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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce n'est pas fréquent , même voire rare , d'avoir entre les mains un roman qui nous raconte le Sri Lanka.
Anciennement Ceylan , le Sri Lanka reste lié géographiquement à l'Inde du Sud. Juste un isthme sépare l'ïle du sous continent indien. Cette proximité avec l'Inde fait que le Nord du Sri Lanka est peuplé de Tamouls , originaire du Tamil Nadu l'une des provinces du Sud de l'Inde. Les Tamouls vivants au Sri Lanka sont de religion hindou. Cette religion existait bien avant l'arrivée du bouddhisme dans l'ïle.
Depuis que le Sri Lanka a obtenu son indépendance de la grande Bretagne en 1948 les relations entre la majorité Sri Lankaise et la minorité tamoule sont difficiles. Cette tension a conduit à la formation de groupe demandant l'indépendance des Tamouls et du Nord et Nord Est de l'Ile. En 1976 fut crée le Mouvement des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul ( LTTE ) et appelé plus succinctement les Tigres du Tamoul.
Une guerre civile féroce a ensanglanté le pays et à pris fin en 2009.
Ceci longuement posé , il est plus facile de mettre en place la trame du roman.
La guerre civile est terminée.
Krishan est un jeune étudiant qui a terminé ses études en Inde à New Delhi. Il est de retour chez sa mère à Colombo et avant d'entamer sa vie professionnelle , il souhaite aider la population du Nord de l'ile qui a été traumatisé par la guerre civile. Il se met au service d'une ONG locale.
Il revient chaque fin de semaine chez sa mère à Colombo. Celle-ci vit avec Appama ,sa mère et grand mère de Khrishan.
Appama est de santé déclinante et requerra à terme l'aide d'une soignante.
Lors de l'un de ses séjours dans le Nord il a rencontré Rani , femme d'un certain âge qui accepte de devenir aide soignante auprès d'Appama.
Rani fait des retours réguliers dans son village du Nord.
Lors de l'un de ces retours , Krishnan et sa mère vont être informés que Rani a été retrouvée morte au fonds d'un puits.
Krishan souhaite assister aux funérailles de Rani et entame un long voyage en train vers le Nord du Sri Lanka.
Ce voyage sera un temps de réflexion , de calme , de retour sur lui même et de lien avec Rani.
Que penser d'un étudiant qui vit à New Delhi loin de son pays et des affres de la guerre civile.
Pourquoi être privilégié alors qu'une partie de la jeunesse est au prise avec la guerre.
Quel devoir de mémoire Krishan doit il maintenir alors que Rani a perdu son mari et des deux garçons durant cette guerre civile.
A partir d'une écriture sensible, empathique et philosophique , l'auteur , Anuk Arudpragasam nous bluffe par par le portait qu'il nous dresse du Sri Lanka , de sa jeunesse et de son avenir.
Que ce soit l'intime ou plus prosaïquement le général , son écriture détaillée , très précise nous entraine au coeur des sentiments ou au coeur des rites des funérailles hindous avec une grande sensibilité.
Pour avoir découvert il y a une dizaine d'années le Sud de l'Inde et le Sri Lanka , j'ai retrouvé dans ce roman " Un passage vers le Nord " des émotions qui m'avaient traversé.
Une très belle découverte.
Merci à la Masse Critique de Babélio et aux Editions le Bruit du Monde pour l'envoi de ce livre.
Lien : http://auxventsdesmots.fr
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A l'occasion d'un bien long voyage de 7 heures dans le train qui l'emmène de Colombo au sud jusque dans la région de Jaffna au nord de son île natale, le Sri Lanka, puis de 2 heures de bus pour rejoindre le petit village, but de son voyage, Krishnan un jeune sri-lankais pense à ceux qu'il connaît et à son propre itinéraire de vie.
Lui qui a eu la chance d'être épargné (il a « seulement » perdu son père décédé dans un attentat) par la terrible guerre qui a opposé singhalais et tamouls les deux principales communautés pendant près de 30 ans et faisant des milliers de morts dans la communauté tamoul persécutée par un gouvernement singhalais qui a été accusé par l'ONU d'être responsable de crimes contre l'humanité.
