Jean Giraudoux évoque joliment, dans «
Bella», les jardins de l'Hôtel de Bourvallais, (siège du ministère de la Justice, place Vendôme), lorsqu'il écrit : «Les merles indivis entre le Ritz et le Ministère, entre les belles Américaines et la justice, sifflèrent ».
Robert Badinter, lui, y entend plutôt, de son bureau, fenêtres ouvertes, « les accords très "jazzy" du pianiste du Ritz, notre voisin, singulière musique de fond pour l'étude des demandes de grâce ou de libération conditionnelle des grands criminels ».
Sa mélancolie à la contemplation de l'ordonnancement des plates bandes et des massifs taillés, entre lesquels Marie Antoinette et le Dauphin firent leur dernière promenade avant d'être enfermés au Temple, s'efface « à la fin du printemps, lors de l'éclosion des roses ».
Roses et épines recomposées rassemblent en un titre piquant les souvenirs du garde des sceaux, depuis
l'abolition de la peine de mort en octobre 1981 jusqu'à son départ de la Chancellerie, en février 1986. le rappel du déferlement de haine contre la nomination de l'avocat des grands criminels, l'artisan de
l'abolition et l'incarnation du laxisme, est difficile à croire concernant l'homme politique qui a sans doute le plus oeuvré à l'invention d'une politique pénale exigeante et humaniste dans une conjoncture difficile, avec des moyens contraints.
Ce récit minutieux, en forme de rapport -avec annexes-, mais qui se lit comme un roman d'aventures, est plein d'enseignements. En un simple coup d'oeil les graphiques montrent l'état de la justice avant et après son passage : La suppression des juridictions d'exception, le choc informatique, qui va révolutionner le quotidien de l'institution, l'accès au droit considérablement amélioré, la mise en place du travail d'intérêt général et des alternatives aux peines d'emprisonnement, pour éviter de construire trop de prisons. R. Badinter ne souhaite pas rester à la postérité comme un "Vauban judiciaire". Il préfère une politique active de prévention à l'augmentation sans fin des moyens de répression.
En moins de cinq ans, le bilan est impressionnant. Tout le champ du droit est concerné. Une soixantaine de lois, pénales, civiles, économiques... dont certaines proprement révolutionnaires. le droit des victimes est renforcé et porté à un niveau comparable aux législations les plus favorables en Europe. La condition pénitentiaire est améliorée. L'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation est assurée par la seule loi qui porte le nom du ministre, qui a su vaincre la résistance persistante de la jurisprudence et des sociétés d'assurance, et ce au profit des plus faibles (piétons, cyclistes, enfants et vieillards). Seuls les spécialistes mesurent l'allègement de la charge des tribunaux que ce texte a apporté de surcroît. le rappel de toutes ces réformes, auxquelles s'ajoute la mise en chantier d'un nouveau code pénal qui aboutira en 1994, est agrémenté de nombreux souvenirs et anecdotes qui rendent le récit très vivant. Il enseigne que les efforts peuvent être payants. La reconnaissance progressive des bienfaits d'une telle politique s'accompagne d'une spectaculaire remontée de popularité de ce ministre si décrié à ses débuts. L'auteur sait transmettre sa ferveur dans le rappel de la ratification par le parlement français du VIème protocole annexe à la Convention européenne des droits de l'homme qui a pour effet de rendre irrévocable
l'abolition du la peine de mort, qui avait inauguré son mandat.
Tous les mois de mai, les troènes qui longent les jardins du ministère diffusent leur parfum entêtant et inoubliable. Après la triste succession des derniers Garde des sceaux, on se prend à rêver, avec le retour du printemps, d'un grand ministre, à l'image de l'auteur, qui redonne à l'institution que la Justice désigne, les couleurs de la vertu qu'elle doit incarner.
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