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EAN : 9782070772506
304 pages
Gallimard (27/01/2005)
3.52/5   149 notes
Résumé :
" Il est question de nuages et Virginie Latour commence à comprendre. Elle comprend qu'au début du dix-neuvième siècle quelques hommes anonymes et muets, disséminés dans toute l'Europe, ont levé les yeux vers le ciel. Ils ont regardé les nuages avec attention, avec respect même ; et, avec une sorte de piété tranquille, ils les ont aimés. " Akira Kumo est un couturier japonais. Il collectionne les livres consacrés aux nuages. Pour classer sa bibliothèque, il engage V... >Voir plus
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Que se passe t-il quand le thème d'un livre déteint sur sa forme et influence la trajectoire des personnages de son récit ? Eh bien, il se produit une harmonie qu'ailleurs on qualifiera de chromatique mais qu' ici, on pourra désigner d'atmosphérique. Une cohérence, une unité réjouissante et belle.

Tout d'abord on trouve dans "la théorie des nuages" une griffe bien particulière. Cette façon très analytique, détachée et pourtant tout à fait précise de raconter les évènements. Une tournure savante, presque technique. Un présent de l'indicatif omniprésent, celui de l'énoncé scientifique Cela pourrait sembler un écueil, un manque d'incarnation et c'est tout le contraire. C'est justement cet écart, cet espace dans la trame du style qui rend le tout parfaitement mobile et de là, émouvant. C'est la dépression, au coeur du récit, qui fait virevolter ce petit monde autour d'elle.

Une météorologie des faits.

Une description où les hommes, les histoires, les destins, se déplacent, lentement, mus par des masses d'airs intimes. On voit les choses et les êtres tourner dans un calme ouranien et se découper sur le ciel blanc du papier. Cela a été pour moi une lecture contemplative très agréable et dans laquelle je me suis senti baigné d'un silence ouaté et inattendu. J'en attribue l'origine à la manière volatile et éthérée d'Audeguy. Nette et évanescente. Antinomique. Théorie des nuages. A tendance anticyclonique.

C'est peut-être la partie poétique de l'activité scientifique qui se fait jour ici. On analyse, on rend compte du réel et de son observation. Sans rien ajouter ni retrancher. le rendre dans sa gloire la plus pure. Sa quintessence.

Les personnages rencontrés sont en cela des objets d'étude, que l'on surplombe un peu mais sans aucune condescendance. Des vies, des trajectoires comme des déplacements de fronts d'airs, d'alto-cumulus qui se changeraient en cirrus vers la fin, épuisés par leurs aléas particuliers.

J'avoue que depuis mon enfance et ses prés, la trace des nuages s'était effacée dans le canyon de la ville et de ses immeubles.

J'ai donc apprécié renouer avec ces monstres évanescents et suivre certaines des hommes qui les ont le plus aimé. Je sors de cette lecture avec l'envie de leur faire l'aumône de plus d'attention, d'un intérêt plus manifeste. Ne pas faire comme si ils devaient toujours être là dans une attente éternelle dont je pourrais jouir indéfiniment.

On alterne dans ce roman l'observation de tous leurs états et de toutes les valeurs que l'homme leur a attribué : de l'objet poétique à la nuée meurtrière, de la brume mystèrieuse à la puissance naturelle et gratuite, économiquement nécessaire, potentiellement terrifiante.

A différentes époques, du jeune 19ème siècle jusqu'à nos jours, des hommes et des femmes ont vécu sous leurs ombres immenses. Et c'est l' enchâssement de leurs récits que nous livre un grand couturier d'origine japonaise, Akira Kumo, retiré dans son hôtel particulier parisien, ainsi qu' à une jeune bibliothécaire devenue son assistante, Virginie Latour.

