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EAN : 9782072897894
160 pages
Gallimard (12/05/2022)
3.92/5   118 notes
Résumé :
"Est-ce qu'on peut éviter les peines, la mélancolie, ce qui se répète, tous ces chagrins qu'on se trimballe et qu'ensuite on se transmet, est-ce qu'on peut les remiser, sous des pulls trop grands, dans les bras d'un amour de passage ou dans les mots qu'on écrit, est-ce qu'on peut seulement faire comme si cela n'existait pas ?"Dans ce roman intime et fragmentaire, Lisa Balavoine raconte sa mère, cette femme insaisissable avec qui elle a grandi en huis clos. Une femme... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
3,92

sur 118 notes
Quelques heures suffisent pour lire ce récit, l'histoire de l'auteure émaillée entre souvenirs avec sa mère et ses quarante ans en tant que mère.

La petite Lisa grandira seule avec sa mère. Une mère qui fume, cultive la solitude, aime sans s'attacher, ne parvient pas à aimer comme une mère aime son enfant. Pourtant la gamine est en adoration devant sa mère. Elle ne comprend pas que quelque chose ne tourne pas rond. Jusqu'au jour de l'adolescence où quelque chose se brise, où la jeune femme doit partir, loin, s'enfuir, fuir cette mère.

Le récit est clinique, distant, assez froid. Par ci par là des phrases qui résonnent et claquent comme des questions insolubles.

« Peut-être qu'on n'en finit jamais d'essayer de vivre. »

C'est un récit qui sent la souffrance, les traumatismes, les regrets, le manque, les bleus à l'âme et au coeur.

« Ça  fait un bruit de dingue un coeur qui souffre »

Puis on grandit et certains se promettent de ne pas réitérer les mêmes erreurs que nos parents (j'ai essayé et j'ai réussi), d'autres n'y arrivent pas et perpétuent le même schéma comme Lisa.

« Il paraît que dans toutes nos rencontres amoureuses, nous cherchons à retrouver  la figure de notre mère. »

Et le pire, là où la claque laisse l'âme au bord du ravin c'est que oui, avec le temps on oublie le meilleur, la douceur de certains souvenirs. Ne revient cogner que la laideur.

« Je me demande où sont passés les souvenirs, les beaux, les joyeux, les doux. Je suis certaine qu'ils se planquent quelque part, dans un coin de ma mémoire, mais ils ne me  reviennent pas, coincés sous les amas de pensées sombres, ils ne se fraient pas de chemin jusqu'à moi, je ne les retrouve plus. C'est peine perdue. »

On m'a conseillée ce livre pour me réconcilier avec mon passé. J'en sors perplexe, perturbée avec plus de questions que de réponses. L'envie de retrouver le chemin des doux souvenirs et les pieds embourbés dans les cauchemars de l'enfance.

Lisa Balavoine a exorcisé ses peines dans ce livre avec pudeur et malgré les peines et les ratés beaucoup d'amour. C'est déjà pas mal.

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«Un roman-photo aux couleurs fanées»

Lisa Balavoine revient à la littérature blanche avec un émouvant roman qui retrace sa relation avec sa mère. Une histoire d'amour déchirante, un hommage sincère à travers trois générations de femmes.