Sa famille aisée a réussi à l'envoyer en Inde pour y faire des études universitaires alors que dans le même temps son frère partait pour Londres où vit une partie de sa famille qui s'y est exilée.
Mais Krishnan après avoir rencontré Anjum une jeune militante dont il est tombé éperdument amoureux, s'est enfin intéressé au terrible sort de son île.
Il a donc décidé d'interrompre ses études et de quitter Delhi pour revenir dans le nord du Sri Lanka travailler pour une ONG qui prend en charge les victimes de cette atroce guerre civile.
C'est là-bas qu'il va rencontrer Rani une femme dont les 2 fils ont été tués pendant la guerre, et qui y a laissé sa santé mentale.
Krishnan dont la santé de sa grand-mère est déclinante va proposer à Rani de venir l'assister en qualité de garde malade, et à son grand étonnement Rani va accepter de quitter le nord de l'île pour venir à Colombo.
Mais voilà que Rani qui était aller visiter les siens vient de trouver la mort dans d'étranges circonstances.
Krishnan va donc entreprendre ce long voyage pour aller au nom de sa famille rendre hommage à Rani et assister à ses funérailles.
Très beau livre qui sous prétexte du voyage intérieur de ce jeune homme, nous ouvre les yeux sur un conflit méconnu mais qui a été d'une cruauté indicible.
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Par coïncidence (ou non) c'est maintenant le deuxième roman en peu de temps que je lis d'un auteur sri-lankais. "Les sept lunes de Mali Almeida" de Shehan Karunatilaka m'a submergé par son ton hilarant et sarcastique qui mettait en lumière la dure réalité de la guerre civile sri-lankaise. le livre d'Arudpragasam est tout à fait différent. Cela aussi concerne la brutalité de la guerre, mais l'angle et le ton sont complètement différents. Arudpragasam suit le jeune Krishan sur son chemin en train vers les funérailles de la femma tamil Rani, la gardienne de sa grand-mère. Il y a une histoire, mais elle est en fait très mince et se déroule très lentement, en phrases parfois très longues, régulièrement interrompues par des réflexions philosophiques et des références à des histoires de la tradition bouddhiste et hindoue.

Dès le départ, Arudpragasam donne le ton avec une page et demie de réflexion philosophique sur le phénomène du temps, combien le présent s'accroche à nous, et par conséquent le passé et le futur restent inaccessibles au-delà de l'horizon. Ces références au mystérieux phénomène du temps sont récurrentes, tant à propos de Rani, d'Anjum que du passé guerrier, et m'ont fortement rappelé le schéma de temporalité de l'historien et philosophe allemand Reinhart Koselleck. Il indique aussi d'emblée le contenu cérébral de ce roman, qui est renforcé par les phrases longues et sinueuses qui rappellent Thomas Bernhardt et Javier Marias. Juste pour dire que ce livre risque de ne pas plaire au lecteur qui s'attend à une histoire forte. S'il y a une évolution dans ce roman, c'est dans la façon dont Krishan accepte sa culpabilité, sa relation brisée, la vie et la mort en général. Cela rend le ton et la structure réfléchie, subtile, introspective de ce roman d'un rare haut niveau. Je suis très curieux de savoir ce qu'Arudpragasam proposera ensuite.
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Avec ce roman l'auteur dresse le constat d'un pays épuisé par une guerre civile longue et douloureuse. Ce voyage à l'autre bout du pays pour assister aux funérailles de Rani est l'occasion de se remémorer et de s'interroger sur l'Histoire de son pays. Il se livre alors à une véritable introspection et repense à son amour pour Anjum qu'il n'avait pas revu depuis des années. Anjum, cette jeune femme militante dont l'engagement politique rend presque impossible toute autre relation. Il revient également sur les nombreux traumatismes laissés par cette guerre à travers notamment le parcours de Rani, dont la vie était hantée par des cauchemars depuis la mort de ses fils. Il repense à son choix de retourner sur l'île alors que tant de tamouls cherchent à la fuire, à sa culpabilité d'avoir tant été privilégié. C'est un roman qui se lit lentement. A l'image de ce voyage en train, les phrases et les chapitres sont longs. Plongés au coeur de ses pensées, nous assistons alors à de longues réflexions souvent philosophiques. La plume est magnifique et j'en ai apprécié la musicalité. Je suis ravie d'avoir lu ce livre car il m'en a appris beaucoup sur l'Histoire du Sri Lanka dont je ne connaissais quasiment rien. Un roman d'une grande sensibilité, à la fois doux et intense que je vous recommande.
