Citations sur Histoire du Lion Personne (27)
Autour de la cage hissée jusque sur le quai principal, un petit attroupement se forma, mais qui ne devait rien à la révérence des Havrais pour le spectacle insolite d'un lion et d'un chien encagés. On trouvait que les deux animaux puaient énormément.
A la fin du mois de mai 1788, le navire (transportant le lion Personne ) était parvenu à bon port, au Havre de Grâce. Ce fût dans une indifférence quasi générale , que le "Centaure" finit sa dernière course dans le bassin du Roy. Les Havrais avaient alors d'autres soucis en tête. Le temps exceptionnellement mauvais pour la saison faisait craindre aux uns les famines, aux autres, les emeutes qui s'ensuivraient fatalement.
Il pensait que les Noirs mentaient tout autant que les Blancs, que ce monde entier mentait ; et que malheureusement il n'en était pas d'autre. (p166)
Il était heureux, déclara-il, de l'avoir sauvé ; mais le vieil homme le corrigea sèchement : Yacine avait condamné l'animal à ne plus jamais pouvoir vivre dans la savane, parmi les siens.
Ces deux êtres si rares ne devaient-ils pas être protégés non seulement de la méchanceté des hommes, mais aussi de la férocité des animaux sauvages, de la peur des animaux domestiques, de leur propre inadaptation, en somme, à quelque monde que ce soit ?
De toute les façons, rien n'aurait pu le préparer à cette expérience [il s'agit d'une usine moderne de tissage entièrement mue par la force hydraulique]. C'était comme si des dieux en colère avaient lâché sur la terre des myriades de criquets bruissants. C'était surtout le cri inhumain d'une divinité qu'il avait jusque-là adorée sans y penser : le Progrès.
Et Jean Dubois, qui avait en sa prime jeunesse dévoré tous les romans de chevalerie du vieux temps dans un poussiéreux cabinet de lecture du quartier Saint-Merri, où il avait grandi, se fit l'impression d'être un chevalier déguisé de la légende, flanqué de son lion fidèle ; quant à Hercule[*], petit, mais loyal et vaillant, il faisait un écuyer tout à fait acceptable.
[NB : cet Hercule est un petit bâtard adopté par le lion peu après sa naissance. L'histoire est véridique.]
Mais il y a en ce monde trois immensités qui font battre le cœur des hommes et que rien ne prépare à voir : les montagnes, les mers, les cités. Yacine sentit, comprit, aima immédiatement la ville, ses tumultes, ses foules, ses odeurs composites.
Le lionceau s'endormit. Les humains se turent. La pirogue filait au ras des eaux, dans un étincellement d'écume. Yacine s'installa sur deux défenses et, sur ce lit d'ivoire étonnamment confortable, il s'abîma dans la contemplation des nuages qui défilaient au-dessus d'eux. Et ces signes intangibles et pourtant réels qu'aucune vie humaine n'épuiseraient jamais la vastitude du monde lui firent venir des larmes aux yeux.
Yacine était heureux comme on l'est à treize ans. Il marchait depuis l'aurore sur la piste qui le menait au fleuve Sénégal.