" Elle me voit tel que je suis et non tel que les autres me voient."
Sara est toujours là, tout comme l’évidence qu’elle en a autant envie que moi. J’ai longtemps attendu quelqu’un comme elle et j’ai fini par me résigner en pensant qu’elle n’arriverait jamais. Maintenant, elle est là, à quelques centimètres de moi, et je ne compte pas laisser passer ma chance. En la trouvant, j’ai l’impression de commencer à me trouver. Je grille les étapes probablement. Mais je n’ai pas de temps pour ça. Je le sais, c’est dissimulé au fond de mes entrailles, c’est dans chacune de mes cellules, dans une infime partie de mon cœur, dans mes veines : c’est elle.
Elle se jette sur moi pour m’embrasser, passe ses petits bras autour de mon cou et souffle cette phrase que je n’oublierai jamais à mon oreilles :
-je ne t’oublierai jamais, c’est impossible. Il n’y a pas d’autre endroit où je voudrais être en ce moment. Je ne pourrais pas vivre sans toi.
Je ne sais pas quoi dire. Sa phrase me bouleverse parce que dans le fond, elle vient de traduire par les mots exactement ce que je ressens.
Je ne pensais pas qu’on puisse aimer aussi intensément. Je ne pensais pas qu’un jour quelqu’un me donnerait autant envie de vivre que Sara. Pour vivre, il faut du soleil, de l’eau, des vivres et surtout de l’oxygène. Sara est l’oxygène qu’il me manque.
-Pourquoi?
Il se pince les lèvres, expire bruyamment. La réponse semble trop douloureuse à formuler. Il ferme les yeux et pose son front contre le mien. Il lutte intérieurement. J'aimerais pouvoir l'aider, mais je crois qu'à moi seule je n'en ai pas la force. C'est quelque chose contre laquelle n ne peut pas lutter s'il ne le fait pas également.
Il détache son front du mien, rouvre les yeux et me regarde sans ciller.
-Tu es une fille intelligente. Si tu ne veux pas que je te brise le cœur. tu garderas tes distances.
Merde, ça me tient peut-être trop à cœur. D’habitude, je me moque bien de ce que peuvent penser les autres. Je me blinde, mais pas avec Sara. Elle est la seule personne dont l’avis m’importe depuis bien longtemps et cela m’agace autant que cela m’effraye. Cette fille me fait peur. C’est le mot. Elle me fout les jetons parce que je commence à me croire capable de choses qui me paraissaient jusqu’ici impossibles. Je n’ai jamais eu l’impression d’être un adolescent comme les autres, et pourtant avec elle, c’est ce que je suis. Elle me voit tel que je suis et non tel que les autres me voient. Ça, c’est parce qu’elle ne connaît pas encore la vérité. Elle ne sait pas encore à quel point ma vie est merdique, pleine de galères dont je ne pourrais jamais me défaire.
Vaut mieux périr l’estomac plein que vide à ce qu’on dit.
— Là, au fond, me dit-elle en désignant l’endroit de son index.
Au fond de la pièce se trouve une porte qui, je le sais, mène à un dressing. Maman y entreposait les cartons pas encore déballés du déménagement. Ni une ni deux, je pousse la porte et ce que je découvre me laisse sans voix. Ça n’a rien d’un dressing. J’appuie sur l’interrupteur qui baigne la pièce d’une lueur rouge. C’est une chambre noire ! Je n’en ai jamais eu. L’émotion me gagne à tel point que j’ai du mal à dissimuler mes larmes de joies. Ma gorge se noue. Je cligne des yeux plusieurs fois pour m’assurer que tout ceci est bien réel. Je me pince les lèvres.
De toute évidence, je ne souffre pas d’hallucination.
L’amour ne s’explique pas, il se ressent.
La vie est trop courte pour la gaspiller en futilité.