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Je pense que c'est la première fois que je lis un roman qui se déroule au Sri Lanka et a fortiori écrit par un auteur sri lankais. Cela m'a tout de suite attirée quand j'ai fait mes repérages de des parutions de la rentrée littéraire de janvier et c'est grâce à la dernière opération masse critique organisée par Babelio que j'ai eu l'occasion de découvrir ce roman.

Krishan est un jeune sri-lankais qui est revenu vivre avec sa famille à Colombo après avoir étudié à New Delhi. Il travaille pour une ONG locale qui vient en aide à la population qui a souffert de la guerre civile qui ravagé le pays et vit dans la maison familiale avec sa mère et sa grand-mère. Rani, la dame de compagnie de sa grand-mère, est absente depuis quelques mois, lorsque Krishan apprend son décès soudain. Afin de rendre hommage à cette femme que toute la famille apréciait, Krishan décide de se rendre dans le nord du pays pour assister aux funérailles. Les quelques jours qui suivront cette annonce, sont l'occasion pour le jeune homme de se replonger dans ses souvenirs familiaux et amoureux.

C'est donc un roman introspectif, méditatif, philosophique même. Un roman qui se déroule lentement, mais qui pourtant est un véritable plaisir de lecture parce qu'il nous fait découvrir de ce pays, de sa population et de ses personnages. Plongé dans ses pensées, Krishan se dévoile, avec ses forces et ses faiblesses, ses émotions et ses regrets. Il évoque sa relation à sa grand-mère en fin de vie, à Rani qui portait en elle tant de blessures, à Anjum qu'il aimait et qui l'a quitté.

Cette lecture a aussi été l'occasion de découvrir un pays et un peuple dont j'ignorais tout. J'ai d'ailleurs été très étonnée par la vie que Krishan menait à New Delhi. On y suit une jeunesse éprise de liberté, y compris sentimentale et sexuelle. Mode de vie en totale contradiction avec l'image que je pouvais avoir de la société indienne et qui vient justement souligner les paradoxes d'une société tiraillée entre tradition et modernité.

Je souligne également la beauté de l'écriture de l'auteur, élégante et subtile, très agréable à lire.

Ce fut donc une très belle découverte pour laquelle je remercie les éditions le bruit du monde et Babelio.
Lien : http://tantquilyauradeslivre..
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« A Passage North » (2021, Granta Books, 304 p.) de Anuk Arudpragasam, vient de remporter le Booker Prize 2021. Bravo pour cet auteur du Sri Lanka, qui écrit en tamoul, mais vit aux USA depuis qu'il a 18 ans. Etudes à Stanford University, avec un BA, puis après un bref retour au Sri Lanka, il passe un PhD à Columbia University en 2019.
De lui, on a déjà pu lire « The Story of a Brief Marriage », publié en 2016, traduit par Elodie Leplat en « Un Bref Mariage » (2016, Gallimard, 240 p.). L'histoire d'un mariage arrangé entre Ganga et Dinesh, jeune médecin qui opère dans une région en guerre où l'on manque de tout.
Il travaille actuellement à un troisième roman sur la diaspora tamoul de New York et Toronto. Une exploration de l'évolution de l'amitié, des relations parents-enfants et de la violence dans les relations interpersonnelles.
« A Passage North » fait le récit du voyage de Krishan, dans le nord du Sri-Lanka, alors que le pays est dévasté par la guerre. Tout débute par un message informant Krishan de la mort de Rani, la gardienne de sa grand-mère (Appamma). On vient de la retrouver au fond d'un puits dans son village, avec le cou brisé par la chute. Ce message coïncide avec un autre mail d'Anjum, militante passionnée, mais distante, dont Krishan était tombé amoureux des années auparavant alors qu'il vivait à Delhi et était étudiant en sciences politiques.
