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Critique de Plumefil


Alabama est "encore" un roman sur le racisme ? Oui, mais...! Je suis toujours avide de nouvelles découvertes, ce qui se révèle de plus en plus compliqué au regard du nombre d'ouvrages à mon actif traitant du fondement de la ségrégation raciale, de l'injustice, de l'intolérance, de la persécution et de l'odieux KKK. Tout ce qui a existé au milieu du siècle dernier, laissant des cicatrices non cautérisées aux États-Unis et existant plus sournoisement encore de nos jours.

Il est donc très difficile de me surprendre sur le sujet et pourtant... le choix de la narration naviguant entre les années 60 et aujourd'hui est audacieux et subtil, en un mot : brillant ! D'emblée, le lecteur est happé par la curiosité et aspiré, telle Alice de Lewis Carroll, dans le tunnel de l'incompréhension de Will, jeune étudiant noir, à se retrouver dans un lieu inconnu, pour les funérailles d'un auteur, certes célèbre, mais dont il ne sait rien, au milieu d'une famille en deuil et... blanche. C'est au travers d'un manuscrit autobiographique de l'écrivain décédé, présenté comme un legs à la génération suivante, que le jeune homme va aller à la rencontre inattendue de ses racines. Comment trouver les termes justes pour parler de ce roman, quand l'histoire elle-même est si troublante de véracité et d'émotion, sans trahir l'auteur ?

Tout au long de ce tragique destin émanent douleurs, violences et injustices. le racisme est, évidemment, au coeur du roman incarné par des personnages haineux, suffisants et incultes. Cependant, le sujet est aussi ailleurs. Il prône la tolérance, l'entraide, l'admiration et surtout l'amitié, ignorante des différences sociales et des couleurs de peau. En mots choisis, l'auteur a signé un texte d'une profonde sensibilité malgré la fureur contenue omniprésente. Les ondes négatives planant sur la confession écrite n'étouffent pas les vibrations bienveillantes de fidélité affectueuse irradiant de la fraternité métissée entre les adolescents.

L'antagonisme de la douceur infinie au pays de l'animosité agressive est une belle réussite littéraire, d'autant plus que beaucoup de thèmes importants, sujets à réflexion, sont abordés sur cette toile de fond abrupte. L'amitié bien sûr, mais aussi les valeurs humaines, l'écoute, l'empathie, la force des convictions et le courage de les appliquer, l'ouverture d'esprit face aux autres et à leur différence, etc. Bien que ce roman se situe dans les pages refermées de l'Histoire, sa modernité réside dans toutes ces notions, malheureusement trop souvent absentes de notre monde dit moderne et évolué.

le talent de l'auteur permet de placer le lecteur, non pas en observateur détaché, mais en participant actif par le déferlement des vagues émotionnelles qui ne cessent de le frapper de plein fouet. Il est le troisième larron dans les liens qui unissent Trent et Toby. Il transpire dans les champs avec eux. Il se cache pour apprendre à lire loin des oreilles indiscrètes. En tremblant de peur, il soutient les convictions d'un jeune pasteur inconnu, un certain Martin Luther King. Il arrive même à ressentir de la pitié face à l'hostilité malveillante de l'oncle Dan.

La présence de la littérature est un point captivant du récit. Car ce sont les "demi-hommes", "sales nègres"," métèques", "macaques", "fainéants" et bien sûr "homosexuels", pour reprendre les termes sympathiquement fleuris des suprémacistes, qui apprennent à lire et à découvrir le plaisir de l'évasion qu'offre la lecture aux Blancs tellement supérieurs aux "animaux" que sont les Noirs. Un beau pied de nez aux idées reçues !

Je transposerais volontiers le slogan célèbre d'un hebdomadaire connu, "le choix des mots et le choc des photos" à la plume fluide et sensible d'Alexis Arend en "le choix des mots et le choc des images". Aucun doute sur sa qualité de conteur. Il saisit fermement l'imaginaire, tel un chef d'orchestre sa baguette, pour déployer l'étendue de sa poésie. le lecteur ressent le moindre souffle de vent caressant sa peau en sueur, hume les odeurs brûlantes du Sud, perçoit les changements de couleurs des paysages agricoles au fil des saisons. La personnalité de chaque protagoniste, même secondaire, est ciselée par l'orfèvre, utilisant des tons et des rythmes différents qui permettent au lecteur de vivre à l'unisson les bonheurs et les drames de ces familles brisées. Pas de fioritures inutiles, le coeur du sujet est abordé directement avec humilité et efficacité. Voilà bien ce que j'aime chez un auteur, me provoquer des émotions me fondant dans une aventure, vivant avec les personnages et non pas en restant spectatrice à distance, en marge derrière les pages.

