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Critique de Charybde2


Une vie de femme libre, pourtant au bord du gouffre. Tragique et hilarant, le premier roman d'une grande poétesse catalane.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/22/note-de-lecture-permafrost-eva-baltasar/

Rebelle quasiment professionnelle, elle a su se construire, dès l'adolescence, une épaisse carapace (de terre gelée, de permafrost, précisément) pour se garder des injonctions incessantes à se conformer et à s'ancrer de plus d'une façon, infligées par sa famille (où se distinguent sa mère mais aussi sa soeur au couple exemplaire et à la maternité épanouie) comme, d'une manière plus surprenante en apparence, ses amantes d'un soir ou ses amoureuses plus prolongées, aussi formidables soient-elles. Ayant exploré sous toutes les coutures, malgré son jeune âge, avec le secours – paradoxalement aussi salvateur que mortifère – des livres et de la philosophie, les composantes de son malaise radical, elle est désormais bien décidée à en finir, d'une façon ou d'une autre. Guettant l'instant propice le long d'une voie ferrée ou assise tout au bord du toit d'un immeuble à grande hauteur, il lui reste à décider du comment et à s'assurer malgré tout, pour elle-même, de la justesse du pourquoi. Ce en mobilisant sous nos yeux éblouis un assemblage – qui n'a de baroque ou d'hétéroclite que l'apparence – de souvenirs d'enfance, d'adolescence et de jeunessse, à présent que pointe la quarantaine, tous plus drôles et tragiques les uns que les autres – jusqu'à leur dénouement subtil et pas tout à fait attendu, loin de là.

Publié en 2018, traduit du catalan en français en 2020 par Annie Bats chez Verdier (en même temps que dans cinq autres langues dans le monde à peu près à la même période, après la version espagnole de 2018), « Permafrost », premier roman de la Barcelonaise Eva Baltasar, déjà largement consacrée par de nombreux prix littéraires pour son activité de poésie (avec une dizaine de recueils alors déjà à son actif), constitue l'une de ces heureuses surprises littéraires, dont l'éditeur de Lagrasse (et des couvertures intégralement jaune orangé) est si coutumier par chez nous. Aussi vertigineusement tragiques qu'elles sont foncièrement gorgées d'humour – et pas uniquement d'humour noir -, les 115 pages du monologue à facettes de la narratrice au bord du gouffre nous offrent une belle leçon d'écriture machiavélique sous ses aspects les plus cool et d'intelligence de la langue portée à son plus haut point (et grâce soit ainsi rendue à la traductrice d'avoir su aussi habilement refléter cette luminescence particulière).

Ariane Singer, dans le Monde des Livres (à lire ici) notait ainsi fort justement l'aspect fondamental du « décalage entre les fantasmes que projettent sur la narratrice les femmes de son entourage – qui voient en elle une femme libre et épanouie – et le sentiment d'asphyxie qui étreint celle-ci ». Nick HornbyVous descendez ? », 2005) et Jason HrivnakLa maison des épreuves », 2009) avaient déjà su nous proposer leur clé particulière pour gérer l'équilibre extrêmement délicat des sentiments et des sensations autour de la tentation suicidaire. Philippe AnnocqueLiquide », 2009) nous avait offert un monument magnifiquement crypté à propos du conformisme social, du plus évident au plus insidieux. Eva Baltasar, avec ce premier volet d'un triptyque dédié aux femmes d'aujourd'hui, d'hier et déjà de demain (dont le deuxième, « Boulder », est également disponible chez Verdier depuis 2022, creusant notamment la complexité piégeuse du lien féminité/maternité qui n'est ici qu'esquissée), a su mêler l'ironie ravageuse et toute la finesse d'une étude biopolitique en règle autour du corps féminin, de ce qui cherche partout à l'enserrer (sous des formes parfois inattendues, justement), mais aussi de ce qui peut le faire naviguer entre jouissance et détachement, là où on ne l'attend pas, précisément, encore.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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