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Critique de SZRAMOWO


Paru quelques mois avant sa mort en Grande-Bretagne, La Vie et rien d'autre se lit comme un roman. JG Ballard y livre des clefs résonnant étrangement avec son oeuvre foisonnante dans laquelle l'horrible côtoie souvent l'indicible.
En vrac : Rêves humains conduisant au désastre programmé à coup de béton, de voitures, d'armes sophistiquées, de thérapies machiavéliques ; dérèglements climatiques, errances sociales, réalités transfigurées et artificielles, mensonges et tromperies.
Pour l'enfant élevé dans le cocon de la Concession Internationale de Shanghai, durant la guerre sino-japonaise, où « (…) un grand feu d'artifice célébrait l'ouverture d'une nouvelle boite de nuit, pendant que les voitures blindées de la police municipale s'enfonçaient dans la foule hurlante des émeutiers. » ; « Il ne se passait pas un trajet dans Shanghai (…) sans (qu'il ne soit) témoin de quelque chose d'étrange, de mystérieux, pourtant normal, à (ses) yeux. »
Le spectacle de la guerre est érigé en loisir dominical « (…) le dimanche après-midi quand nous allions visiter en compagnie de nos parents et de leurs amis les champs de bataille du sud et de l'ouest de Shanghai, tout juste rendus au calme (…) »
Le jeune James est attiré par les armes, l'autorité des soldats japonais et les symboles de la guerre « mais jamais on ne (lui) permit de garder ne serait-ce qu'une simple baïonnette »
Il joue dans une veille carcasse de chasseur chinois abandonné « (…) seul dans l'appareil mystérieux, quoique frappé à mort – rêve de vol préservé. »
A partir de 1941 (il a 11 ans) L'expérience du camp de Lunghua va forger la personnalité de James en l'extrayant de l'autorité parentale. La transgression permanente de cette autorité et de la morale qui en découle devient la règle « Mon père resta muet lorsque je lui montrai le combustible, mais il se doutait forcément que je l'avais volé dans l'entrepôt des cuisines. »
La fréquentation quotidienne de l'humiliation d'adultes, de scènes de tortures, enfin de la mort, fait partie de cette expérience.
C'est un James profondément bouleversé qui retrouve l'Angleterre et ses grands-parents chez lesquels il va vivre désormais « Jamais encore la vie ne m'avait conduit à explorer un abysse aussi profond, des kilomètres sous l'altitude zéro de la santé mentale. J'espère y avoir survécu, mais je n'en ai toujours pas la certitude absolue. »
Les années de collège et d'université qui suivent servent à mesurer l'écart séparant James de cette Grande-Bretagne sortie vainqueur de la guerre dont il se demande « (…) en quoi (sa) situation aurait pu être pire si elle avait perdu la guerre. » et il comprend « très vite que cette Angleterre en laquelle (son) éducation l'avait amené à croire (…) n'était qu'une illusion. »
A Cambridge il suit ses cours, mais se réfugie dès qu'il le peut au Cinéma des Arts, Carné, Arletty, Cécile Aubry, Max Ophüls, Clouzot, Cocteau, Maria Casarès, Wolfgang Staudte deviennent ses compagnons d'étude. Plus tard, il découvrira Freud et les surréalistes à une époque où « ils faisaient figure de plaisanterie éculée jusque dans les journaux les plus respectables. »
En choisissant la psychologie, il est « orienté » vers la médecine. « Près de soixante ans plus tard, je reste persuadé que mes deux ans d'anatomie comptèrent parmi les plus importants de ma vie et participèrent largement à la formation de mon imaginaire (…) un fonds imposant de métaphores anatomiques qui allaient s'insinuer dans toute mon oeuvre… » (Cf Crash est tenté de répondre le lecteur.)


La dissection de cadavres le ramène inlassablement à l'horreur de la guerre dont il a été le témoin « je faisais l'autopsie de tous les Chinois abandonnés au bord de la route, sur le chemin de mon école, je menais une sorte d'enquête émotionnelle, voire morale… »
JG Ballard met sa plume d'écrivain reconnu et expérimenté, au service de ses mémoires en décrivant sans Pathos, à la manière d'un entomologiste, les différents épisodes de sa vie en précisant en quoi ils ont contribué à faire de lui l'homme (le père de famille) et le romancier pessimiste mais souvent visionnaire qu'il est devenu.
Un livre de références dont la lecture s'impose non seulement comme clé de l'oeuvre de Ballard, mais comme témoignage cru et sans fard d'une période de l'histoire qui influence toujours notre histoire actuelle.

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