Citations sur Histoire du Lion Personne (27)
Mais il y a en ce monde trois immensités qui font battre le cœur des hommes et que rien ne prépare à voir : les montagnes, les mers, les cités. Yacine sentit, comprit, aima immédiatement la ville, ses tumultes, ses foules, ses odeurs composites.
Le lionceau s'endormit. Les humains se turent. La pirogue filait au ras des eaux, dans un étincellement d'écume. Yacine s'installa sur deux défenses et, sur ce lit d'ivoire étonnamment confortable, il s'abîma dans la contemplation des nuages qui défilaient au-dessus d'eux. Et ces signes intangibles et pourtant réels qu'aucune vie humaine n'épuiseraient jamais la vastitude du monde lui firent venir des larmes aux yeux.
Et Jean Dubois, qui avait en sa prime jeunesse dévoré tous les romans de chevalerie du vieux temps dans un poussiéreux cabinet de lecture du quartier Saint-Merri, où il avait grandi, se fit l'impression d'être un chevalier déguisé de la légende, flanqué de son lion fidèle ; quant à Hercule[*], petit, mais loyal et vaillant, il faisait un écuyer tout à fait acceptable.
[NB : cet Hercule est un petit bâtard adopté par le lion peu après sa naissance. L'histoire est véridique.]
Il pensait que les Noirs mentaient tout autant que les Blancs, que ce monde entier mentait ; et que malheureusement il n'en était pas d'autre. (p166)
Il était heureux, déclara-il, de l'avoir sauvé ; mais le vieil homme le corrigea sèchement : Yacine avait condamné l'animal à ne plus jamais pouvoir vivre dans la savane, parmi les siens.
De toute les façons, rien n'aurait pu le préparer à cette expérience [il s'agit d'une usine moderne de tissage entièrement mue par la force hydraulique]. C'était comme si des dieux en colère avaient lâché sur la terre des myriades de criquets bruissants. C'était surtout le cri inhumain d'une divinité qu'il avait jusque-là adorée sans y penser : le Progrès.
...la peur pousse la masse des hommes vers la religion ; il convient de se dépendre d'elle , parce qu'elle tue l'esprit.
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Si les lions parlaient, nous ne pourrions pas les comprendre. Ou du moins pas davantage que nous ne comprenons les hommes.
Adal avait participé à la rédaction d’un cahier de doléances, au commencement de la Révolution, pour le compte des Africains. Il était celui qui avait dit aux Noirs d’y faire marquer tout ce qui n’allait pas ; et les anciens avaient choisi Adal pour tenir ce cahier parce qu’il avait appris à lire et à écrire auprès d’un Blanc. Adal avait tout noté, scrupuleusement. Il avait porté lui-même ce document vénérable aux États généraux de Versailles. Puis les choses n’avaient cessé de tourner mal. Il n’avait pas même eu le droit de visiter Pelletan dans sa prison. Et maintenant celui-ci était mort. Quant au Bonaparte, il avait changé de nom comme seul un démon sait le faire. Il s’appelait désormais Napoléon et avait rétabli l’esclavage, qu’on n’avait d’ailleurs pas cessé de pratiquer.
Yacine aimait le grec. Il admira les héros de l’Antiquité dont il traduisait les vies dans le vieux Plutarque de son maître, à la Mission ; mais ce qu’il adora par-dessus tout, ce furent les mathématiques. Quand le bon père lui avait montré les rudiments de cette science mystérieuse, il n’avait pas eu besoin de travailler ou d’apprendre, si apprendre est une peine et travailler une servitude. Il avait littéralement vu, et même, lui semblait-il, senti de toutes les fibres de son corps, qu’un monde nouveau s’ouvrait devant lui, avant même que de commencer à le comprendre véritablement.