Krishan vit actuellement à Colombo avec a famille. Il a perdu son père à la suite d'un attentat à la bombe, mais il est par ailleurs relativement inconscient des détails du conflit dans le Nord. A

Débute alors un long voyage en train de Colombo à la province du Nord déchirée par la guerre pour Krishan qui part assister aux funérailles de Rani. Un bûcher « au bout du monde ». Un voyage au cours duquel il fait le bilan de trente ans de guerre civile pendant laquelle les Tamouls ont été anéantis. Au dehors, les terres sont un vaste cimetière où brûlent encore les bûchers funéraires.
Il faut dire que l'hostilité entre Cinghalais et Tamouls ne date pas d'hier. Déjà au VIeme siècle avant notre ère, il y avait rivalité entre ces deux royaumes. Plus récemment, à l'époque du Raj britannique, la politique a été de « diviser pour régner » comme le savent si bien faire les britanniques coloniaux. Opposition donc entre les Tamouls d'origine indienne, majoritairement au nord de l'île et sur la partie côtière de l'ouest et en partie à l'Est. Ils appellent cette région Eelam. Les nationalistes cinghalais, majoritairement bouddhistes, sont plutôt regroupés au sud et à l'intérieur de l'île. On compte environ un quart de la population de l'île qui parlent tamouls, une langue dravidienne, c'est-à-dire non aryenne et non himalayenne. Les trois-quarts restant de la population parlent le cinghalais, qui dérive du sanscrit.
Cela aboutit à la formation des « Tigres de libération de l'Eelam tamoul » (LTTE), plus souvent appelés simplement « Tigres Tamouls ». Les combats, violents, débutent en juillet 1983 avec un pogrom à Jaffna (Black July Pogrom). L'Inde s'implique dans les combats par un appui financier au LTTE et en accueillant des camps d'entraînement pour ses combattants. En réponse, le premier ministre Rajiv Gandhi est assassiné par une Tamoule en 1991 lors d'un attentat suicide. Quatre grands épisodes de guerre, dite guerre de l'Eelam, font état d'environ 20000 morts et 250000 personnes déplacées. Il faut signaler l'implication très forte des femmes tamoules dans le conflit, le tout sous couvert de féministe, avec égalité des droits entre hommes et femmes. Cela encourage les mariages jeunes, car les femmes mariées n'étaient pas recrutées par le LTTE. Ce sera le cas de Ganga et Dinesh dans « A Passage North ».
En 2003, des pourparlers aboutissent à la mise en place d'une autorité indépendante intérimaire « Interim Self Governing Authority » ou ISGA. Elle prend position pour les aspirations des Tamouls à l'auto-détermination, mais abandonne sa demande pour un Tamil Eelam indépendant tout en continuant à demander une grande autonomie à travers le fédéralisme. Il faut admettre les pressions de la diaspora tamoule, notamment norvégienne et au Canada avec une forte densité à Toronto. Il en résulte des évènements tels que les « Pongu Tamil » (soulèvement tamoul) qui rassemblent 30000 personnes en Angleterre et 75 000 au Canada.
Retour à ce long voyage en train. On n'imagine mal ce que peut être le voyage en train en Inde ou au Sri Lanka. Entre Colombo, sur la côte au deux tiers sud de l'ile à Jaffna, tout au nord, il y a environ 400 km. Il faut compter entre 7 et 8 heures en train moderne (contre une dizaine d'heures en bus). Mais ces trains offrent l'avantage de pouvoir y manger, avec de la restauration locale à chaque station ou dormir, faute de regarder le paysage.
Krishan a donc tout loisir de méditer, à la fois sur sa vie, plus ou moins amoureuse avec Anjum, sur la vie passée de Rani et les traditions anciennes, le tout sur fond de paysage ravagé par la guerre civile. Tout y passe donc : les cicatrices et les traumatismes de la guerre, les problèmes de santé mentale, la famille, les complexités des relations intimes, la vie, la mort, la culture, les traditions, la religion, la culture, la mémoire, le personnel et le politique.