Akira Kumo c'est le pivot de ce roman. Son nom signifie d'ailleurs et entre autres, nuage en japonais. On le découvre en train de trier, inventorier, classer . Il rassemble des artefacts, des livres, tout ce qui s'est fait ou qui s'est écrit sur les nuages et leur étude. La collection comme un lien subtil à son ancien métier et à son rôle olympien d'assembleur de nuées. Cumulus accumulateur compulsif. Là où le nuage aspire de l'eau, des particules fines, lui aspire des objets, crée des séries, se perd dans une consommation de prostituées effrénée. Mélange de Zeus obsédé et de Shéérazaade perpétuelle.

Depuis sa bibliothèque vitrée dominant la capitale, il paraît habiter une station météorologique depuis laquelle en regardant le ciel, il convoque en les évoquant, des hommes-nuages, sans poids, dérivant dans l'air du temps.

Luke Howard tout d'abord, nouvel Adam qui va nommer ces amas vaporeux, leur donner vie dans le Verbe. C'est l'amoureux. Celui qui dans un même mouvement tourne son visage vers les hauteurs et vers son Seigneur qui doit s'y trouver. Forcément. Quaker, trembleur devant Dieu.

Carmickael, le peintre rendu fou par l'effort impossible de saisir la toile nuageuse et l'instant toujours annihilé par le suivant. C'est Don Quichotte à l'envers, qui défend les moulins du vent et qui a le vertige d'être au sol.

Le mensonge de sa naissance qu'il découvre. Sa source voilée. L'origine des nuages, là encore. Longtemps, leur formation fût une énigme, un mystère pour les hommes. Carmichael est un cumulo-nimbus, noir et haut. le passionné. le tourmenté.

Puis par petites touches, Kumo va se révéler peu à peu à travers des lettres cette fois qu'il envoie à Virginie Latour. Sa biographie, son secret. Ce passé qui ne passe pas. Au fur et à mesure de leurs rencontres et du fil de son récit, à la moitié du roman, ses histoires vont se faire de plus en plus courtes et de plus en plus tristes.

On se rapproche du 20ème siècle et du temps présent. le ciel s'assombrit. Il est noir, mortifère, diabolique. On s'éloigne du nuage au singulier proprement dit pour aller vers le général et la météorologie, l'hygrométrie, l'anémométrie. La science se durcit et les hommes avec elle.

C'est également là qu'on aborde le serpent de mer de ce livre, l'histoire dans l'histoire, "Le protocole Abercrombie".

Richard Abercrombie est un gentleman anglais, issu d'une des plus célèbres familles britanniques et néphologue passionné de cette fin de 19ème siècle. Déçu de la communauté scientifique et de sa mesquinerie, il entreprend un voyage homérique à travers le monde, chambre photographique sous le bras, pour établir ce qui doit devenir l'instrument de sa vengeance : les bases, les fondations d'une étude magistrale, un protocole d'observation définitif.

Il part donc vérifier ou infirmer le postulat selon lequel les nuages sont les mêmes sous toutes les latitudes. Mais il va être confronté à son propre phénomène climatique et va se voir, lui et son but initial, s'étioler au contact des hommes et surtout des femmes. Il va s'évaporer, perdant toute solidité, toute consistance et tout esprit scientifique. Il va s'ennuager.

Je ne suis pas arrivé à me représenter Richard Abercrombie autrement que sous les traits d'Edgar Allan Poe. Fluet, aux yeux fiévreux. Sa dérive à travers le monde et plus particulièrement l'Asie m'a paru fabuleuse.

Arrêté net dans sa quête. Frappé par le monde, la mort et l'érotisme. Il en est venu à développer une intuition qu'il n'aura plus de cesse de poursuivre : la puissance de l'analogie. de mers en mers, de femmes en femmes, il n'arrêtera plus de voir un même motif unique se répéter, partout et toujours en écho. Il se dilue ainsi dans cette idée qui l'engloutit pour devenir à son tour un objet flottant non identifié, non localisable. Infini.

