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Critique de HordeDuContrevent


Le dernier Auster. Cet écrivain qui a bercé ma jeunesse. J'ai attendu presque deux ans pour le lire, intimidée, en ayant peur d'être déçue et effrayée par le morceau (pas moins de 1016 pages), j'ai attendu je crois le moment propice. Bien m'en a pris, cette lecture a été une véritable aventure.

4321 serait-il LE livre de Paul Auster, celui qui réunit absolument tout son univers, ses gouts (musicaux, littéraires, cinématographiques, sportifs), ses expériences personnelles, ses visions de l'écriture et de l'écrivain ? LE livre synthèse, LE livre le plus personnel de l'auteur, LE livre d'une vie ? le héros, Archie Ferguson, est en tout cas de la même année que lui (1947) et semble traverser des expériences et des interrogations proches de ce qu'a vécu l'écrivain.

4321 est un roman fleuve ou plutôt un roman qui s'écoule telle une rivière qui se séparerait en bras. Au lieu de prendre un chemin et de nous raconter une histoire, l'auteur se veut omniscient et décide de prendre tous les bras de la rivière, en parallèle, pour voir ce que cela donne. Une expérience de littérature. Quatre histoires, quatre destinées pour un même personnage. Tout est résumé ainsi : « Quelle idée intéressante, se dit Ferguson, de penser que les choses auraient pu se dérouler autrement pour lui, tout en restant le même. le même garçon dans une autre maison avec un autre arbre. le même garçon avec des parents différents. le même garçon avec les mêmes parents mais qui ne faisaient pas les mêmes choses qu'actuellement. Si son père était resté chasseur de fauves, par exemple, et qu'ils vivaient tous en Afrique ? Si sa mère était une actrice célèbre et qu'ils vivaient tous à Hollywood ? S'il avait un frère ou une soeur ? ».

Une version lumineuse, une version plus torturée et ambigüe, une version dramatique, une autre peut-être plus sereine d'un même personnage car un virage a été pris et pas un autre, un labyrinthe narratif, variations sur un même personnage, des variations importantes, des variations plus mineures…c'est original, et ce raconté sur deux décennies, les années 50 et 60, sur fonds d'histoire américaine marquée par la ségrégation raciale, la guerre au Vietnam, les révoltes étudiantes.

J'ai profondément aimé ce livre pour plusieurs raisons :

- le formidable talent de conteur de Paul Auster qui nous amène, des heures durant, sans jamais nous lasser. Il m'a captivé, m'a profondément attaché au personnage principal, je l'ai suivi de bout en bout, alors que le livre fait plus de mille pages, me surprenant à lire des heures durant sans bouger et sans me rendre compte du temps, de l'heure. Ce livre est un cocon douillet.

- Cette expérience de littérature inédite, ces quatre livres imbriqués, de manière foisonnante et ambitieuse, mettant en valeur la puissance du destin mais aussi la prégnance du moi intrinsèque malgré ces destins. Une construction brillante comme je n'en avais jamais lu. J'avoue m'être un peu perdu au début, avoir voulu absolument relier les différents scénarios (car on alterne sans cesse : 1.1/1.2/1.3/1.4 puis 2.1/2.2/2.3/2.4 etc, 2.1 étant bien entendu en écho au 1.1) mais en fait, même si intellectuellement parlant c'est riche, se laisser aller sans chercher à relier quoi que ce soit marche aussi car j'ai fini par bien faire correspondre les éléments sans effort, cela venait naturellement. Et cette trouvaille se base sur des questions universelles que nous nous sommes toutes et tous un jour posé « si je n'avais pas pris telle décision, où en serai-je aujourd'hui ? » Oui, une sorte de kaléidoscope qui montre une image légèrement différente dès que nous le tournons un tout petit peu (variation mineure) et une image totalement différente dès que nous le tournons beaucoup (variation majeure).

- Les références culturelles nombreuses et riches : j'ai corné de multiples pages faisant référence aux livres, aux musiques, aux films, autant de fils et de clés permettant de connaitre, d'approcher, d'ouvrir l'univers austérien. J'ai une envie de me plonger dans cet univers que j'avais bien sûr entrevu dans ces précédents livres mais qui est ici assemblé, comme offert. Oui, Paul Auster nous fait une offrande, un testament culturel.

- Les références historiques, très détaillées, m'ont beaucoup appris. Si ces éléments historiques et politiques semblent parfois longs (notamment les révoltes étudiantes longuement décrites), ils sont importants car ce sont eux qui, en grande partie, ont une influence sur le destin de Ferguson. C'est en effet le rôle de l'environnement social et historique sur les choix de vie, et le hasard qui peut faire bifurquer ou mettre un terme à une vie qui semblait immuable. Une sorte d'effet domino : selon l'endroit où on se trouve et dans quelle situation personnelle, familiale, culturelle, si les parents sont encore ensemble ou non, selon l'endroit où l'on habite, l'université où l'on fait ses études, et donc la façon d'appréhender et de vivre l'Histoire, ou encore selon son orientation sexuelle, on va alors évoluer de manière différente.

- La ville de New York, comme souvent avec Paul Auster, que nous parcourons, dans laquelle nous déambulons, mais aussi celle de Paris des années 50/60 dans leur bain culturel et politique (on sent tout l'amour de l'auteur pour ce Paris de la nouvelle vague).

- de nombreux clins d'oeil en référence à ces livres ou pièces antérieurs : Laurel et Hardy , Moon Palace (ah…Moon Palace), le livre des illusions (David Zimmer), le carnet écarlate de Ferguson (le carnet rouge)…


- La quête d'identité malgré les soubresauts du destin, la recherche du moi intrinsèque du héros, avec Paul Auster en filigrane. Les pages, nombreuses, sur l'écriture et le rôle de l'écrivain m'ont plu, interpellé. Malgré tous les soubresauts du destin, l'essence du héros et de l'auteur est là. Dans cette passion, dans cette soif.

- La fin, brillantissime et surprenante…

C'est un roman hors norme, remarquable, riche, intelligent, haletant, plein de rebondissements, et, surtout, à caractère universel. Chapeau bas M.Auster. Je ressors de cette lecture émue et troublée.

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