C'est l'histoire d'un lien invisible, parfois très ténu, qui relie une fille à sa mère. Un lien indissoluble qu'explore Lisa Balavoine avec autant de franchise que de sensibilité dans son second roman.
C'est lorsqu'on lui annonce que sa mère est morte, dans la violence du choc, le maelstrom d'émotions et d'interrogations, que naît ce besoin de retrouver cette femme. Mais connaît-on vraiment sa mère? Que savons-nous de ce que fut sa vie avant qu'elle ne puisse nous prendre dans ses bras? Après avoir à son tour fondé une famille? Et même durant la période de cohabitation, année après année, l'image qui se construit de cette femme n'est-elle pas déformée?
Au moment de convoquer les souvenirs, de raconter cette personne née et décédée un 7 juillet, il est bien difficile de faire le tri entre les odeurs et les couleurs, les lieux et les objets, les paroles et les actes. C'est sans doute cette accumulation qui est le plus touchant dans ce récit. Des jeunes années où, après le départ du père, la mère devient par la force des choses l'être le plus important – celui qu'il est hors de question de partager – jusqu'à ce moment où à son tour elle met au monde une fille, devient à son tour mère, que se construit cette relation unique. «Les souvenirs s'attachent à nous bien plus qu'on ne tient à eux. Ils sont dans l'air qu'on respire, dans ce fruit dans lequel on mord, dans la poussière qu'on piétine sans s'en apercevoir. Les souvenirs nous collent à la peau et, comme une encre sympathique, ils reviennent quand nous croyons les avoir effacés. Ils se superposent et nous recouvrent. Les souvenirs sont des vêtements posés sur nous dont les bords usés s'effilochent au fur et à mesure qu'on tire dessus. Difficile de savoir où et quand il faut couper le fil.»
Il reste alors la chaleur d'un corps qui vous fait une place dans son lit, la mauvaise foi affichée après un accident de voiture causé par une étourderie, les petits mots d'excuses inventées et qui sont autant de preuves d'amour et de complicité, quelques chansons fredonnées des centaines de fois comme Dis-lui de revenir de Véronique Sanson (voir playlist ci-dessous), les vacances en camping en Bretagne, les hommes qui passaient sans laisser de trace, les courses dans la grande salle attenant à son bureau qui devenait alors salle de jeu quand elle n'avait d'autre choix que d'emmener sa fille avec elle au travail. Et dans ce tourbillon de la vie, avec cette mère divorcée, l'envie d'appuyer sur la touche pause. «Toi et moi ne vivons qu'un brouillon d'existence dans des appartements où nous ne nous installons jamais. Chez nous tout va trop vite, la voiture, la musique, les jours et les nuits. Je me revois espérer que nous aurons nous aussi une maison, de l'espace, du temps. Un jour, nous aurons une vie normale.»
Mais les semaines passent avec leurs rituels, une petite soeur arrive et avec elle l'enfance qui s'en va. L'alcool et les cigarettes commencent à marquer le visage, à transformer le corps de sa mère et leur relation. «Je n'invite personne, j'ai honte de cet immeuble, des gamins qui squattent en bas, et surtout j'ai honte de toi, pour la première fois, je veux que personne ne te rencontre, que personne ne te voie. J'ai honte de ressentir cela.» Quelque chose se casse et à nouveau, on voudrait refaire l'histoire, ne pas croire que Bonjour tristesse, le roman de Françoise Sagan qui traîne sur la table serait un bon titre pour sa vie.
Si les mots de Lisa Balavoine touchent au coeur, c'est parce qu'ils sonnent toujours juste, parce qu'ils sont vrais, parce qu'ils sont sincères jusque dans la souffrance.
«Un jour tout ça s'en va, l'inquiétude, la peur, la honte, les regrets, l'odeur d'une peau et même le son d'une voix, un jour on ne sait plus où tout a disparu. le manque d'amour comme le reste, l'attente devant l'école le soir, la crainte quand au matin elle n'était pas là, la colère de la voir dans de pareils états, un jour tout devient moins vivace et plus supportable, on efface, on oublie, c'est comme ça. La vie a ceci de surprenant qu'elle nous apprend à composer avec ce qui nous manque. J'ai une mère, mais je fais souvent comme si je n'en avais pas.» C'est beau comme une chanson de Ferré.
Les trois parties qui composent le roman et qui racontent la fille et sa mère, puis la fille devenue à son tour mère et qui regarde ses enfants et enfin la mère cherchant cet autre mère pour enfin la laisser partir sont autant d'histoires d'amour. Belles, cruelles, puissantes et déchirantes. Un «roman-photo aux couleurs fanées» qui dresse aussi, à travers trois générations de femmes, un portrait de la France au tournant du XXIe siècle.