Et je m'aperçois que c'est cela qu'est ce livre. Une expérience métaphysique qui ouvre nos yeux vers cette affinité magique entre les choses, les êtres et les évènements que nous rencontrons si souvent dans nos vies. Ce sentiment étrange qui nous fait penser à un chemin écrit, une arrière-pensée du monde qui nous montrerait un itinéraire à travers la nuit. Un sens.

Les portes sont si nombreuses dans ces pages, la fluidité, les nuages, la naissance, la fécondité, le sexe, les accords, la transformation, la mort, l'attention au monde, la beauté, le renouveau, la mémoire, l'antithèse et l'histoire avec une grande hache.

Je ressors de ce livre avec plein de questions auxquelles je vais bien m'abstenir d'essayer de répondre : Quand pense-t-on aux nuages ? Lorsqu'on les voit seulement ? Et encore, les perçoit-on vraiment comme dignes d'intérêt ou simple décor mouvant ? Notre cerveau n'est-il pas ce nuage organique et changeant qui influe sur notre météo personnelle ?

La fin du récit de Kumo m'a ému de manière intense et inattendue et termine ainsi la poursuite des nuées dans ce vingtième siècle génocidaire.

La course entre les nuages et ceux qui les chassent, les rattrapent, les capturent, les enchaînent. Métamorphoses. O vide.

C'est une relecture qui m'a explosé à la figure. Je l'avais aimé et désormais je l'adore. Je veux reprendre l'air. Et ne plus le lâcher.

A noter aussi, les clés disséminées un peu partout par Audeguy. Les clins d'oeil à l'histoire de l'art, aux pareidolies de Vinci, à Hubert Damisch, à Constable. A l'histoire des sciences, à Lamarck. A la culture chinoise taoïste et à T'un Y'un (Tun Yong), divinité priapique des nuages, signifiant "le fourre-nuage". Des allusions légères sur un fond lourd, à l'image de ces pachydermes graciles.
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Improbable et compliqué à souhaits

20 août

Je me lance dans la lecture de la « théorie des nuages », tout fier de l'avoir dégotté à la librairie du bleuet, vous savez le lieu improbable qui se trouve là où on était sûr de ne surtout pas le trouver…
Rapidement je comprends que le thème sera bien celui des nuages, une improbabilité qui me sourit.
Puis je rencontre des personnages un peu curieux, improbables eux aussi ; certains réels d'autres non.
Bref, tout cela semble annoncer un roman original (je vous fais grâce de l'ultime « improbable »)

Mais en fait il s'agit plutôt d'une histoire des sciences romancée…
Et là où je dis romancée, je devrais dire, compliquée gratuitement :
Compliquée par des personnages sans rapport aucun avec le thème, des personnages à la sexualité compliquée, surprenante et surtout dont l'étalage n'a absolument rien à voir avec le roman et ne lui apporte rien.
Compliqué par une syntaxe lourde, confuse, difficile.

(Je vous en donne quelques exemples plus bas).

20 septembre

A relire certaines phrases deux ou trois fois, à parfois m'endormir sur l'ouvrage (ben voui ...), je me suis retrouvé, vingt jours après à la page 141 et avec de gros doutes. Car, outre la lourdeur du style, en avançant laborieusement dans l'histoire de nouvelles pistes apparaissent, mais toutes font Flop ne menant vraiment vers rien de constructif.
Alors je prends sur moi en me disant que cela va s'éclaircir plus loin, que des liens vont unir tout cela et je commets l'erreur fatale : je vais sur notre cher Babelio et là je vois que même la toute nouvelle piste que l'auteur a avancée et sur laquelle je fonde encore quelque espoir s'avère être une Farce grotesque !

22 septembre :

Aller hop, c'est décidé ! Vue ma pile à lire si lourde de promesses et des appétits que je nourris, je décide de souffler sur ces nuages à la page 141 et de passer à autre chose.

