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Critique de beatriceferon


Nous sommes le 25 février 1945. Paul Valéry est perdu dans la contemplation d'une aquarelle de Berthe Morisot qu'il affectionne. Pour lui, cette oeuvre représente la beauté absolue. Il relit aussi les carnets laissés par l'artiste. Soudain, la sonnerie du téléphone l'arrache à ce moment de sérénité. C'est son amie Mathilde, en larmes, qui vient de découvrir l'horreur des camps de concentration.
Un aussi beau titre ne pouvait pas me laisser indifférente. Sur le bandeau, une reproduction de Berthe Morisot. J'aime beaucoup l'Impressionnisme et cette artiste, je la connais mal (et je ne pense pas être la seule). Aussi, lorsque je découvre ce titre dans ceux que propose Masse critique, je le coche et j'ai la chance de le recevoir .
Le point de vue adopté par l'auteur est celui de Paul Valéry, qui a réellement connu la peintre, son aînée d'une trentaine d'années. Jean-Daniel Baltassat ne se met pas à la place du vieux poète. Il le présente de l'extérieur, mais passe sans cesse du « il » au « nous » ou au « on », de sorte qu'on imagine découvrir les scènes à travers le regard de Valéry, sans être tout à fait lui.
Celui-ci apparaît à deux époques. Son présent est ce 25 février 1945 . Il est déjà âgé et mourra d'ailleurs quelques mois plus tard. En replongeant dans ces carnets que Berthe a transmis à son ami Mallarmé et que Valéry a pu recopier, il est comme transporté dans le passé. Lui-même, jeune homme d'une vingtaine d'années, avait croisé cette femme qui l'intriguait. La narration sera donc interrompue à divers endroits pour céder la parole à Berthe, qui livre ses états d'âme à son cahier de moleskine jaune, cadeau de son amie, la duchesse d'Affry. Ces pages permettent de connaître ses pensées face à l'art en général, à son rôle de peintre en particulier. Évidemment, elle parle beaucoup d'Édouard Manet, son beau-frère, dont elle fut un modèle privilégié. Elle livre ses hésitations : comment rendre tel ou tel sujet ? Souvent, elle se décourage ou se fâche. Elle détruit un grand nombre d'oeuvres dont elle n'est pas satisfaite. Ils sont nombreux à cette époque, les thèmes interdits aux femmes. On aurait plus vite fait de citer ce qui leur est permis ! Cela m'a fait penser à l'éducation de Sophie, dans « l'Émile » de Jean-Jacques Rousseau, où le philosophe trouve bon que les femmes s'adonnent au dessin ou à la peinture, mais proscrit quasiment toutes les représentations de telle sorte que, finalement, c'est à peine s'il leur reste plus que quelques lettres de l'alphabet destinées à être brodées !
Au fil du récit, on croise divers artistes qui discutent entre eux, se disputent parfois, donnent leur avis en littérature ou peinture.
Le livre devrait donc être très intéressant (il l'est). Pourtant, souvent, il m'a semblé ennuyeux. D'abord parce que l'auteur fait preuve d'une érudition qu'il étale sur un ton pédant : « Des mascarons menaçants peuplaient les frontons et les linteaux. Des mosaïques diffusaient des ors surnaturels au haut des tympans. Des noeuds d'acanthe virides ou couleur d'algues célestes couraient sur les colonnes, investissaient des corniches surmontées de bustes de gypse et d'albâtre (etc.) » Voilà un vocabulaire qui n'est pas à la portée de n'importe quel lecteur ! Nombre de phrases sont très longues (une dizaine de lignes), entrecoupées de plusieurs parenthèses, si bien que, arrivé au bout, on ne se souvient plus du début. de temps en temps, même moi, qui me targue pourtant d'être une bonne lectrice, je ne saisis pas ce qu'il veut dire exactement : « l'horreur, dit-il de son ton le plus sec, l'horreur n'est pas une variété d'actes issus de l'imagination. le mal non plus. Si l'on en croit ce qu'on voit, il faudrait plutôt les classer dans les catégories du plaisir et du spectacle. » Je ne vois pas bien la rapport entre mal, horreur et plaisir.
Sans doute est-ce parce qu'il adopte le point de vue d'un poète hermétique (Mallarmé) ou cérébral (Valéry). Lui-même, dans son écriture, fait, de temps à autre, penser à certains textes connus. Ainsi, cette allitération : « Paix de l'insomnie et paix dans Paris » me fait songer à ce vers de Rimbaud dans le « sonnet des voyelles » : « Paix des pâtis, paix des rides » auquel il emprunte aussi l'adjectif « viride ».
J'ai apprécié les analyses de nombreux tableaux. Il nous fait ainsi découvrir les secrets de la pose pour « le Balcon » ou « Rêverie », où Manet offre la première place à sa belle-soeur Et on se rend compte alors combien cette attitude, qui paraissait si naturelle, demande d'efforts et occasionne de fatigue.
Il décrit, bien évidemment, un grand nombre des oeuvres de Berthe Morisot et les techniques utilisées. Il faut aller voir les tableaux pour profiter de la lecture, et cela m'a donné l'envie d'acheter d'autres livres consacrés à l'artiste. Mais, au début du roman, Paul Valéry est devant cette aquarelle qu'il connaît par coeur, « Lisière, forêt de Fontainebleau » et en souligne les « élancements verticaux d'un bleu aqueux » (Berthe se reproche d'avoir trop détrempé son papier et doit attendre qu'il sèche, laissant fuir l'instant et compromettant son inspiration), « des taches de verts, de carmin transparent, une liquidité de touches superposées, flottantes, volantes », qui nous invitent à contempler à notre tour cette merveille. Hélas, j'ai beau chercher, je n'en trouve nulle trace. Jean-Daniel Baltassat l'a-t-il inventé, tout comme il invente les propos prêtés à Valéry, Mallarmé, Degas ou le journal de Berthe ? (C'est ce qu'il nous révèle dans une note en fin de volume).
Je ne sais donc trop que dire à propos de cette oeuvre brillante, certes, mais trop froide, intellectuelle, élitiste, pas assez vivante. Elle m'a donné envie de me tourner vers d'autres documents et de visiter le cimetière de Passy, que je ne connais pas. En parlant de l'enterrement d'Edmond (le mari de Berthe), il livre une superbe description de la tombe voisine, celle d'une fillette (Emilia del Saz Caballero) que j'aimerais beaucoup voir de mes propres yeux, moi qui suis fanatique de l'art funéraire.
Il me reste donc à remercier Babelio pour son opération Masse critique et les éditions Calmann-Lévy qui m'ont offert cette lecture.
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