Il me faut devenir un passeur de mémoire. Mais j'ai beau savoir l'heure venue de raconter au lieu de vivre, l'encre de mon pinceau, à peine posée sur le papier, s'effiloche comme l'empreinte des pluviers sur le sable d'une grève battue par les vents.
Quelle valeur a le renoncement de celui qui ignore à quoi il renonce?
Ce soir,dans l'obscurité silencieuse,je me répète ce haïku de Ryokan:
Seul au sommet
Je me dresse
Vent d'automne
Il y a au fond de ma poitrine une douleur qui ne me quitte pas.
Devant la splendeur de ce paysage dépouillé et silencieux,un vers d'un poème que Maître Shodo aimait citer,lui revint en mémoire:
La Terre et le Ciel récitent sans cesse un soûtra non écrit.
Le coeur de celui qui aime oscille entre bonheur et souffrance, dit Kamala comme si elle avait lu dans ses pensées.Crois-tu pouvoir t'ouvrir à l'amour sans t'ouvrir au chagrin?
C'est la souffrance qui l'a fait grandir.Sans la souffrance, vois-tu,nous ne sommes rien.C'est elle,elle seule,qui nous rend humains.
Au Japon, le monde sauvage était séparé du monde des hommes. La nature s'exprimait librement dans les espaces inhabités, dans les profondeurs des montagnes ; dans le monde des kami en somme. Mais dans les lieux habités, la main de l'homme intervenait toujours, quoiqu' avec discrétion, pour orienter son exubérance dans une direction précisément voulue.
J'ai remarqué au même instant que, inversement, les anémones de la ruelle avaient refermé les larges corolles roses que ce matin encore elles tendaient vers le ciel. Avec leurs tiges courbées sous la pluie, on les croiraient maintenant transformées en renoncules. Ce spectacle a soulevé dans mon coeur une joie profonde, la joie que suscite la vraie beauté. Je ne suis pas sûr que ce monde moderne, dont on nous promet les plus grands miracles, saura nous offrir de si ravissants spectacles, et sans bourse délier !
N'oubliez pas, dit Prem Bahadur au moment où Mitsudô et Tenzin se levaient pour partir. L'amour le plus élevé doit présider à tous nos actes. Chacune des créatures vivantes sans exception, y compris nous-mêmes, mérite notre tendresse et notre compassion. C'est le principal message du Bouddha, l'essence de tous les sûtras.
Une multitude de petits stûpas de pierre, dressés partout autour de lui, au milieu de la forêt, rappelaient cette vérité à chaque pas: un carré pour la terre, surmonté d'un rond pour l'eau, d'une colonne pour le feu, d'un triangle pour le vent, surmonté d'une dernière excroissance représentant le Vide, l'Éther. Voilà ce qui composait le monde, la totalité du monde.