Pfffft ...

Comme promis : quelques exemples de citations improbables et compliquées :


Richard Abercrombie l'entend arriver, lui sourit, l'arrête d'un geste, et, la poussant légèrement devant lui, il fait un geste large du bras...
(Pardon ?)


Mais il est épuisé ; et, comme une nappe d'eau qui a passé le point où elle peut se renouveler, avec le temps, Akira Kumo se tarit, sûrement et lentement.
(Vous pouvez répéter ?)

Diverses sociétés savantes ont fait envoyer [...] des couronnes mortuaires et des messages de condoléances, longs et vagues.
(Ben oui, comme votre roman)

Quand elle jouit, elle se cramponne à son mari comme une noyée. Sinon elle reste tranquille, heureuse comme un paysage.
(Image poétique ?)

Elle n'est pas belle, c'est autre chose en elle qui le chavire. de toute façon la beauté des femmes ne présente aucun intérêt pour Carmichael. Mais lorsque Mary Bickford entre dans un lieu public, il faut faire un effort pour ne pas la regarder, on pense à des choses douces et belles, on se sent vaguement triste aussi.
(Euh, elle est comment finalement ?)

...Dans un éclair la vérité lui revient, irréfutable : il n'est pas né en 1946, mais à la fin de l'année 1933. Et du moment où il a tiré ce fil minuscule, Toute l'étoffe ne vient pas d'un coup, naturellement ; mais bientôt il n'en restera rien.
(Plait-il ?)
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Ce roman, par l'interposition de deux personnages-narrateurs, contient la biographie romanesque et fantasque des quelques hommes du XIX siècle qui se passionnèrent de nuages en fondant les prémisses de la météorologie moderne. Ces biographies, de savants - Luke Howard, Richard Abercrombie, William Williamsson - et du peintre Carmichael, constituent la partie la plus détaillée et instructive du récit, mais s'y greffent aussi des éléments narratifs fort intéressants sur la vie du principal personnage-narrateur, le vieux styliste japonais Akira Kumo. Son récit adressé à sa bibliothécaire Virginie Latour, dans le cadre d'une relation amicale et sentimentale que la parole développe, lui permet à la fois de (se) préciser les raisons de sa nouvelle lubie de collectionneur d'ouvrages consacrés aux nuages, ainsi que, par là-même, de se remémorer son enfance et d'autres parties refoulées et obscures de sa propre biographie, à l'ombre du Nuage par antonomase, le nuage atomique d'Hiroshima.
Le lecteur avisé devine vite cette association historique, même s'il se laisse aller à la séduction du jeu de reconstitution progressive de mémoire, si bien mené. Il lui faut plus de temps pour déceler d'autres analogies plus subtiles, comme celle entre la sexualité (frôlant la perversion) de Richard Abercrombie et celle de Kumo lui-même. L'auteur suggère : "Ce que Virginie Latour avait d'abord perçu comme le long et doux cortège des amoureux de nuages comporte, elle s'en aperçoit maintenant, un peu trop de suicidés, de désespérés, d'amoureux éconduits et de solitaires tristes." (p. 280) : et c'est presque un "understatement"... Par contre serait-ce surinterpréter que de faire l'hypothèse d'une analogie entre tous ces amoureux de nuages et différentes formes de perversion sexuelle ?
Et sur cette question, le grand manque de ce roman, me semble-t-il dès le début, c'est l'impressionnant silence, l'énorme anémie narrative concernant le personnage féminin, cette Virginie Latour, qui ne sert presque que de catalyseur de récits, et qui ne possède de caractère qu'une caractéristique dysfonctionnelle relative, encore, justement à sa jouissance sexuelle...
Nuages-mort, nuages-perversions... ç'eût été véritablement passionnant. Et le seul personnage féminin était justement là, à portée de la plume !
Matière pour un autre roman, peut-être ? Voici en effet l'excipit:
"Virginie Latour pense aussi, sur sa petite île blanche au milieu des tempêtes, qu'elle va vivre sa vie. Mais ceci est une autre histoire."
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Conseillée par un libraire de la Rochelle, cette lecture m' a d'abord emportée dans les nimbes de ces nuages qui fascinent les différents personnages puis déconcertée dans la 3ème partie avec l'étude du protocole Abercrombie.

