceaux lumineux, rectilignes, et dites-moi, comment peut-on dormir avec des rais de lumière sur la tête et à quoi ça sert d’avoir tant de soleil dans sa chambre lorsqu’on dort ?
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(...) et lorsqu'ils me confient d'un air triste qu'ils ne voudraient pas que leur fille fasse un tel métier, qu'au grand jamais ils ne voudraient qu'elle soit putain, parce qu'il n'y a pas de quoi être fier pourraient-ils dire s'ils ne se taisaient pas toujours à ce moment, il faudrait leur arracher les yeux, leur briser les os comme on pourrait briser les miens d'un moment à l'autre, mais qui croyez-vous que je sois, je suis la fille d'un père comme n'importe quel père, et que faites-vous ici dans cette chambre à me jeter du sperme au visage alors que vous ne voudriez pas que votre fille en reçoive à son tour, alors que devant elle vous parlez votre sale discours d'hommes d'affaires, de vacances de Noël à Cuba et de toujours nouveaux programmes informatiques, que faites-vous ici alors que vous redoutez qu'elle suce à la file toutes les queues de tous les pères de tous les pays, et d'abord qui vous dit qu'elle n'en est pas une elle-même de putain car il y en a tant, de plus en plus jeunes et de moins en moins chères, qui vous dot qu'elle ne putasse pas avec votre père et vos frères, qu'elle n'ouvre pas les jambes à tous les costumes de toutes les professions et qu'elle ne ramasse pas chaque fois le même aveu de ces pères qui ne voudraient pas que leur fille soit putain, et comment cette masse de putains a-t-elle pu se former ainsi, à l'insu de l'intérêt public, comment vos filles ont-elles pu ouvrir la bouche sur le premier venu, eh bien elles le sont devenues sur le chemin de l'école, vous vous rappelez, la petite jupe d'écolière que le vent soulève sur la petite culotte blanche, elles le sont devenues dans le regard qu'on a porté sur elles (...)
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Quel journal intime, présenté comme un roman, marque l'entrée en littérature d'une jeune femme qui exerça le métier de prostituée et finit par se donner la mort à l'âge de trente-quatre ans ?
« Putain » de Nelly Arcan, c'est à lire en poche chez Points.
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