Un long monologue intérieur d'environ 300 pages avec de longues phrases. La réflexion s'organise sur un certain nombre de thèmes, la guerre, son amour perdu, sur la vie, le passé, l'avenir, la beauté et la violence, l'histoire en général.
Sur la guerre
« Il y avait eu tant d'histoires d'accidents dans le nord-est depuis la fin de la guerre, de noyades, d'incendies, d'explosions mentales et d'accidents de la route surtout, tant de brèves nouvelles de deuxième ou de troisième page qui notaient comment telle ou telle personne inconnue de l'ancienne zone de guerre était décédée d'une manière ou d'une autre bizarre ou inattendue. Des accidents se produisaient partout, bien sûr, mais ces accidents devaient être plus que de la malchance, car comment des gens si robustes, des gens qui avaient traversé tant de choses et qui en sont encore sortis vivants, se sont-ils permis de mourir si facilement maintenant et avec une telle docilité ? » Ou encore « C'était comme s'il y avait une autre logique plus obscure à l'oeuvre que le simple hasard, comme si la mort suivait en quelque sorte ces gens qui avaient réussi à survivre, comme s'ils étaient en quelque sorte marqués, les différentes probabilités statistiquement élevées. sur laquelle était fondée la vie ordinaire commençant, pour eux, à changer, à changer de plus en plus en faveur de leur disparition imprévue - comme s'ils marchaient eux-mêmes à bras ouverts vers ces morts apparemment accidentelles, comme s'ils les accueillaient eux-mêmes ou même voulu qu'elles aient lieu ». Et pour conclure : « C'était drôle à quel point le désir était semblable à la perte de cette manière, comment le désir aussi, comme le deuil, pouvait couper à travers le tissu de la vie ordinaire, provoquant les routines et les rythmes qui avaient régi votre existence si totalement qu'ils semblent incontestables à perdre tranquillement le dur reflet de la nécessité, vous laissant presque dans un état d'incrédulité, incapable de participer au monde ».
Sur son amour passé,
« Ce qu'à défaut d'un meilleur mot était parfois appelé amour, s'était-il rendu compte cette nuit-là, n'était pas tant une relation entre deux personnes en elles-mêmes qu'une relation entre deux personnes et le monde dont elles étaient témoins, un monde dont les surfaces et les extérieurs ont progressivement commencé à se dissiper à mesure que les deux individus s'enfonçaient de plus en plus profondément dans ce qu'on appelait leur amour. Tomber amoureux, ou ce qui méritait d'être appelé tomber amoureux, avait-il réalisé cette nuit-là, n'était pas tant une condition émotionnelle ou psychologique qu'une condition épistémologique, une condition dans laquelle deux personnes se tenaient la main et regardaient avec étonnement silencieux le monde autour de elles se sont lentement dévoilées, alors que les faussetés de la vie ordinaire ont commencé à s'éclaircir et à se dissoudre devant leurs yeux, les sourcils froncés et les mâchoires serrées, les couleurs vives et les bruits forts, les excitations et les perturbations de surface, tout s'estompant de sorte que ce qui restait – le temps mis à nu - était la seule façon dont le monde pouvait vraiment être appréhendé, de sorte que même si cette condition ne durait pas, même si elle se perdait, comme elle finit toujours par se perdre, par habitude ou circonstance ou simplement par le lent et triste passage des années, la connaissance qu'il a transmise demeure, la connaissance que le monde auquel nous participons habituellement n'est pas tout à fait réel, que le temps n'a pas besoin de passer comme nous le vivons habituellement, que d'une certaine manière il est possible de vivre, de respirer et de bouger en un seul instant, qu'un seul instant ne puisse être un cordon sur un abaque de longueur finie mais un océan dans lequel on peut entrer, dont les rivages lointains ne peuvent jamais être atteints ».