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Lisa Balavoine est de mes écrivaines préférées, je l'adore même. Depuis son premier roman, Éparse, son deuxième roman, un roman jeunesse « Un garçon c'est presque rien » et revoilà Lisa Balavoine avec son style si reconnaissable, en listes et fragments, racontant l'histoire d'une mère vue par sa fille, une mère qui élève seule sa fille, et qui l'aime si fort qu'elle ne se rend pas compte des difficultés que cette enfant, puis ado, a de s'adapter aux passions de sa mère, ses amours, ses déménagements, le manque d'argent, la folie douce, et elles dansent sur des chansons des années 70, 80, qu'on connaît si bien dans un décor qu'on connait bien, avec les objets quotidiens comme la pomme rouge boite à glaçons, les cigarettes Dunhill, la balance Terraillon à la cuisine, le papier peint à gros motifs, souvent les grosses fleurs orange et marron, les Françoise Sagan, le parfum Femme de Rochas, Veronique Sanson, l'intégrale Michel Berger, Eurythmics, China Girl de Bowie…. La mère danse dans le salon, cigarette à la main, dans ses rêves et ses chagrins. Sa fille l'admire, l'aime. Mais pour vivre, la jeune fille doit s'en aller. Vivre sa vie à elle, et non la vie de sa mère. C'est difficile.

Et dans la deuxième partie du livre, la narratrice, Lisa -car il est écrit « roman » mais comme dans Eparse, c'est je crois bien de l'autofiction, avec beaucoup de souvenirs que je partage aussi de cette époque- Lisa, donc, elle aussi mariée et divorcée, va rencontrer avec sa fille à elle, adolescente, des écueils, et la laisse partir, parce qu'elle l'aime.

C'est un roman qui touche au coeur, un roman où on se reconnait, soi, une histoire dite avec des mots si simples, pour raconter l'amour maternel, et l'amour filial. Une ode aux mères et aux filles, une ode à la maternité.

Je ne peux que recommander la lecture de ce magnifique roman qu'on ne peut pas lâcher avant la fin, tant cette histoire est émouvante, tant ce style est d'une perfection rare.
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Lisa avait déjà livré quelques fragments. D'elle, on avait découvert une sensibilité à fleur de peau glissée dans les maux d'une autre en filigrane, une mère, une ombre à laquelle les larmes se dédiaient. « Eparse » donnait les prémices d'un immense chagrin porté jusqu'au coeur.
Et puis de Lisa, demeuraient des posts sur instagram, des photos, des bribes de vie, de la musique. du noir et Blanc. Des Vinyles. du texte. L'agreg. Des jours emprunts de tristesse. Sa mère n'était plus, elle qui l'avait abîmée malgré l'amour. Il est des souffrances que l'on n'explique pas, ou mal, ou si bien qu'on les refuse, des souffrances cousues à la couenne ; Lisa léchait ses plaies.
Les idées ont pris forme – un texte, de courts paragraphes et les instants qui l'ont construite, elle Lisa, fille et mère, tenant en creux l'amour éperdu pour celle qu'elle a aimée malgré les revers et les travers, l'amour toujours piqué au quotidien, collé aux souvenirs. Lisa écrira « Les souvenirs s'attachent à nous bien plus qu'on ne tient à eux ».
Succession d'instantanés tels les clichés des polaroïds sur lesquels on les imagine, Lisa et sa mère, « Ceux qui s'aiment se laissent partir » trace le passé pour mieux s'en affranchir. Dire les mots qui se sont tus, les regards détournés, l'incompréhension. Et ce trou dans le coeur. Il parle d'amour avant tout. D'amour tout court.
Ecrit qui serre le coeur, délicat et pudique – oui, pudique, juste comme il faut, comme une confidence que l'on nous aurait confiée. Un chuchotement : « Tu sais, la vie, c'est pas facile, il y a des jours où j'ai trop mal … », quelques secrets que l'on garde. J'ai aimé ce texte. Enormément. J'ai aimé son écriture fine et cette peau que l'on retire.
Une lecture déchirante.


