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Critique de AlienorAntonia


La narratrice se débat avec cette question essentielle : comment être simultanément fille d'une femme et mère d'une autre ? Comment se libérer d'une mère envahissante qui nous avale par ses excès sans la trahir ? Son originalité émerveille la petite fille qu'elle était et dégoûte la femme qu'elle devient. La rupture nécessaire de l'adolescence finit de faire sombrer une mère codépendante et de culpabiliser la fille qui ne peut pourtant pas faire autrement.

Le roman est divisé en trois parties dépeignant chacune leur tour un pan de cette histoire d'amour-haine. La narratrice s'adresse directement à cette mère qui est partout et pour qui elle écrit. Elle tente de combler la tristesse inexpliquée de la mère et d'ignorer la folie qui vient. Devenue mère à son tour comme pour se venger des manquements de son enfance et s'affranchir de sa naissance, elle construit sa vie aux antipodes de celle de sa mère, et se retrouve pourtant aux prises avec une adolescente malheureuse dans laquelle elle se reconnaît et pour qui elle ne peut rien. A la mort de sa mère, la narratrice doit replonger dans un passé qu'elle a appris a oublié pour faire la paix avec celle qui n'est plus, qu'elle aime toujours de cet amour puéril indicible, qu'elle souhaite distancer tout en ne pouvant s'envisager sans d'elle, en acceptant de n'avoir jamais plus de réponse.

Ce comportement régressif, qui est sûrement une étape obligatoire de ce qu'on appelle communément le deuil, chacun ayant été dans cette situation s'y reconnaitra. L'autrice saute de souvenir en souvenir, pour tenter de ne pas oublier autant que pour garder la disparue encore un peu près d'elle. Répondant par ce roman à la demande de sa mère qui lui a fait part de son envie qu'elle écrive sur elle, la narratrice n'hésite pas à « inventer le réel » pour donner du sens à ce qui, malgré toutes ses tentatives, n'en a parfois simplement pas. L'absurdité de la mort de celle qui fait sens tente d'être justifiée par les lectures de ceux qui sont passés par là (Joan Didion, Roland Barthes, Clémentine Autain, Annie Ernaux) mais aussi par des quêtes vaines de réponse dans des photos sépia ou dans de vieux journaux intimes. A la tristesse inexpliquée de la mère répond des interrogations sur la transmission intergénérationnelle du mal-être : ma fille est-elle malheureuse car sa grand-mère l'était, et n'a jamais mis de mots sur son état ?

Ce roman est une lettre ouverte, une thérapie partagée à qui saura lire entre ses lignes l'urgence irrationnelle de conserver un peu du défunt parmi les vivants. C'est, malgré tout, une histoire qui finit bien. En donnant une forme, en justifiant par l'écrit l'existence de celle qui n'est plus, et la sienne d'un même coup, la narratrice se libère du poids de la morte qui ne la hante plus, mais la seconde et la précède d'un pas.
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