La qualité narrative de l'auteur permet au lecteur d'être immédiatement embarqué dans l'histoire que relate Akira Kumo, à Virginie Latour qu'il vient d'engager pour répertorier sa collection de livres.

Au fur à mesure de leurs rencontres, Akira Kumo lui raconte les prémices de cette science des nuages qui émerge au 19ème siècle grâce des personnages clefs tels que Luke Howard, auteur de la typologie des nuages, Cirrhus, Cumulus et autres stratus, Carmichaël, peintre de son état, qui en fera l'élément principal de ses toiles en effaçant toute présence humaine, puis William S Williamson, météorologue avant l'heure et Abercrombie (personnage inventé par l'auteur) pour qui l'étude du ciel prendra une tournure étrange.

Ces nuages, loin de manifester des signes de colère émanant des divinités antiques, deviennent des formes évanescentes pour les poètes et des objets d'étude aux propriétés physiques pour les spécialistes.

Il est aussi question de nuages qui surgissent sous forme d'un cataclysme naturel (Le nuage volcanique de Krakatoa) ou provoqué par l'homme (la bombe atomique).

L'histoire de ce couturier Japonais, né à Hiroshima, se dévoile ainsi en même temps que celle des chasseurs de nuages, une mémoire qui se déroule comme un fil ténu, avec ses traumas et avec Virginie Latour comme dépositaire de ce témoignage.

Si l'écriture me paraît très délicate et sensible, je trouve que les personnages féminins ne sont pas traités de la même manière, le personnage de la Fille d'Abercromie est même qualifiée d'"inculte et alcoolique"et l'auteur évoque "sa précocité dans tous les vices" alors qu'aucun jugement n'est porté sur les hommes et notamment Richard Abercromie et son rapport aux prostituées, sa fascination pour certaines parties du corps de femmes exotiques et un vocabulaire emprunt d'ethnocentrisme qui va certainement avec l'époque (XIX, début 1900).

C'est dommage, car la thématique de départ autour des nuages était vraiment originale et avait tout pour faire un très grand roman. Là, l'auteur m'a un peu perdu en chemin. On ne peut pas dissocier la forme du fonds et même si cette lecture est d'un abord extrêmement plaisant, d'une certaine érudition, et que le personnage de Akira Kumo, semble vraiment incarné avec force tout comme les précurseurs de la météorologie, le personnage d'Abercromie, m' a quelque peu déroutée et moins intéressée.

Cela ne m'empêche pas de souligner que Stéphane Audeguy a de véritable talent de conteur, et que je vous conseille la lecture de cet ouvrage car il y de très beaux passages qui vous portent comme le souffle d'un paysage ou le passage d'un nuage.


"Certains nuages en effet semblent surplomber tous les autres, et s'étirent comme des griffures de chat ou des crinières, en longues fibres parallèles ou divergentes, presque diaphanes ; Howard les nomme des filaments : ce seront , en latin, les cirrus..."

"Le temps est venu pour le volcan de s'effacer du ciel. Alors, comme s'il se souvenait, au moment de mourir, de son glorieux passé terrestre, le défunt Krakatoa se disperse à une vitesse croissante dans toutes les couches de l'atmosphère, provoquant des diffractions inédites de la lumière du soleil, inventant des aurores flamboyantes, des magnifiques couchers de soleil, qui semblent un océan de métal liquide, piqué de vert émeraude et de nuances d'ocre subtiles, des couchers de soleil comme de mémoire d'homme on n'en a jamais vu."

