[Lettre M]
... Vous aimez les fleurs, mon amie, et j'aime les arbres. Des fleurs sont choses et les arbres sont des êtres. J'aime le tout mieux que la partie. Adorez avec moi ce grandiose porteur de branches et de feuilles, ce grand être isolé et complet. Sa stature et sa figure exhaussent mon regard. Il invoque, il appelle l'arbre de vie qui est en moi. Il est axe d'un monde où il rayonne son existence, et je le sens par moi-même qui approfondit jusqu'au granit son idée fixe de la vie ... Ne voyez-vous pas qu'il soutient dans toute sa gloire l'exemple et la loi pure de se faire égal dans l'espace à toute la puissance présente du temps ; comme il répond à sa durée, comme il s'augmente et se succède dans l'étendue ! Il ne subsiste qu'il ne croisse, et le nombre de ses feuilles chante à mi-voix ce qui se passe sur la mer. ...
pp. 83-84
(Lettre J, après le déjeuner).
Je m'interroge au milieu de ma fumée si j'irai tantôt vers la mer à travers les arbres, ou sur le mont accablé de roches, ou bien visiter quelques amis dans leurs demeures ; ou si je laisserai couler purement le beau temps limpide, toute la masse de l'après-midi lente et tiède jusqu'à sa dernière lueur ? Je varie, je me peins le possible et j'efface. Je me dis sans le vouloir que les bêtes ne font rien que d'utile. Même leur jeux sont de justes dépenses. Mais nous, le trop d'esprit trouble et diffère tous les comptes de notre vie avec sa durée. Nous gagnons, nous perdons du temps, notre solde n'est jamais nul. Je rêve à cette monnaie étrange. J'entends une eau qui chuinte et se suit je ne sais où ; un marteau je ne sais où qui martèle je ne sais quoi ...
p. 71
[Autre lettre J]
Tout ce beau jour, si net, orné, bordé de tuiles et de palmes, et de qui tant d'azur, accomplissant la plénitude, ferme dans le zénith la forme auguste, ne m'est qu'une bulle éphémère, pleine à demi d'objets indifférents.
Bel 'Aujourd'hui' que tu es -- 'Aujourd'hui' qui m'entoures -- je suis 'Hier' et 'Demain'... Tu n'es que ce qui est, et je ne suis jamais : je ne suis que ce qui peut être ... Ici, tout ce qui brille et vibre n'est pas moi.
p. 74
Les mots en italiques sont ici présentés entre des guillemets simples ('...')
O qui me dira comment au travers de l'inexistence ma personne tout entière s'est conservée, et quelle chose m a porté inerte, plein de vie et chargé d'esprit, d'un bord à l'autre du néant?
La mer lointaine est une coupe pleine de feu tout auprès de mon âme. Je goûte à l’horizon étincelant qui est posé sur ces feuillages, et mes regards sont des lèvres qui ne se peuvent détacher de cette chose pleine éblouissante.
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Les Jeux olympiques de littérature
Louis Chevaillier
Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. »
Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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