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Ce livre, lu dès sa sortie, m'a bouleversée à un tel point que j'ai sans cesse repoussé le moment d'en parler, de poser mes mots sur l'émotion ressentie tout au long de sa lecture.
C'est l 'histoire d'un amour, un amour inconditionnel qu'une enfant éprouve pour sa mère mais que celle-ci, personnage complexe et fantasque ne parviens pas à exprimer. J'ai eu mal, très mal pour la petite Lisa qui admire cette femme belle et élégante devenue mère trop jeune peut-être et qui rêvait d'autre choses et l'a embarquée avec elle dans un tourbillon, déménageant sans cesse et jouissant de la vie. ("Je change souvent d'école. Je ne me fais pas d'amis. Je n'ai que toi."). Une mère-copine qui exprime son amour en gâtant sa fille avec de nombreux cadeaux mais qui ne lui offre pas le plus important : du temps, de l'attention. Et qui, surtout, ne semble pas s'en rendre compte. La petite Lisa, elle, désire juste "une vie normale".
On se demande souvent qui est la mère et qui est la fille tant celle-ci à un comportement infantile, irresponsable et est totalement dépassée.
Une fille qui, devenue adolescente, n'a d'autre choix que de partir, pour son propre salut, pour se libérer de cette emprise qu'à sa mère sur elle, pour ne pas se laisser entrainer dans cette spirale destructrice.
Et qui, quand elle devient mère à son tour, veut être à l'opposé de sa mère, "une mère parfaite" et qui se retrouve confrontée au mal être de sa fille et se demande ce qu'elle a raté.
A travers le regard de Lisa, j'ai eu mal aussi pour cette femme instable, mélancolique, psychologiquement fragile, qui a vécu une vie en décalage avec des rêves trop grands, toujours insatisfaite, toujours ailleurs et profondément malheureuse.
Un livre qui questionne sur la transmission. reproduit-on les mêmes erreurs alors qu'on essaie absolument de faire le contraire? Est-ce une fatalité? La souffrance se transmet-elle inconsciemment? Qu'est-ce qu'être mère? Comment écrire notre propre histoire ? La relation fille-mère est -elle un miroir? En tant que fille, est-on un reflet de sa mère?
Les mots de Lisa sont justes, émouvants, sensibles et elle écrit et dévoile ses sentiments avec une grande sincérité qui ne peut pas laisser insensible. Écrire devient salutaire pour se libérer d'un sentiment de culpabilité : a-t'elle été une bonne fille? A-t'elle abandonné sa mère?
Et là le titre prend tout son sens.
Un livre magnifique qui m'a touchée en plein coeur.
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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
04 août 2022
Lisa Balavoine raconte son enfance, aux côtés d'une mère qui a tout plaqué parce qu'elle rêvait d'amour fou. "Ceux qui s'aiment se laissent partir" : un roman aussi délicat que soutenu.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (91) Voir plus Ajouter une citation
Parce qu’on ne se parlait plus, parce qu’on ne savait pas comment, parce que c’était trop difficile, parce que ça nous brûlait la langue, parce qu’on se crachait au visage, parce qu’on se balançait les mots comme des coups, comme dans ce conte que je lisais enfant, des crapauds et des serpents sortis de nos bouches, parce qu’on se parlait comme ça, salement, parce qu’on ne savait plus faire autrement, parce qu’on essayait et puis toujours ça dérapait, ça se retournait contre nous, pour n’importe quoi, à n’importe quel moment, parce que les mots entre nous n’étaient que lutte, fatigue, colère et renoncements.
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Si tu pars, je vais mourir. Si tu pars, je te préviens, je vais faire n’importe quoi. Si tu pars, ne compte plus sur moi. Si tu pars, ça prouve que tu ne m’aimes pas. Si tu pars, c’est que tu préfères ton père. Si tu pars, tu ne sais pas ce dont je suis capable. Si tu pars, tu vas le regretter. Si tu pars, qui te fera à manger, tu ne sais rien faire. Si tu pars, c’est pas la peine de revenir. Si tu pars, tu auras mon suicide sur la conscience.