"Il s'est mis à penser que toutes les formes naturelles obéissent à des lois récurrentes. Il croit que le créateur du monde l'a voulu ainsi, et la jeune science des formes célébrera l'oeuvre divine. Johann Wolfgang Goethe sait que bientôt l'eau de son propre corps voyagera, pour partie dans le sol, pour partie dans les airs, et cela le console de la mort. Il aime à penser que sa dépouille va nourrir des plantes, ou de petits insectes mal connus. Même il pense parfois, mais sans le dire à personne, que le cerveau des hommes a la forme des nuages, et qu'ainsi les nuages sont comme le siège de la pensée du ciel ; ou alors, que le cerveau est ce nuage dans l'homme qui le rattache au ciel. Parfois même Goethe rêve que la pensée elle-même se développe non pas, comme disent certains, à la façon d'un édifice de pierres, mais bien plutôt comme ces arborescences nuageuses qu'il admire tant, dans les cieux toujours renouvelés, au-dessus de Weimar."



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On peut dire de ce roman qu'il est frais, rafraîchissant, divertissant, mais en même temps instructif et érudit. Il va nous retracer une partie de l'histoire de la météorologie de façon romancée, en nous faisant découvrir la vie de scientifiques concernés, avec la vie de l'époque. On va aussi suivre la vie d'un grand couturier censé vivre à notre époque, ainsi que de sa bibliothécaire qui sera le fil conducteur de l'ouvrage.
L'intrigue est construite sur des allers et retours entre flashbacks et époque contemporaine, en nous entraînant dans différentes intrigues pourtant toutes liées. Cela passe bien, sauf peut-être quelques passages un poil trop longs. de beaux sentiments se dégagent de l'ensemble, nous envoyant un petit nuage. Un comble !!
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Maintenant il se tient debout sur la plateforme, il s'efforce de ne penser à rien, pour accueillir les signes délicats qui montent à l'horizon, là-bas. Toute la richesse de la région repose sur la justesse de telles observations : le Yorkshire vit du blé, ce blé qu'on vent à Londres sous forme de farine ; entre le blé et la farine se tiennent les moulins du père de Carmichael. Tel est le jeu, exaltant et brutal, du commerce des grains : la première région à acheminer sa farine à Londres est celle qui bénéficie du prix le plus élevé. Les moulins, eux, ont le vent pour meilleur ami et pour pire ennemi. Un vent modéré et constant est évidemment idéal ; mais, dans le Yorkshire, le phénomène est rare. Le minotier doit donc veiller au grain. Car un vent trop puissant, une rafale trop brusque peuvent détruire la voilure, ou même les bras du moulin, et c'est alors une catastrophe économique : pour ceux qui fabriquent les sacs, pour ceux qui transportent la farine à Londres, pour ceux qui la vendent en gros, pour ceux qui la débitent au détail. Aussi le minotier passe-t-il son temps à prier pour que le vent se lève ou tombe ; et la fonction du guetteur est redoutablement simple : au premier signe d'un vent suffisant pour faire tourner les meules, il doit lancer l'opération ; il doit l'arrêter dès que le vent, menaçant de faiblir, compromet le broyage du grain. Point de vent, les ailes du moulin ne tournent pas ; trop de vent, elles se brisent. Ainsi le guetteur doit anticiper la venue d'un vent excessif, et, dès qu'il menace, faire placer les ailes dans l'alignement du vent, ou même, si la tempête approche, affaler les toiles qui les couvrent, de crainte qu'elles ne se déchirent, sauvant ainsi les ailes et la voilure.