Je ne peux occulter le choix de la couverture de ce roman. Au premier regard et en deux images superbes, elle affiche l'ambiance dans laquelle la vie va se dérouler, entre misère et servitude. Pourtant, certains, par l'opiniâtreté et la sincérité de leurs convictions, s'élèveront au-dessus des autres, sans chercher à les dominer, uniquement pour affirmer leur droit de vivre auquel aspire tout être humain.

Instantanément, Alabama a été, pour moi, une lecture passionnante. Je reconnais la partialité de mon avis, car j'ai été propulsée au coeur d'une période de l'Histoire américaine qui m'a toujours fascinée. Mais, le sujet seul n'est pas suffisant pour me charmer. Faut-il encore qu'il y ait les mots et le style pour me toucher. Là, j'avoue, Alexis Arend a fait "carton plein" ! Je le remercie sincèrement pour m'avoir offert une lecture bouleversante, me laissant sans voix et peu de mots pour en parler, malgré les apparences. Elles sont beaucoup trop rares, à mon goût, dans la littérature actuelle, c'est pourquoi ces pépites me sont extrêmement précieuses. Merci, également, à Jennifer pour l'envoi de ce roman et nos sympathiques échanges. Elle a vu juste, la plume de l'écrivain m'a séduite sans réserve.

Je ne peux résister à l'envie de conclure cette chronique par les paroles d'une chanson, version française de "Go Down Moses" composée par Louis Armstrong. Cet hommage de Claude Nougaro pour le célèbre trompettiste de jazz américain n'a cessé de virevolter dans mon esprit au fil des pages :

Armstrong, je ne suis pas noir
Je suis blanc de peau
Quand on veut chanter l'espoir
Quel manque de pot
Oui, j'ai beau voir le ciel, l'oiseau
Rien, rien, rien ne luit là-haut
Les anges zéro
Je suis blanc de peau
Armstrong, tu te fends la poire
On voit toutes tes dents
Moi, je broie plutôt du noir
Du noir en dedans
Chante pour moi, louis, oh oui
Chante, chante, chante, ça tient chaud
J'ai froid, oh moi
Qui suis blanc de peau
Armstrong, la vie, quelle histoire?
C'est pas très marrant
Qu'on l'écrive blanc sur noir
Ou bien noir sur blanc
On voit surtout du rouge, du rouge
Sang, sang, sans trêve ni repos
Qu'on soit, ma foi
Noir ou blanc de peau
Armstrong, un jour, tôt ou tard
On n'est que des os
Est-ce que les tiens seront noirs?
Ce serait rigolo
Allez louis, alléluia
Au-delà de nos oripeaux
Noir et blanc sont ressemblants
Comme deux gouttes d'eau
Armstrong, je ne suis pas noir
Je suis blanc de peau
Quand on veut chanter l'espoir
Quel manque de pot
Oui, j'ai beau voir le ciel, l'oiseau
Rien, rien, rien ne luit là-haut
Les anges... zéro
Je suis blanc de peau
Armstrong, tu te fends la poire
On voit toutes tes dents
Moi, je broie plutôt du noir
Du noir en dedans
Chante pour moi, louis, oh oui
Chante, chante, chante, ça tient chaud
J'ai froid, oh moi
Qui suis blanc de peau
Armstrong, la vie, quelle histoire?
C'est pas très marrant
Qu'on l'écrive blanc sur noir
Ou bien noir sur blanc
On voit surtout du rouge, du rouge
Sang, sang, sans trêve ni repos
Qu'on soit, ma foi
Noir ou blanc de peau
Armstrong, un jour, tôt ou tard
On n'est que des os
Est-ce que les tiens seront noirs?
Ce serait rigolo
Allez louis, alléluia
Au-delà de nos oripeaux
Noir et blanc sont ressemblants
Comme deux gouttes d'eau

Let my people go ou Armstrong (1965)
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