Lottie sentit son cœur se serrer. Loin de Longyearbyen, il y avait une famille qui ne savait pas encore que le malheur allait s’abattre sur elle.
Elle ferma les poings. Allez, fais ton job.
– Et on sait ce qu’elle faisait à Brucebyen ?
– Il faut qu’on vérifie avec l’université, mais on pense qu’elle était là pour la baleine.
– La baleine ?
- Tu es sûr de vouloir faire ça ? C’était qui pour toi ?
Le médecin-chef du service de pathologie clinique de l’hôpital de Tromsø s’était arrêté au moment d’ouvrir le casier métallique qui contenait le corps d’Åsa Hagen. Nils Madsen se demanda quoi répondre. Une camarade ? Une amie ? Une âme sœur ? Ils ne s’étaient pas vus depuis presque six ans. Depuis qu’elle l’avait invité à son mariage, dans la cathédrale de l’Arctique, un peu plus loin sur l’autre rive du fjord. Est-ce qu’un seul de ces qualificatifs pouvait encore s’appliquer ?
- Quelqu’un qui comptait beaucoup pour moi, répondit finalement Madsen.
Silence t pénombre. Sa lampe accrochait des vestiges d'une époque oubliée. Faucille et marteau croisés. Anciens équipements électriques rouillés. Machines qu'on ne voyait même pas dans les musées russes. Pyramiden était comme une capsule cryogénique. (P.206)
Le silence.
Rester le plus longtemps possible sous l'eau. Malgré le froid. Malgré son corps qui lui hurlait de remonter. Laisser enfler le battement de son cœur. Sentir sa pulsation dans les tempes. Son rythme qui accélère. Puis crever la surface. Renaître au monde des vivants.
Respirer. (P.42)
Par chez nous, le soleil ne se lève pas pendant des semaines.
Ça tape sur le moral. Les gens peuvent vriller d'un coup. C'est une période dure pour ceux qui traînent des valises trop lourdes.
Dans le milieu des correspondants de guerre comme dans celui des flics, on disait qu'on pouvait voir un certain nombre de saletés avant d'être bousillé par le métier.
En refermant la porte à clé, il aperçut une caméra qu'il n'avait pas remarquée la veille. Tandis qu'il fixait l'oeil noir de l'appareil, il pensa au message sur le béluga. Je te vois. Une mise en garde, une menace. Quelques heures plus tard, elle était morte.
Aujourd'hui, les gens passent leur temps devant des écrans, à regarder la vie des autres au lieu de vivre la leur (p100)
À en juger par le givre qui avait pris dans ses sourcils et son épaisse barbe de Viking, ça faisait déjà un bon moment qu’il était sur place.
- Alors comme ça, Jørn a réquisitionné la superflic d’Oslo ? lui lança-t-il alors qu’elle le rejoignait.
- Ouais. Harry Hole n’était pas dispo, répondit-elle du tac au tac.
Thor esquissa un franc sourire à l’évocation du flic le plus célèbre de Norvège. Tous les deux savaient que Jørn n’avait pas vraiment eu le luxe de choisir : le district de police du Svalbard ne comptait que douze agents pour un territoire grand comme l’Irlande.
Là-bas, ce n'était pas un pays, ni même un lieu, c'était une atmosphère, une sensation. Une zone de guerre, une catastrophe humanitaire, une révolution, tout ce qui obligeait à vivre dans l'instant, a réduire l'horizon de son avenir à la minute, à l'heure, au jour suivants. Tout ce qui anéantissait le passé, les temps morts, l'angoisse.