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Critique de Nastasia-B


Une grande inspiration, un oeil décidé et c'est parti pour cette critique qui me tient tant à coeur. C'est que j'ai peine à vous dire tout l'amour que j'ai pour Balzac en général et pour les Illusions Perdues en particulier.

Il est tellement malmené au lycée ; on lui fait porter un tel chapeau à mon pauvre petit Honoré ; on nous donne souvent tellement peu envie de s'aller essayer à la Comédie Humaine que c'en est presque consternant. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir varié tant la taille que le type de ses écrits, mais tout tourne autour de 4 ou 5 titres qu'on se refile d'année scolaire en année scolaire, comme un vilain rhume.

Ici, vous êtes au centre de l'édifice, énorme, labyrinthique, monumental que constitue la Comédie Humaine, vous êtes au coeur du donjon, vous admirez le pilier médian, porteur essentiel, pour ne pas dire porteur DE l'essentiel. Quand bien même n'aurait-il écrit que cet unique roman, Balzac eût été, sans nul doute, l'un de nos plus grands écrivains de langue française.

En effet, l'auteur déploie dans ce livre sa quintessence, celle qui en fait un géant de la littérature française et mondiale. Pas UN Balzac, mais LE Balzac, le MAGIC-BALZAC comme on le rêve : riche, tonique, corrosif, lucide, drôle et tout, vraiment tout, ce qu'on peut attendre d'un roman du XIXème siècle.

Chapeau bas Monsieur Balzac ; on a beau dire, on a beau faire, ils ne sont pas si nombreux ceux qui vous arrivent à la cheville et, s'il fait moins vibrer les trémolos du pathos que ne le fait Victor Hugo, ne nous y trompons pas, cette oeuvre est du calibre des Misérables, aussi franche et savoureuse que le Comte de Monte-Cristo, les deux seuls romans francophones de ce siècle à pouvoir faire moindrement le poids face à ce monstre sublime que nous a légué Honoré de Balzac.

Si vous ne souhaitez pas savoir du tout de quoi parle ce roman, je vous conseille de vous arrêter ici dans la lecture de cet avis. En revanche, si vous voulez en connaître un peu les grandes lignes, je vous en taille à la serpe les pourtours dans ce qui suit :

La première partie intitulée Les Deux Poètes nous présente, vous l'imaginez, les deux amis : l'un, David Séchard, fils d'un imprimeur d'Angoulême, économe, la tête sur les épaules, qui a fait des études à Paris et qui a surtout compris qu'il ne pourrait jamais compter sur son père, aussi avare dans son genre que le père Grandet (voir Eugénie Grandet) ce qui n'est pas peu dire.

L'autre, Lucien Chardon, fils d'un apothicaire, issu d'une branche noble par sa mère, les " de Rubempré ", possède un talent littéraire indéniable et semble attiré par le grand monde et les lumières de la grande ville comme les papillons sur les lampes à incandescence.

La question étant de savoir s'il se brûlera les ailes auprès de Madame de Bargeton, une célébrité aristocratique locale. le titre du roman pourrait presque, à l'extrême limite, vous donner un tout petit indice, mais je n'en suis pas bien sûre...

La deuxième partie, Un Grand Homme de Province À Paris, comme son nom l'indique, déplace l'un des personnages principaux, Lucien Chardon (ou de Rubempré selon qu'on considère ou non son ascendance noble du côté maternel), d'Angoulême à Paris.

Lucien quitte tout pour les beaux yeux de cette aristocrate provinciale, Madame de Bargeton, qui s'est éprise de lui. Très vite, le grand monde va se charger d'exclure ce rejeton illégitime de la noblesse et donc, de faire cesser l'admiration de Mme de Bargeton pour son petit protégé de poète.

En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, seul et avec le coût exorbitant de la vie parisienne, Lucien se retrouve dans l'indigence la plus noire, avec pour seul espoir, sa jeunesse et son talent de plume. Il a le bonheur de faire la connaissance de Daniel d'Arthez, jeune écrivain incorruptible, initiateur du Cénacle, cercle d'amoureux des arts, prêts à tout pour aller jusqu'au bout de leur art sans tremper jamais dans aucune compromission, d'aucune sorte.

Lucien sera très vite fasciné par cet droiture morale, cet ascétisme de pensée et de travail, dont les résultats commencent à porter leurs fruits dans son esprit critique et dans son maniement de la plume.

Cependant, Lucien, pauvre comme les pierres, va lorgner abondamment vers les lumières du journalisme et ses succès faciles, richement rétribués. L'ascension de Lucien va être fulgurante, lui permettant au passage de tailler des costards à ses vieilles connaissances angoumoisines qui l'ont si lâchement laissé tomber à son arrivée dans la capitale.

Néanmoins, être talentueux n'est pas sans risque, comme vous le découvrirez à la lecture de cette partie. Balzac nous offre des pages sublimes et dresse un portrait corrosif et peu flatteur tant du journalisme que du monde de l'édition. Un portrait qui sent éminemment le vécu et qui ne semble pas avoir pris une ride.

Les requins et les fourbes d'aujourd'hui ne sont guère différents de ceux d'hier. C'est en cela que l'universalité et le talent de visionnaire De Balzac étaient (Baudelaire s'en émerveillait), sont et demeureront impressionnants.

Dans la troisième et dernière partie baptisée Les Souffrances de L'Inventeur, après ce long épisode parisien ayant Lucien pour protagoniste principal, Balzac poursuit en synchronique avec la destinée de sa soeur Ève et de David Séchard, restés à Angoulême dans le même temps.

L'auteur y développe, avec un luxe qui sent trop le vécu pour ne pas avoir son origine dans ses propres mésaventures personnelles, la savante machinerie de l'extorsion de l'invention d'un concurrent par le biais des lois, le concours des créanciers et l'entremise des hommes sensés être les garants de l'équité sociale. Ainsi, David Séchard, mis dans de cruels draps par les trois faux billets de mille francs signés à son insu par Lucien, se retrouve entre les griffes voraces des frères Cointet, imprimeurs, usuriers et banquiers d'Angoulême.

Malgré la défense héroïque du secret de fabrication de David par les deux infortunés époux Séchard, le destin s'acharne à leur vider les poches (enfin, le destin, c'est surtout les frères Cointet, Petit-Claud, l'avoué véreux, le fourbe Cérizet, l'avare père Séchard et Lucien involontairement par-dessus le marché).
Lucien, voyant dans quelle déroute il a mis sa soeur et son beau-frère est prêt au sacrifice suprême, mais il rencontre un bien singulier prêtre, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un ancien bagnard qu'on a bien connu dans le Père Goriot...

Balzac règle ses comptes avec les usuriers, banquiers, notaires, avocats et autres juges. Bref, une fin sublime pour ce roman qui ne l'est pas moins, et de bout en bout, mais tout ceci, vous l'aurez compris, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose, le mieux, et de loin, que vous ayez à faire, c'est de le lire. Je vous rembourse la différence si vous n'y trouvez pas votre compte et n'êtes pas satisfaits.

P. S. : c'est dans ce roman que Balzac invente un néologisme qui fera long feu, notamment via Jacques Brel, à savoir la " soulographie ".
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