Un mariage, c'est comme la mort : on ne peut pas en parler puisqu'on le voit toujours de l'extérieur. Personne n'en connaît le secret.
Nous n'avions pas le droit d'avoir des Barbies :jouer avec des Barbies risquait de nous causer, plus tard, de graves problèmes psychologiques.
Je ne vois pas l'intérêt pour des enfants de votre âge de jouer avec des poupées qui ressemblent à des femmes américaines de 40 ans . Les enfants doivent jouer avec des enfants.
Nous faisions la tête.
Vous serez jolies, plus tard avec cette tête là!
L'original est une photographie carrée à bords dentelés qui tient dans le creux de la main ,une photo prise avec un appareil Kodak. Les photos de l'époque m'ont toujours fait penser aux Petits beurres Lefebvre Utile. Est-ce à cause de leur format ou de nos origines nantaises? les deux sans doute . ou parce que grand-mère avait l'habitude de ranger les photos de famille dans une vieille boîte de biscuits LU, une ancienne boîte d'assortiment dont le couvercle représentait un genre de sirène art déco à cheveux roux entouré de guirlandes et de fleurs .
C'était comme s'il y avait en elle une autre femme que nous ne connaissions pas. Peut-être qu'elle se disait que le silence efface les choses, qu'il les annule. Vois-tu, c'est une question que je me pose aujourd'hui: si on ne parle pas, s'il ne reste aucune trace, est-ce qu'on ne peut pas douter de ce qu'on a vécu?
Sophie a bu une gorgée de tisane. Elle a dit : D'une certaine manière, ma mère est l'héroïne d'un roman que personne n'écrira.
[...]
Sophie avait raison : ce paquet de photographies et d'articles est le seul témoignage qui nous reste de ce qui a eu lieu. Une des seules pièces à conviction qui éclairent non pas une vie mais, selon cette belle expression que j'ai lue autrefois dans une livre, "le fait mystérieux et obscur d'avoir vécu".
J'ai demandé : Vous n'êtes jamais retournés à Douala ?
- Guy, si, a dit ma tante, moi, jamais.
- Tu n'en as jamais eu envie ?
Elle a dit : Non. Jamais. Je crois que je n'aurais rien reconnu. Il y avait trop de problèmes quand on est partis.
Elle a eu un petit sourire triste : Je reste avec mes souvenirs. Maintenant, de toute façon…
Elle a gardé jusqu'on bout ce côté juvénile des femmes à taille plate, qui ne prennent pas un gramme, toujours soignée mais démodée (jupe grise à plis sous le genou, chemisier blanc, petit foulard), un peu comme si elle portait le fantôme de ce qu'elle était autrefois et je me dis, en y pensant ce soir, que chaque génération a sa manière singulière de vivre la jeunesse et la vieillesse.
Les enfants sentent la solitude des adultes. Elle les touche parce qu'elle les rend plus proches.
Quelques jours après, il lui a fait porter plusieurs tirages avec les négatifs. Et ce billet : En souvenir.
Un mariage c’est comme la mort, on ne peut pas leur en parler puisqu’on le voit toujours de l’extérieur. Personne n’en connaît le secret.