Sur le passé en général
« Délibérément ou non, le passé est toujours oublié, en tous lieux et chez tous les peuples, un phénomène qui a moins à voir avec les forces qui cherchent à effacer ou à réécrire l'histoire que simplement la nature du temps, avec la préséance que le présent semble toujours avoir sur ce qui a précédé, la préséance non pas du moment présent, auquel nous ne semblons jamais avoir accès, mais de la situation présente, qui réclame toujours notre attention, toujours si puissante et vive et accablante que dès que l'on de ses éléments disparaît, nous oublions qu'il a jamais existé ».
Sur les rapports entre la violence et la beauté.
« Ce ne sont peut-être pas seulement les images de beauté qui obscurcissent la vision au fil du temps, mais aussi les images de violence, ces moments de violence qui, pour certains, font tout autant partie de la vie que les moments de beauté, les deux types d'images apparaissant au moment où l'on s'y attendait et les deux ont continué à nous hanter par la suite, ce qui nous a tous deux marqués et marqués, limitant à quelle distance nous étions par la suite capables de voir ».
Sur l'histoire en général
« Histoire. Créer un personnage bien équilibré. Cadre. Dialogue. Contexte historique. J'essaie de faire attention à ces choses - j'essaie - mais ce sont toujours des réflexions après coup. Beaucoup de ces autres choses s'accumulent, elles trouvent leur place à travers un processus d'accrétion, et ils sont déposés en différentes vagues à chaque fois que je parcours le texte. Parfois, des choses me viennent à l'esprit, et je me dis, Oh, je peux juste ajouter ceci. J'écris sur des brouillons. Il n'y a pas de premier brouillon « J'ai un petit centre ici ou un petit centre là-bas, puis je le passe en revue, et chaque fois que je le fais, plus de matériel s'accumule jusqu'à ce que je trouve un moyen de connecter ces îles en quelque chose. J'ai dans mon esprit que le lecteur s'attend à ce que le personnage soit crédible ou que l'histoire soit intéressante. J'ai cette petite voix dans ma tête qui dit que je dois essayer, mais ces éléments de l'écriture de roman ne m'intéressent pas ».
Sur la jeunesse perdue
« Nous expérimentons, encore jeunes, nos désirs les plus profondément ressentis comme une sorte d'horizon, voyons la vie comme divisée en ce qui se trouve de ce côté de cet horizon et ce qui se trouve de l'autre, comme si nous devions seulement atteindre cet horizon et tomber en elle pour que tout change, pour transcender une fois pour toutes le monde tel que nous l'avons connu, bien qu'à la fin cette transcendance ne vienne jamais réellement, bien sûr, un fait que l'on a commencé à apprécier seulement en vieillissant, quand on s'est rendu compte qu'il y avait toujours plus de vie de l'autre côté de l'accomplissement du désir, qu'il y avait toujours se réveiller, travailler, manger et dormir, le lent passage du temps qui ne finit jamais, quand on s'est rendu compte qu'on ne peut jamais vraiment toucher l'horizon parce que la vie continue toujours, parce que chaque instant se confond avec le suivant et ce que l'on considérait comme l'horizon de sa vie s'avère toujours être un autre morceau de terre ».
Sur la vie et la mort
« Il se demanda ce qui l'avait amené dans cet endroit si éloigné du monde qu'il connaissait, quelles forces l'avaient poussé à quitter la vie qu'il s'était créée en Inde, à venir dans cet endroit où il n'avait jamais vécu, cet endroit qui avait à peine figuré dans sa vie en grandissant. Il se demanda quels mouvements du destin avaient conduit à sa rencontre apparemment accidentelle avec Rani dans la salle d'hôpital, à son arrivée dans leur maison quelques mois plus tard, à sa mort inattendue deux jours auparavant et à sa présence maintenant à sa crémation, incapable de trembler. le sentiment que sa présence dans cette scène de désolation avait été décidée quelque part bien avant, que quelque chose en lui l'avait poussé vers elle bien avant la fin de la guerre, quelque chose de plus que de la culpabilité, quelque chose comme la liberté, même s'il ne pouvait pas dire ce qu'était exactement la liberté ».