Je pars.
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J’aimerais comprendre pourquoi, de tout ce que nous avons vécu, je ne parviens pas à me délester du pire.
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Les enfants sentent ces choses-là, ce qui se fendille, lentement, dans la routine de l'existence, dans le coeur de leurs parents. Quelque chose se déchire, peu à peu. Je le vois et rien ne peut recoudre ça.
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(Les premières pages du livre)
Elle est étendue, elle semble apaisée.
Mais je veux vous prévenir : l’appartement est dans un état de dégradation avancé. Je ne sais pas quoi faire pour vous.

Je reçois ce message en fin d’après-midi, un vendredi de juillet. Dehors l’été bat son plein, il fait une chaleur à crever.
La chaleur, je me souviens surtout de ça.
Ce jour-là, je me trouve à Paris où je ne vis pas. J’ai passé la nuit avec un homme qui finit de m’aimer et que je ne parviens pas à quitter. Ce n’est pas la moindre de mes lâchetés.
Après son départ, j’ai paressé au lit. Peut-être ai-je lu quelques pages d’un roman, peut-être me suis-je rendormie. Je ne suis pas une fille du matin, je viens de la nuit et des rêves qui s’étirent, des élans planqués sous la lenteur.
Je m’oblige à sortir des draps vers midi pour aller voir une exposition. Ed van der Elsken, au Jeu de Paume. Je reste longuement devant une photographie de baiser qui me bouleverse et je sors du musée avec ce couple en tête. L’intensité de ce baiser. Ces bouches qui se dévorent. Je ne sais pas si j’ai déjà été aimée ainsi.

J’arpente les rues de la capitale en traquant l’ombre. Il fait lourd, le métro est bondé, la ville grouillante de monde. Je titube, reviens sur mes pas, saoule de ce qui m’entoure. Je me hâte de rentrer, le corps harassé par la sueur. Je prends une longue douche glacée, l’eau me pique la peau méthodiquement, comme les aiguilles d’un tatoueur. Je laisse mes cheveux trempés dégouliner sur mes épaules et déambule nue dans le salon, à ne rien faire.

Il me semble ne plus avoir envie de rien, depuis des mois, peut-être des années. Ne rien faire de ces désirs perdus, oubliés, comme emportés par le ressac. Me laisser bercer par cet inlassable mouvement, choisir, renoncer, recommencer. Peut-être qu’on n’en finit jamais d’essayer de vivre.

Devant moi, l’horizon est grand ouvert. L’été s’étale comme une page blanche, il commence à peine. Je ne dois retrouver mes enfants que dans une dizaine de jours. Juillet ressemble à une promesse.
Je pourrais ne pas attendre cet homme, prendre mes affaires et déguerpir, tout envoyer valser. Je pourrais tant si je me décidais.

Et puis ce message s’affiche sur mon téléphone et sur lui mon regard se fige. Je ne sais pas quoi faire pour vous.
Ces mots me sont envoyés par mon médecin, qui est aussi le tien.
Je ne comprends rien, sinon que tu es morte.