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Pour la première fois de sa vie, Richard Abercrombie est confronté au vacarme obscène de la nature sous sa forme la plus grandiose et la plus véhémente : une jungle. Ce n'est pas tant le vacarme en soi qui l'abasourdit, mais, au sein de ce tohu-bohu, l'absence totale de sonorité humaine. La jungle bruit selon ses propres lois, insoucieuse des hommes qui croient l'explorer. Dans les forêts où l'homme vient régulièrement chasser, à proximité des villes, dans toute l'Europe et particulièrement en Angleterre, les animaux ont depuis longtemps appris à se taire à l'approche de l'homme, à le fuir comme le prédateur suprême : cette créature qui tue contre nature, sans que la nécessité de survivre l'y force. Le silence apaisant de nos campagnes n'est que le signe tangible de la terreur que l'homme fait régner.
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Il s'est mis à penser que toutes les formes naturelles obéissent à des lois récurrentes. Il croit que le créateur du monde l'a voulu ainsi, et la jeune science des formes célébrera l'oeuvre divine. Johann Wolfgang Goethe sait que bientôt l'eau de son propre corps voyagera, pour partie dans le sol, pour partie dans les airs, et cela le console de la mort. Il aime à penser que sa dépouille va nourrir des plantes, ou de petits insectes mal connus. Même il pense parfois, mais sans le dire à personne, que le cerveau des hommes a la forme des nuages, et qu'ainsi les nuages sont comme le siège de la pensée du ciel ; ou alors, que le cerveau est ce nuage dans l'homme qui le rattache au ciel. Parfois même Goethe rêve que la pensée elle-même se développe non pas, comme disent certains, à la façon d'un édifice de pierres, mais bien plutôt comme ces arborescences nuageuses qu'il admire tant, dans les cieux toujours renouvelés, au-dessus de Weimar.
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Dans le cas des nuages, le point décisif est la langue. C'est un temps très délicat de l'invention scientifique que le temps du baptême ; il y faut un talent particulier, qu'on peut juger dérisoire, mais qui se révèle essentiel. Car les noms de baptême des choses ne fonctionnent pas comme ceux des hommes. Les hommes reçoivent à leur naissance un prénom et un nom ; ensuite ils les accomplissent, ou bien les contredisent, ou les effacent, ou les modifient. Parfois ils traînent leur patronyme dans la boue ; parfois ils le portent aux sommets de la société ; parfois les deux, simultanément. Mais les choses, elles, existent en dehors de leur nom ; elles peuvent exister pendant des siècles, muettes et innommées. Pourtant il y a un nom qui est là, qui les attend dans le silence, un nom qu'il faut inventer, trouver en savant, en poète. Trouver ce nom qui porte la compréhension de la chose, trouver le nom des nuages, c'est justement ce que réussit Luke Howard, le premier parmi les hommes. Et maintenant nous voyons les nuées avec lui, grâce à lui : les cumulus et les stratus, les cirrus et les nimbus, tout est là désormais, tout est tellement simple.
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Le temps de la terre et du feu est fini, le temps de l'eau est fini. Mais le volcan, lui, continue de tuer par la voie des airs. La masse chaude et humide de pierre pulvérisée par l'explosion ne disparaît pas si facilement, et le nuage qui se forme survit pendant des années. Protégé par sa taille, ce nuage qui fut un volcan n'est pas dispersé par les vents : il est lui-même une tempête de sable, d'eau et de vent. D'abord il s'étire et s'arque comme un tigre, sur une hauteur de vingt kilomètres ; et dans un premier temps il a semblé immobile ; au bout de plusieurs heures il s'allonge, comme un prédateur paresseux, sur des kilomètres d'atmosphère, écrasant sous sa masse des milliers de tonnes d'air froid, et, appuyé sur elles, il s'en va lentement tournoyer dans l'hémisphère Nord, il s'en va modifier le climat, indifférent à tout. Partout où il passe, le Krakatoa, méconnaissable, transformé en géant d'eau, de terre et de feu, fait baisser la température moyenne de plusieurs degrés : ce faisant, il provoque des inondations, il hâte en diverses contrées la venue de l'hiver, pendant plusieurs années consécutives, et perturbe toutes les saisons.
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