Je suis venue dire adieu. Face au flux d’élèves pressés de quitter l’établissement. Comme une pierre polie, à contre-courant. Ils passent tous devant moi sans me voir, sans me regarder, ce qui est une nuance non négligeable : ils savent que je ne suis pas des leurs. C’est incontestable : je ne serai plus jamais des leurs.
Serena entre, souriante, sans que Zaynab ait eu à l’appeler. L’esthéticienne prend place, l’enseignante semble ne plus pouvoir bouger. Elle fait de son mieux pour verrouiller son esprit : son trouble ne doit transparaître à aucun moment.
— Je vous écoute ! chantonne Serena.
Zaynab sent comme un voile se déposer sur ses yeux. La panique a toujours eu un certain pouvoir sur elle. Pourvu qu’elle ne se ridiculise pas.
— Eh bien… avec Gaëtan, c’est… comment dire ? Facile. Très facile. Il fait partie de la tête de classe, ce n’est pas forcément celui que j’entends le plus mais il faut savoir qu’il est là et qu’il écoute à deux cents pour cent.
Petit sourire pour accompagner ce déluge de compliments. Serena s’illumine encore davantage, mais ne dit rien. Elle se contente d’être là, et de regarder Zaynab. Exactement comme son fils.
J’effleure encore la bibliothèque du salon, presque sans m’en rendre compte. C’est le lieu saint, l’autel du foyer. Un exemplaire de la Lolita de Nabokov dépasse, il a été mal rangé. C’est le livre préféré du maître des lieux. J’imagine qu’il a dû le relire récemment.
Mon père est dans la pièce d’à côté, je l’entends préparer le dîner. Il est étouffant de se dire que dans quelques heures je serai partie, a priori définitivement. J’aime cet endroit, je veux y rester. N’est-ce pas naturel ?
Mais il paraît qu’à des centaines de kilomètres, ils ont besoin de moi pour former des « adultes responsables ». De futurs adultes à la syntaxe inévitablement imparfaite, et pour qui l’œuvre de Zola n’est pas grand-chose. Ainsi sera ma vie. Je suis prof, comme mon père.
Je suis venue dire adieu. Face au flux d’élèves pressés de quitter l’établissement. Comme une pierre polie, à contre-courant. Ils passent tous devant moi sans me voir, sans me regarder, ce qui est une nuance non négligeable : ils savent que je ne suis pas des leurs. C’est incontestable : je ne serai plus jamais des leurs.