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Citations sur Le dépaysement : Voyages en France (37)

Ce qui est véritablement choquant, ce n’est pas tant de manger de la viande (et donc d’élever des bêtes pour à la fin les tuer) que de le faire sans pensée, sans égards, comme s’il s’agissait d’un droit exercé depuis toujours et devant lequel les animaux n’auraient d’autre destin et d’autre raison que d’être engraissés puis abattus. Plutarque se demandait « s’il est loisible de manger chair (ici dans la langue d’Amyot) : la question ancienne, on le voit est taraudante et, s’il y a d’un côté des végétariens et de l’autre des mangeurs de chair impénitents, il me semble que pour beaucoup, dont je suis, le débat est intérieur et continu : non parce qu’il serait question de repentir, assez hypocritement d’ailleurs, à chaque bouchée, mais simplement parce que l’idée, très archaïque, remontant au temps des chasseurs-cueilleurs, d’une dette envers ceux qu’on abat n’est pas morte et qu’elle nous traverse. Ce qui vient avec elle, qui n’a rien à voir avec la sensiblerie, c’est la pensée que chaque animal, selon son mode propre, constitue une entrée dans le monde, une existence, une expérience et qu’interrompre celles-ci dans le but de prolonger les nôtres doit avoir un sens et être réfléchi. (…) si loin que nous ayons été déportés de ces formes de pensée, peut-être pouvons-nous tout de même, et sans effort, réintégrer l’esprit dans ses habits de nature et regarder tout autrement le monde qui nous entoure, en commençant justement par les prés et les troupeaux : et c’est alors une révélation que de se dire, dans un éclair, que des âmes ou des esprits habitent les prés
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Ce n’est pas qu’il n’y ait plus de peuple, plus de classes et de luttes sociales, ou que la rue des Pauvres soit devenu une appellation foncièrement obsolète, mais c’est qu’un descellement s’est produit, qui empêche toute relation spontanée entre ce nom et tel ensemble composite de population qui lui correspondrait pour ainsi dire automatiquement : un peuple effiloché, un peuple désaccordé, désœuvré, qui ne croit pas en lui-même ; toutes ces formulations se valent et disent quelque chose de vrai, que l’on peut vérifier partout en France et qui ne se confond pas avec une simple diminution du nombre de producteurs dans la stratification sociale du pays. (…) Mais c’est au fond d’autre chose encore que je parle, qu’il faudrait comprendre comme une pelote d’affects et de connivences dont ne subsisterait plus ici ou là que quelques entrelacs défaits. (…) tout doit ici être pris en compte pour approcher ce « peuple qui manque » et qui manque d’abord au peuple.
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[J]e me souviens aussi de la cravate au nœud défait de l'aimable propriétaire des lieux n'hésitant pas à faire de brèves démonstrations au rayon des appeaux ; et enfin du catalogue de la manufacture qui est d'abord un catalogue de noms et du voisinage si étroit qu'il révèle entre toute cette science halieutique ou chasseresse et la cruauté, puisqu'on y trouve non seulement des filets mais aussi des pièges à mâchoires et des collets, conformément à cet inextricable lien de la campagne au sang qui simultanément effraie et fascine et dont d'ailleurs toute la science que le magasin véhicule est le fruit.
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Le soubassement de l'identité d'un pays, dès lors, il faut risquer cela, ce serait l'ensemble de toutes ces dormances, et la possibilité, à travers elles, d'une infinité de résurgences : jamais ce qui coule d'une unique source qui aurait valeur d'origine et de garantie, mais ce qui s'étoile au sein d'un système complexe de fuites et de pannes par l'entremise duquel le passé se délivre, comme passé, à même la texture du présent, un seul fil tiré ayant le pouvoir d'en faire réagir quantité d'autres, selon une logique de réseau constamment agrandie et modifiée.
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Il y a bien, à quelques pas de là, un lavoir et sa mare où Rimbaud, dit un panneau, « aurait » médité, mais le conditionnel se greffe de lui-même sur l’absence de toute certitude : aussi bien ne s’agit-il pas d’aller chercher des traces objectives ou des preuves – il n’existe pas d’archéologie de ce qui fut pensé ou écrit, ou rêvé. La violence du désir qui tortura Rimbaud dans ce qu’il appela un « triste trou » demeure pour ainsi dire sans prise sur le paysage qui boit tout comme une éponge, mais il suffit pourtant de ce très frêle savoir – ce ‘c’est là’ qu’on ne peut que se répéter dans un étonnement déçu – pour que le lieu se mette à vibrer, c’est-à-dire à exister autrement que n’importe quel autre lieu : le poème invisible et retiré agit comme un nom qu’on lit sur une tombe.
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[Si les monuments commémoratifs] créent une onde de choc (et ils le font, ils s'en sont donné les moyens), celle-ci reste sentencieuse et impuissante – ce qui stagne sur le paysage, ce n’est pas le souvenir, c’est le volontarisme du « se souvenir » patriotique, c’est la mise en scène de la rhétorique des champs d’honneur, et ce qui s’impose alors, et révulse, ce n’est pas seulement la mort elle-même, si nombreuse et si effarante, c’est aussi l’incapacité des responsables militaires et politiques à s’effacer devant elle.
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L'Histoire de France, encore elle, toujours elle, avec son grand H mais fondu, filé dans des recoins, des trous, des villages plus ou moins perdus qui, brusquement, se sont retrouvés sur le passage de l'événement. Noms tantôt voués à retomber dans l'oubli ou à faire des apparitions dans les brochures des érudits locaux, tantôt figurant dans les dictionnaires ou les livres d'histoire et que tout le monde connaît, ce qui est le cas de Varennes, qui doit vraiment sa célébrité à un concours de circonstances. Peu d'épisodes de l'histoire de France autant que l'arrestation de Louis XVI et de sa famille le 21 juin 1791 dans cette petite ville de la frange occidentale de la Lorraine auront occasionné, et à juste titre, réflexions, méditations et spéculations sur le rôle du hasard dans la formation des événements.
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C’est étrange, mais en laissant tomber cette fois toute allusion à l’extrême droite et en ne conservant que la référence à un certain style de vêtements masculins, c’est-à-dire à des plis de pantalon impeccables ou à des pulls blancs au col en V souligné de bleu, il semble, et peu importe si je choque en avançant cela, que d’autres gloires liées à la région, plus importantes ou du moins se situant sur un tout autre plan - je pense à Maurice Ravel, natif de Ciboure, et à Roland Barthes, enterré à Urt où il avait sa maison -, ne sont pas entièrement exemptes de ce côté peigné, appliqué et frivole à la fois, le brillant sémanticien comme l’auteur du Boléro, modernes sans doute l’un et l’autre, se souvenant peut-être aussi, sur un versant assagi plus que désinvolte, d’une certaine façon de repasser, d’empeser et de vernir.
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(...) autant la violence unificatrice des croix, dans tous ces cimetières, annule presque leur origine chrétienne pour prendre la signification neutre et terrible d’une simple case cochée - la faucheuse ayant perdu ses attributs gothiques pour devenir un triste douanier tamponnant le passage - chaque tombe, dans l’herbe rase, étant ce coup de tampon.
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Elle vient dire, il me semble, que ce qui rend un pays vivable, quel qu’il soit, c’est la possibilité qu’il laisse à la pensée de le quitter. L’identité définie comme le modelé d’une infinité de départs possibles - peut-être serait-ce cela le socle le plus résistant de la provenance?
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