I
Tu es une jeune femme divorcée au début des années quatre-vingt. À vingt-cinq ans, tu as tout plaqué sur un coup de tête, ton mari, la maison à la campagne que vous veniez d’acheter, tes premiers rêves et tu es partie, emportant une gamine de presque quatre ans dans ta nouvelle vie. Tu t’es d’abord installée avec un autre homme, une aventure comme tu en as parfois, mais cela n’a pas duré, les histoires qui durent tu n’es pas faite pour ça. Tu as cherché un appartement où vivre avec ta fille. Après avoir porté les cheveux longs, tu les as coupés aux épaules, cela te va bien, tu y noues parfois des foulards qui te donnent de faux airs de Romy Schneider dans Les choses de la vie. On dit de toi que tu es une belle femme, ton corps est mince et élancé, tu optes toujours pour des vêtements à la mode, des jeans, des jupes évasées, une veste en cuir. Tu aimes les soirées entre amis, sortir, danser en boîte de nuit, repeindre des meubles et fumer toute la journée. Tu aimes aussi les chansons françaises qui passent sur la bande FM, la peinture impressionniste, les plantes, les films avec Bernard Giraudeau, Miou-Miou et Patrick Dewaere, te coucher très tard, les séries télévisées, Véronique Jannot dans Pause Café, le fard à paupières du même vert que tes yeux, un vert avec des éclats dorés, prendre des bains, acheter des crèmes pour le corps, te vernir les ongles, ton métier de secrétaire, lire des romans et des magazines féminins, conduire vite et sans ceinture, plaire, séduire et faire l’amour. Tu n’aimes pas être contrariée, rester trop longtemps au même endroit, faire tes comptes, les corvées administratives (ce n’est pas ton truc même si tu ne sais pas réellement ce que c’est, ton truc), tu n’aimes pas cuisiner, faire le marché, revoir tes ex, les imaginer avec une autre femme, comme si on pouvait se passer de toi, quelle idée, tu n’es pas une femme qu’on oublie, tu n’es pas une femme comme les autres. Tu n’aimes pas être désignée comme une mère, en avoir les obligations, te rendre aux rendez-vous avec les instituteurs, surveiller les devoirs, jouer, lire des histoires. Tu n’aimes pas devoir t’engager avec quelqu’un, être sérieuse, penser au lendemain.
Tu préfères croire que ta vie n’a pas encore commencé et tu attends, impatiente, qu’il se passe quelque chose.

Je n’ai pas de souvenir de ta vie avec mon père. Tout commence avec toi, dans tes pas et ton regard, comme si rien n’avait existé avant notre duo. Je suis celle qui t’accompagne, cette fillette qui tient ta main, je suis ton enfant sage, la prunelle de tes yeux, ton unique amour. Nous deux depuis toujours.

Tu conduis une petite Mazda de couleur beige, « dorée » tu précises, c’est plus élégant. Je suis installée devant, même si je n’ai pas encore l’âge, cela t’agace de devoir parler à quelqu’un assis à l’arrière. « Je ne fais pas taxi », me répètes-tu souvent.
Alors que nous roulons dans le centre-ville, tu me tends ta main droite. « Regarde. » Je penche la tête mais je ne vois rien, rien que ta main, qui n’est pas sur le volant, ta main qui danse, qui virevolte, un papillon, c’est à cela que je pense alors qu’on avance toujours à une certaine vitesse sur les boulevards intérieurs. « Mais enfin tu ne vois pas ? » Comme je secoue la tête, tu m’expliques que tu t’es brûlée en cuisinant. J’aperçois une vague trace blanche au creux de ta paume, rien qui justifie ton affolement. Je te rassure, « c’est pas grave maman », tu te tournes vers moi, et comme tu ne prêtes pas attention à la route, la voiture percute le véhicule de devant. Le choc est brutal, je ne suis pas attachée, mon corps heurte le pare-brise. J’ai mal, je me tiens la tête dans la main, je me suis mordu la langue, ça pisse le sang. Tu t’énerves, « mais qu’est-ce qu’il fichait là lui, ça va encore me coûter du fric, c’est vraiment pas le moment ! ». Je m’essuie la bouche avec la manche de mon blouson pendant que tu descends de voiture et enguirlandes le type. Vous rédigez un constat en vous appuyant sur le capot de la Mazda. Des voitures klaxonnent derrière, je rentre la tête dans mes épaules. Le monsieur me désigne du menton : « Elle n’est pas trop jeune votre fille pour être devant ? — Qui vous dit que c’est ma fille ? » Au ton de ta voix, on pourrait croire que tu ne m’aimes pas. Le document rédigé, tu remontes dans la voiture, remets le contact, repars. Ma langue s’est arrêtée de saigner, j’ai mal à la tête, cela va passer. Tu parles toute seule, refais l’histoire, réinventes l’accident. À la fin, on croirait que c’est cet homme qui nous est rentré dedans.
Arrivées devant chez nous, tu descends de voiture et m’assènes : « C’est de ta faute tout ça ! Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? » Je me tais et te suis dans la rue, tu marches devant, tu marches en faisant de grands pas, comme si tu préférais me tenir à distance.
Une fois dans l’appartement, tu allumes la chaîne stéréo et pousses le son à fond. La voix de Kim Carnes s’éraille pour parler des yeux de Bette Davis. Tu m’attrapes, me soulèves et me murmures à l’oreille : « Je t’aime, tu es ma fille, je te donnerai ma vie s’il le faut. »

