Libres et égaux... L'émancipation des juifs 1789-1791

Le lendemain de l'émancipation des juifs, l'Assemblée décrétait que toute personne qui se trouvait sur le territoire de la France était libre, quelle fut sa race. L'esclavage aux colonies était a contrario maintenu.

Elle consacrait l'esclavage, cette négation absolue des Droits de l'homme.

La partie la plus souffrante de l'humanité restait prisonnière de ses chaines au moment même où les juifs voyaient briser les leurs, parce qu'ils étaient proches, parce qu'ils étaient blancs.

Depuis Louis XIV, à Strasbourg, les juifs demeurent interdits de séjour et ne peuvent y pénétrer que de jour, moyennant un péage corporel spécial de trois livres, " le droit de pied fourchu ", qui les assimile aux animaux impurs.

Tout ce qui est injuste ne peut subsister.

Adrien Du Port
(Chapitre VIII - "Au dernier moment ...")

Plus que celle de Robespierre, l'intervention de La Fare était de nature à rallier les modérés. L'un avait évoqué les principes, l'autre la réalité. D'un côté les Droits de l'homme et leur impératif moral; de l'autre, les faits : l'hostilité déclarée des populations de l'Est envers les Juifs. pourquoi risquer de nouvelles émeutes dans les provinces de l'Est par une émancipation précipitée ? Et pourquoi perdre le soutien à la Révolution d'une population nombreuse pour accorder à quelques milliers de Juifs un statut de citoyens qu'eux-mêmes ne revendiquaient pas six mois plus tôt ? Les députés étaient assaillis de questions essentielles : combler le déficit, parachever la Constitution, organiser l'administration, créer une nouvelle justice, bref, faire naître la France nouvelle . Certes, l'humanité commandait de les protéger contre toute violence. Quant à leurs droits de citoyens, la prudence suggérait de ne rien décider ...

Le comble de l'inconséquence est de leur reprocher des crimes après les avoir forcés à les commettre...

Pourtant, Grégoire donne une description parfois cruelle de ces Juifs dont il défend la cause. Sans doute réfute-t-il les accusations de crimes rituels qu'on leur impute depuis des siècles: égorgements d'enfants chrétiens lors des fêtes juives, ou empoisonnement des fontaines lors des grandes épidémies. Mais il dépeint "le visage blafard, le nez crochu, le menton proéminent et les muscles constricteurs de la bouche fortement prononcés... Presque tous ont la barbe rare... La plupart paraissent vieux de bonne heure... Ils exhalent constamment une mauvaise odeur... "

Refuser aux Juifs le droit d'être des citoyens comme les autres, c'était leur dénier la qualité d'hommes comme les autres, et renier la Révolution elle-même. Ainsi, l'émancipation des Juifs apparaît en définitive comme une victoire éclatante de l'idéologie sur le pragmatisme, de la force des principes sur la force des choses.