Citations sur Une façon d'aimer (73)
Peut-être qu'elle se disait que le silence efface les choses, qu'il les annule. Vois-tu, c'est une question que je me pose aujourd'hui : si on ne parle pas, s'il ne reste aucune trace, est-ce qu'on ne peut pas douter de ce qu'on a vécu ?
Elle a confié un jour à Sophie : « Tu vois, je crois que maintenant je n’aimerais pas être jeune, ça ne m’intéresserait plus. » Et comme Sophie s’en étonnait : « Je ne sais pas. C’était autre chose. Et puis, j’ai eu ma part. Maintenant, je me sens étrangère. »
Quand il est mort, Madeleine a sorti la photo de son ordination à Saint-Louis. Elle parlait de lui souvent ; elle disait : « C’était un solitaire, un rêveur. Il a sacrifié sa vie. » (Mais je me le demande, moi, ce soir, en écrivant, qu’est-ce que c’est : sacrifier sa vie ? Sauver sa vie?)
On marchait en silence, m’a dit Sophie. Maman n’a jamais parlé beaucoup. Ces promenades en silence le long de la mer, c’est un de mes souvenirs. Peut-être que le silence est une façon d’aimer – c’est une phrase que j’ai lue, ou que j’ai entendue. Je ne sais plus.
Et après, peu à peu, comme pour tous les mariages, dans ces vies provinciales, régulières, qui tenaient encore au siècle d’avant, comme toutes les fêtes carillonnées – les enterrements, les communions et les baptêmes –, le mariage de Guy et Madeleine est devenu un repère à partir duquel on comptait dans la famille, un repère neutre du temps ; on disait : le soir du mariage de Madeleine, l’année du mariage de Madeleine, deux ans après le mariage de Madeleine – un mariage, c’est comme la mort : on ne peut pas en parler puisqu’on le voit toujours de l’extérieur. Personne n’en connaît le secret.
On marchait en silence, m’a dit Sophie. Maman n’a jamais parlé beaucoup. Ces promenades en silence le long de la mer, c’est un de mes souvenirs. Peut-être que le silence est une façon d’aimer - c’est une phrase que j’ai lue, ou que j’ai entendue. Je ne sais plus.
Vous savez, Madeleine, j’ai beaucoup pensé à vous ces derniers temps ; j’ai beaucoup… d’affection pour vous. C’est drôle. Je suppose que vous vous en apercevez. Je suppose même que vous la partagez, cette affection. Je me trompe dans mes suppositions ? Je suppose aussi que c’est difficile pour vous.
Il ne parlait pas ; elle non plus ne trouvait rien à dire ; ils traversèrent le square Nachtigal, et elle entendait tout ce soir-là avec une extrême acuité, tout ce qui était semblable aux « premières fois » : les bruits d’eau, de voix dispersées venues de la plage, le concert des oiseaux, la musique qui montait par moments du bar du Parallèle 4, une de ces chansons tendres et désinvoltes. Et pendant qu’elle marchait à côté de lui, passive, démunie, inquiète, ne sachant comment sortir du silence, tête baissée, il fredonnait distraitement : Whatever be true
Peut-être qu’elle se disait que le silence efface les choses, qu’il les annule. Vois-tu, c’est une question que je me pose aujourd’hui : si on ne parle pas, s’il ne reste aucune trace, est-ce qu’on ne peut pas douter de ce qu’on a vécu ?
Une histoire sage, une vie retirée et discrète traversée d’un bref coup de folie, une romance secrète. Difficile de savoir ce qui arrive à une femme.