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Critique de gruz


gruz
22 novembre 2019
La servante écarlate a touché le coeur, titillé le cerveau et cultivé l'imagination de millions de personnes. Par le roman de Margaret Atwood sorti en 1987 en français, et maintes fois réédité. Par la série TV, et ses 3 saisons à ce jour (dont les deux premières sont absolument exceptionnelles).

Il aura fallu 34 ans à l'autrice canadienne pour donner une suite à ce roman. D'ailleurs, il convient plutôt de parler d'extension, tant le mot « suite » n'est pas vraiment adapté.

On le comprend très vite en constatant que Les testaments se déroule 15 ans après. Ne vous attendez donc pas à suivre des événements linéaires, ni à retrouver Defred en narratrice. Ouvrez plutôt votre esprit, surtout si vous avez suivi la série TV, dont l'écrivaine s'écarte régulièrement, tout en en reprenant des éléments. Cela demande parfois une petite gymnastique de la pensée.

Margaret Atwood est une visionnaire. Une écrivaine au talent immense, qui sait tirer les leçons du passé et du présent pour imaginer un sombre futur. En fait, en parlant de demain elle parle d'aujourd'hui.

Et pas seulement avec cette histoire-là, plongez-vous dans d'autres de ses formidables dystopies comme le dernier homme ou encore le temps du déluge, qui mettent en scène les dégâts écologiques et une autre forme d'irresponsabilité humaine. Son génie prophétique n'a que peu d'équivalent dans la littérature moderne.

15 ans plus tard, donc, et trois narratrices pour nous permettre de suivre en perspective la chute d'un système totalitaire. L'autrice sait que le salut vient de la jeunesse, deux de ces voix sont celles de jeunes filles, une de chaque coté de la barrière. La troisième est celle bien connue d'un des exécuteurs, Tante Lydia, souvent assez éloignée des caractéristiques du personnage de la série (même en ce qui concerne les raisons de son entrée dans le système qu'est Galaad).

Oui Galaad et non Gilead. C'est un choix de la traductrice Michèle Albaret-Maatsch, avec un mot d'explication en liminaire au roman. Autant je comprends sa volonté de traduire différemment certains mots inventés par Atwood, autant je ne suis pas en phase avec cette idée de changer le nom d'un endroit qui est aujourd'hui totalement ancré dans l'imaginaire des lecteurs. Ce choix peut intellectuellement s'entendre, mais je le trouve perturbant émotionnellement. Mais, j'en profite pour saluer son travail de grande qualité pour la traduction du roman.

Margaret Atwood a eu l'intelligence de ne pas se lancer dans une banale suite. Trop d'eau a coulé sous les ponts depuis la sortie du premier roman, avec un monde qui se rapproche dangereusement de ce qu'elle avait imaginé en l'écrivant pour partie à Berlin, à coté d'un mur encore érigé.

Trois histoires se déroulent en parallèle avant de se rejoindre, trois paroles différentes mais complémentaires, sans manichéisme outrancier, mais tout en finesse. Dont celle d'une Tante Lydia très surprenante.

Les ingrédients de base sont les mêmes : ce monde où la pollution a fait drastiquement chuter la natalité, ce système tyrannique qui se sert de la religion pour asservir les femmes. Ces mâles dominants qui, sous couvert de soit-disant valeurs morales, cachent leurs perversions et leur soif de pouvoir.

Comme pour le premier livre, l'écrivaine s'appuie sur les faits historiques pour imaginer ce futur proche. Son imagination et son analyse de nos sociétés actuelles fait le reste.

Mais, même si nous retrouvons certaines de nos marques et certains personnages (dont bébé Nicole, qui est devenu un concept iconique), le ton est différent et son récit est clairement à part.

La servante écarlate est devenu pour certains un symbole du féminisme. Les testaments raconte clairement des histoires de femmes. Mais rien n'est si simple. Les hommes traversent ce récit comme des ombres (il n'y a bien qu'un seul personnage masculin à être un peu présent). Car, même si les hommes sont responsables de cette idéologie, ce sont les femmes qui en sont les rouages, contraintes ou volontaires.

Ce livre nous plonge dans les failles d'un système, corrompu jusqu'à la moelle. Suivre cette chute à travers les mots et la vision de trois personnages est une idée formidable. Elles donnent de l'humanité et de l'émotion à l'intrigue, qui est prenante de bout en bout.

N'imaginez pas des rebondissements en cascade. Les surprises sont légion, mais distillées avec subtilité.

Je n'ai tout simplement pas pu lâcher ces 540 pages, subjugué par le talent de l'autrice, fasciné par l'univers qu'elle a construit et par les personnages complexes à qui elle a donné un vrai souffle de vie. Passionné par cette histoire qui résonne en nous et raisonne. Atwood prend bien soin de créer ces questionnements sans jamais perdre le fil ni pontifier. Son style est fluide, sa prose très agréable et formidablement expressive, toujours au plus près de l'humain.

Pas étonnant que le livre ait obtenu le Man Booker Prize 2019, prestigieuse récompense littéraire britannique.

J'avais une petite inquiétude en démarrant cette lecture. Mais pourquoi douter quand on est face à un véritable génie ? Les testaments est une dystopie formidable. Un bijou mené avec finesse, humanité et intelligence. Margaret Atwood propose bien davantage qu'une suite, avec un roman qui apporte une autre dimension à un univers qui a pourtant déjà marqué la littérature de manière indélébile.

Que vous ne connaissiez pas Margaret Atwood, que vous soyez lecteur de la servante écarlate ou «simplement» amateur de la série TV, ce livre vous est indispensable.
Lien : https://gruznamur.com/2019/1..
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