Je rêve d’un animal de compagnie, tu m’offres des tortues d’eau. Elles sont plusieurs dans un aquarium. Souvent je les sors de leur bassin pour organiser des courses entre elles sur la moquette. Certaines n’y survivent pas. Sans état d’âme, tu m’ordonnes de les jeter dans le vide-ordures. Il m’arrive d’imaginer que l’une d’elles n’est pas morte, escalade le conduit et revient se glisser dans mon lit pour me mordre pendant la nuit.

Vivre avec toi, c’est vivre à cent à l’heure, c’est un tourbillon. Le matin c’est toujours la course. Le réveil ne sonne pas, tu as du mal à te lever, tu débarques dans ma chambre, « allez, vite, on va être en retard », alors je me lève les yeux pleins de sommeil. Je m’habille comme je veux, tu t’en fiches, je t’entends qui écoutes la radio dans la salle de bains, des informations que je ne comprends pas, ces voix qui parlent et toi qui te maquilles, te mets du khôl, de la poudre, du rouge à lèvres. Je te regarde parfois par l’entrebâillement de la porte, tu me dis « ne reste pas là, va manger quelque chose », alors je trottine jusqu’à la cuisine, je mange ce que je trouve, des biscuits, un yaourt, du pain. Parfois il n’y a rien. Cela ne me dérange pas, je n’ai pas trop d’appétit le matin. Tu me rejoins, regardes l’heure, râles que tu n’as pas le temps, bois quand même un café, un grand café dans un grand bol, tu fumes une cigarette. Tu fumes tout le temps. Tu ne manges pas, tu n’as pas faim, tu n’as jamais faim. Tu es une liane, un fil. Tu te regardes plusieurs fois dans le miroir de l’entrée, te recoiffes avec les doigts. Je me regarde aussi, nos deux reflets dans le même miroir, j’ai des nœuds dans les cheveux, tu me les attaches, ça ne se voit pas.
Pas le temps de traîner, tu me presses, j’enfile une veste, puis mon cartable par-dessus, il ne pèse pas bien lourd, il ne contient pas grand-chose, une ardoise, des craies et une éponge dans une boîte en plastique, une trousse avec des stylos parfumés à la fraise et mon cahier du jour. Je travaille bien à l’école et, quand je rentre le soir, je suis fière de te montrer les TB en rouge dans la marge. J’aime quand tu signes le cahier. J’aime ton écriture, grande, ronde, qui prend de la place. Elle a ton élégance, elle te ressemble.
Nous quittons l’appartement, nous descendons les étages, il n’y a pas d’ascenseur, toi devant et moi qui te suis, « allons dépêche-toi ! », nous sortons de l’immeuble, tu cherches du re
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Après un premier roman salué par la critique, "éparse" (JC Lattès), Lisa Balavoine signe son premier récit destiné aux adolescents. Intitulé "Un garçon c'est presque rien" (Rageot), il brosse le portrait bouleversant et intime d'un garçon d'aujourd'hui. le tout dans un ouvrage éminemment poétique, écrit en vers libres.
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