Et en plus il pense à l'avenir
« Il resterait des gens qui insistaient pour se souvenir, certains d'entre eux étaient des militants, des artistes et des archivistes qui avaient délibérément choisi de le faire, mais la plupart étaient des gens ordinaires qui n'avaient pas d'autre choix… qui, au sens le plus élémentaire, ne pouvaient tout simplement pas accepter un monde sans ce qu'ils avaient perdu, des gens qui avaient perdu la capacité de participer au présent et qui étaient obligés de vivre le reste de leur vie dans leurs souvenirs et leur imagination, de construire dans leur esprit, comme le temple construit par Poosal, les monuments et mémoriaux qu'ils ne pouvaient pas construire dans le monde extérieur ».
Désir et nostalgie – c'est la clé de la fin du roman. Et aussi : le passé et le présent, L'absence et le désir, L'activisme et le monde universitaire, L'action et l'introspection, L'agence et l'obsession, le regard et le toucher ; Sommeil et réveil, voyage et exil.
« Ce n'est qu'en regardant un horizon que son regard pouvait dépasser tous les obstacles qui limitaient sa vision à la situation présente, que son regard pouvait s'étendre sans limite vers d'autres temps et d'autres lieux, et peut-être était-ce tout ce qu'était la liberté, rien plus que la capacité des muscles ciliaires de chaque oeil - les muscles finement calibrés qui se contractent lors de la mise au point sur des objets proches et se détendent lors de la mise au point sur des objets éloignés - rien de plus que la capacité de ces muscles à se relâcher et à se détendre à volonté, permettant au des choses qui existaient au loin, bien au-delà de l'endroit où l'on se trouvait réellement, pour sembler en quelque sorte à portée de main ».

« Et peut-être était-ce pour cette raison, il lui était venu à l'esprit à ce moment-là, que la vue s'affaiblissait au fil des années, non pas à cause de la vieillesse ou d'une maladie, non pas à cause de la détérioration de la cornée ou des lentilles ou du muscles qui les contrôlaient mais plutôt à cause de l'accumulation de quelques-unes de ces images au cours d'un bref séjour sur terre, images d'une grande beauté qui transperçaient les yeux et se superposaient à tout ce que l'on voyait par la suite, rendant plus difficile au fil du temps voir et faire attention au monde extérieur, même si peut-être, cela lui vient à l'esprit maintenant, quatre ans plus tard dans son pays de naissance, marchant à l'arrière du cortège portant le corps de Rani pour la crémation, Rani qui avait tellement vu qu'elle n'aurait jamais pu oublier, peut-être avait-il été naïf à l'époque, peut-être n'y avait-il pas que des images de beauté qui obscurcissaient la vision au fil du temps mais aussi des images de violence, ces moments de violence qui pour certains étaient tout autant t de la vie comme des moments de beauté, les deux sortes d'images apparaissant quand on s'y attend le moins et toutes les deux continuant à nous hanter par la suite, qui nous ont toutes deux marquées et marquées, limitant jusqu'où nous pouvions voir par la suite ».
Quand il ne pense pas, Arudpragasam nous raconte des histoires, varies le plus souvent comme celle de Kuttimani, en fait celle de Nadarajah Thangavelu, rebelle tamoul, mort à 25 ans plus connu connu sous son nom de nom-de-guerre Thangadurai. Lors de son arrestation, les gardiens de la prison auraient laissé tomber leurs clés entre les mains des prisonniers cinghalais. Et l'un des agresseurs a coupé la langue de Kuttimani et a bu son sang en criant « J'ai bu le sang d'un tigre »
En fait, il ne peut s'arrêter de penser « Entre l'oubli qui s'opère grâce à notre consentement, qui est un oubli dont nous avons besoin pour concilier nos passés et nos présents, et l'oubli qui nous est imposé contre notre propre gré, qui est si souvent une manière de forcer nous d'accepter un cadeau auquel nous ne voulons pas participer ». Et « Il ne pouvait s'empêcher de penser, alors que le train se rapprochait de sa destination, qu'il n'avait parcouru aucune distance physique ce jour-là mais plutôt une vaste distance psychique à l'intérieur de lui, qu'il n'avait pas avancé du sud de l'île à son au nord, mais du sud de son esprit à ses propres étendues lointaines au nord ».

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