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Critique de caro64


Attention, Russel Banks est de retour et confirme avec ce roman sa place de grand penseur et écrivain américain. Renouant avec ses sujets de prédilection, l' adolescence, les laissés-pour-compte, une Amérique en perte de repères et avec son regard plus aiguisé que jamais, il écrit un brûlot sur les dérives de la société américaine contemporaine.

Bienvenue à Calusa, ville que l'auteur situe à l'extrême pointe de la Floride, ville imaginaire qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Miami. Hormis son parc national aux allures de forêt vierge d'un autre temps et ses complexes hôteliers ultra-modernes en front de mer, vous pourrez, si vous prenez le temps de vous arrêter au Viaduc, visiter sa Colonie, un endroit unique en son genre : un terrain vague, en contrebas du pont, où se sont regroupés des délinquants sexuels qui, bien qu'ayant tous purgé leur peine, sont condamnés à porter et à recharger un bracelet électronique permettant aux autorités de les localiser à toute heure du jour et de la nuit ; délinquants qui sont aussi condamnés à rester hors d'un périmètre dit de sécurité de 750 mètres, ayant en son centre tout endroit susceptible d'abriter des enfants - en faisant tous les calculs nécessaires, cette seconde contrainte ne laisse à ces hommes comme possibilité pour vivre, que ce bourbier, un infréquentable hall d'aéroport et des marécages. Curieux, vous descendez voir en faisant extrêmement attention, l'endroit étant pour le moins escarpé ; et voici que vous apercevez des silhouettes répondant aux noms étranges de Paco, le Grec, P.C, Rabbit qui résident tous là, masquant derrière ces pauvres abréviations et autres pseudonymes ce qu'il reste d'eux, c'est-à-dire des êtres humains sans avenir, en situation de survie quotidienne, privés de rédemption. Un homme détonne au milieu de ces fantômes plus ou moins coupables : il se fait appeler le Kid, bien qu'il ne soit plus un enfant. Mais si personne ne sait vraiment pourquoi il se fait appeler comme ça, tout le monde peut convenir que ce surnom lui va plutôt bien du fait de sa petite taille et de son allure chétive. Il vit dans une tente en compagnie d'Iggy, son fidèle iguane qui l'accompagne depuis ses jeunes années et lui sert tout à tour de gardien, attaché à un parpaing, ou de camarade muet. Outre cette tente et quelques affaires, le Kid possède un vélo et il a un petit boulot dans un restaurant qui lui permet de subvenir à ses modestes besoins.

Cet homme, nous allons le suivre, découvrir qui il est, apprendre pourquoi il est là au travers de ses souvenirs et au travers d'une rencontre qui bouleversera sa vie, celle d'un homme monstrueux (il est plus qu'obèse, énorme) qui se fait appeler Le Professeur. Ce dernier travaille à la faculté et traîne derrière lui une réputation de génie. Il est descendu jusqu'à ce cloaque dans le but d'étudier le cas de délinquants sexuels. Les échanges vont emmener les deux hommes bien plus loin qu'ils ne le pensaient…

Russell Banks revient donc quatre ans après La Réserve, roman qui m'avait déçue, du moins en comparaison de ses magnifiques American Darling ou de beaux lendemains. Ce nouveau livre, inspiré d'un fait divers réel (l'affaire dite du "Julia Tuttle Causeway", histoire d'un campement sauvage fondé par un groupe de délinquants sexuels à Miami), est une fulgurante réflexion sur les dérives de notre société prisonnière de ses schémas et de ses peurs. Ce roman propose un voyage inédit au coeur de ces ténèbres d'une nouvelle ère et, grâce à sa structure qui multiplie les angles et les surprises narratives, évite les mirages du manichéisme et du racolage (sans jamais nier la crudité, voire la violence de son thème) et les réponses péremptoires. Lentement, il creuse son sujet, accumule les strates, emmène son lecteur dans d'étranges directions sans jamais sacrifier son ambition au confort de celui-ci, jusqu'aux confins d'un hypothétique après.

Avec une désarmante acuité, Russell Banks nous livre une histoire animée de cette formidable humanité qui traverse ses meilleurs livres et qui en a fait depuis plusieurs années un sérieux candidat au prix Nobel de Littérature - son oeuvre associant style, profondeur et défense de valeurs humanistes, avec une constante justesse.
Ce livre ambitieux et dérangeant, nous interroge, nous interpelle et ne nous laisse pas indifférent !
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